Dans la salle où on l'a emmené, le grand frère est seul avec ses démons. Les poignets liés par des menottes, le contact du fer froid lui brûle la peau. Ses yeux sont rougis par les larmes qu'il a versées depuis l'indicent. Il revoit la chute de son cadet dans les eaux sombres du port. Il revoit ces quelques secondes, comme un film que l'on repasse devant lui en boucle. Face à lui, il n'y a qu'une table, et encore derrière, sur le mur, un large miroir que l'on retrouve dans ces séries policières et qui permet de suivre les interrogatoires sans être vu par les criminels.

Ce mot qui passe par son esprit fait frissonner le grand frère. Criminel. Il enfouit son visage dans ses mains en essayant de garder son sang-froid, mais il est désormais bien plus qu'un simple contrebandier ou un simple cambrioleur. C'est un assassin.

Enfin, un homme en uniforme entre, des dossiers à la main qu'il jette négligemment sur la table sans même accorder un regard au frère. Ses cheveux gras, son ventre proéminent, et sa barbe mal entretenue sont le résultat d'un quotidien qui oscille entre les disputes avec sa femme et celles avec ses enfants, désormais étudiants indépendants qui ne souhaitent plus rien avoir à faire avec lui. Il lève sa montre au niveau de son visage et soupire. Ce soir, il devait le passer avec son épouse pour fêter leurs vingt ans de mariage, dans l'idée de repartir sur de bonnes bases. Il s'assied face au frère, se retrousse les manches, et se promet silencieusement de ne pas faire durer cet entretien plus d'une demi-heure.

« Alors… débute-t-il de sa voix rocailleuse en feuilletant son dossier à la recherche d'une feuille. Nom ? »

Le grand frère garde la bouche close en fixant ses mains, comme il a promis de le faire.

« Écoute mon grand, ce sera beaucoup plus simple si tu réponds, siffle le policier en se frottant les yeux. »

Le frère reste silencieux, redoutant la colère de l'officier bien moins que celle de Lucien. Il évite le regard perçant de l'homme qui soupire à la recherche d'un moyen de faire le faire parler.

« Tu veux boire quelque chose ? demande-t-il.

- Je veux voir mon avocat, rétorque le jeune homme.

- Tu as quel âge ? Vingt ? Vingt-cinq à tout casser. Écoute attentivement ce que je vais te dire : tu risques plusieurs années de prison, mais ta coopération pourrait diminuer ta peine. Tu n'as rien d’un dealer malgré tout ce qu'on a trouvé sur toi. Je suis certain qu'il y a quelqu'un de bien plus impliqué derrière tout ça. Mais tu as été pris sur une scène de crime, et on déplore une victime. Alors réponds : qui était-ce ?

- Mon petit frère, bégaie finalement l'aîné en sanglotant.

- Qu'est-ce que vous veniez faire ici ?

- Je ne peux pas… gémit-il en secouant la tête comme un enfant honteux. »

Le policier jette par frustration le stylo mais ne baisse pas les bras pour autant et tente à nouveau de briser le vœu de silence du garçon.

« Qui vous a envoyés ?

- Je ne le connais pas, ment l'inculpé. »

S'ensuivent de nombreuses heures d'interrogations qui mettent à rude épreuve la patience de l'officier et la volonté du jeune homme qui semblent toutes deux bien solides. Ce n'est que bien plus tard, que le policier sort de la pièce d'interrogatoire dépité d'avoir raté le rendez-vous avec sa femme. Cette dernière est probablement déjà couchée, ou somnole devant « Secrets d'histoire » en maudissant le jour où elle a dit « oui » devant l'autel. La colère du policier n'en est que décuplée et il fulmine intérieurement. Mais qu'importe, il vient de coincer l'individu qu'il cherchait depuis des semaines. Seulement, cela dépassait ce qu'il aurait pu imaginer. Une opération bien plus importante que celle prévue allait être nécessaire. Un évènement important allait probablement avoir lieu, impactant la vie de nombreux innocents.

« Hé Lilian ! crie-t-il en interpellant une collègue qui sirote un café. Le gosse a tout déballé. On le tient ce fumier ! »