Autour du présentateur Nicolas Harold, s’affairent et fourmillent des hommes et des femmes qui ajoutent la touche finale à son maquillage ou qui lui apportent des informations de dernières minutes. Nicolas les écoute tout en restant immobile pendant qu'on lui installe minutieusement un minuscule micro au col de sa chemise si bien repassée. Le plateau de télévision est plongé soudainement dans l'obscurité et une voix grave annonce le direct dans quelques instants. Mis à part Harold et deux individus assis face à lui, personne ne reste devant les caméras. Un silence presque religieux s'installe, puis le générique est lancé, la lumière revient, et enfin, le présentateur prend la parole :

« Bonjour à tous et à toutes, et bienvenue dans une nouvelle émission. Aujourd’hui, nous parlerons d’une nouveauté révolutionnaire en termes de médecine : le Programme. Il n’a été lancé que depuis quelques jours, et pourtant tout le pays en parle déjà. A ce sujet, nous accueillons parmi nous Bertrand Frêt, un maître de la médecine, et son adjoint Luc Gil, les responsables de ce magnifique concept. Bonjour à vous. Pouvez-vous nous présenter ce fameux Programme, Bertrand ? En quoi cela consiste, exactement ?

- Bien sûr, s’affirme Bertrand. »

Ce dernier, dans son costume noir et blanc de marque, se penche en avant, abordant un air sérieux, et lie ses mains avant de se lancer :

« Depuis toujours, l’homme essaie de combattre des phénomènes aussi sublimes que terrifiants, comme les maladies encore incurables de nos jours. De mon côté, je me suis penché sur la possibilité de recréer des membres humains. Vous savez que nous sommes déjà capables de faire pousser des oreilles ou des morceaux de derme sur des animaux en laboratoire, mais à l’aide de mon ami et collègue Luc, j’ai trouvé le moyen de produire un bras complet et fonctionnel sans l’intermédiaire d’animaux.

- C’est incroyable ! s’exclame le présentateur, visiblement sous le choc. Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène ?

- Je vais le faire simplement : nous avons étudié pendant de longues années les gènes de l’axolotl, cet animal qui a la capacité de recréer ses propres membres. Je vous passe les détails techniques et scientifiques, mais grâce à cette séquence génétique, nous sommes capables de guérir n’importe quelle maladie et de réparer n’importe quelle cicatrice !

- Ah oui, je comprends mieux votre slogan, maintenant. Peut-être qu’on peut passer la publicité télévisée sur l’écran ? Qu’en dites-vous ?

- Oui, bien sûr. »

Les trois individus et le public beaucoup trop enjoué se tournent face à un gigantesque écran. Un homme en fauteuil roulant qui peine à avancer y apparaît. On entend le souffle rauque de sa respiration, des moqueries en fond, et le grincement des roues qui tournent. Une voix s'élève alors que des mots-clés apparaissent :

« Recoudre les plaies, effacer les cicatrices, telle est la mission du Programme. Vous avez eu un accident, vous êtes nés désavantagés et vous en avez assez d'être hors-normes ? N'attendez plus ! Laissez le Programme redéfinir votre avenir et rétablir votre futur ! »

On voit alors l'homme dans son fauteuil, une goutte de sueur qui perle sur son front. Le silence donne des frissons à Nicolas. Tout devient noir autour de l'homme handicapé. Mais au coup de feu, il se lève et s'élance. On le voit alors courir sur une piste de course et distancer ses adversaires. A l'arrivée, il lève les bras en signe de victoire, et une joie sincère se dessine sur son visage.

« C’est une très belle publicité, et elle donne envie de s’inscrire, annonce le présentateur tandis que l'écran s'éteint. En parlant d’inscription, comment se déroule la procédure ? Je veux dire, comment prenez-vous en charge les personnes ? Par exemple, si quelqu’un a perdu une jambe et souhaite marcher à nouveau ?

- C’est le côté un peu politique et paperasse, je vais donc laisser Luc prendre la parole, si tu veux bien.

- Bien sûr. Le Programme est un projet scientifique et avant tout médical, qui vise donc à soigner les personnes dans le besoin. Nous visons d’abord les paraplégiques, sourds, aveugles, et caetera qui le sont depuis leur naissance, car les techniques ne sont pas encore totalement au point pour ces patients. Evidemment, nous recrutons uniquement des volontaires, et nous les accueillons dans un lieu sécurisé où se trouve tout le nécessaire, car le processus de guérison prend du temps selon le handicap à gérer. S’il est de naissance, c’est bien plus complexe, car il faut d’abord trouver la cause. Pour les personnes qui ont perdu quelque chose suite à un accident, c’est plus simple et plus rapide, c’est pourquoi nous allons essayer d’accueillir 30% d’accidentés et 70% de handicapés de naissance.

- Pour ce qui est de l’accueil, comment cela se passe ?

- Pour le moment, nous ne disposons que d’une unique structure dans ce pays, située à quelques kilomètres de la capitale. Il nous a semblé important que les patients qui participent au Programme puissent continuer à avoir une vie active. C'est à dire que les plus jeunes pourront continuer les cours, ainsi que leurs activités extrascolaires. Quant aux plus âgés, nous leur permettrons de continuer à exercer leur métier ou bien une autre activité si la première option n'est pas envisageable pour une raison ou une autre. Dans tous les cas, les participants du Programme ont la garantie de ne pas être « éloignés » de la société. Nous sommes en pleine procédure pour obtenir de nouveaux lieux d’accueil, ainsi que du matériel et le nécessaire pour y faire vivre des patients pendant une certaine période. Cela coûte très cher, mais l’Etat a décidé de prendre en charge les dépenses les plus essentielles, et nous le remercions encore une fois. Mais si cela prend des mesures gigantesques, l’adhésion devra devenir payante, ou au moins sélective.

- Donc, d’après ce que vous dites, vous êtes encore en phase d’essai ?

- Oui évidemment, et nous espérons que cela fonctionnera comme prévu. Nous avons testé à petite échelle et déjà guéri quelques patients dont un être humain tout à fait viable et fonctionnel.

- Quel langage scientifique ! J’espère ne pas avoir perdu la moitié de mon audience ! plaisante le présentateur. Quoi qu’il en soit, je vous remercie d’avoir fait le déplacement malgré votre emploi du temps chargé et d’avoir éclairci la situation pour la population. Je prierai pour la bonne mise en place, et une bonne continuation suite à ce début prometteur.

- Merci à vous. »