Chapitre 36 : Léane
Mes bras violets ont viré au vert jaunâtre, mes plus petites blessures ont cicatrisé mais les plus importantes n'ont pas totalement disparu, et mes côtes semblent en légère amélioration. Quant à mes doigts, je fais mon maximum pour ne pas les utiliser.
Les deux premiers jours, j'ai passé mes journées dans ma chambre, à alterner ma position recroquevillée entre mes draps mouillés par la sueur et les vomissements dans les toilettes. Lorsque je regardais depuis mon lit le plafond, j'étais persuadée qu'il tournait, et alors, lorsque je gardais les yeux ouverts trop longtemps, une horrible douleur me vrillait le cerveau.
Mais me voilà debout, après quatre jours, dans la cour immonde de l’hôtel où des touffes d'herbes jaunes et sèches pointent le bout de leur nez, en tentant probablement de survivre aux rayons de cet horrible soleil espagnol.
Heureusement, la nature m'a dotée de jambes, aussi, je peux me déplacer en fonction de la lumière et des zones d'ombre.
Je rencontre un lézard, qui file entre les dalles du sol, un scarabée qui dore au soleil et un papillon qui file devant mes yeux en battant faiblement des ailes. Pas une trace de vie humaine en l'espace de trois heures.
Tranquillement, je fais des tours de la cour en longeant les bâtiments, histoire de ne pas faire une insolation.
Je médite sur mon avenir, ou ce qu'il en reste. Je ne suis plus cette gamine en cours de chimie, qui néglige les protections pour les manipulations, et qui attrape les fioles à pleine main comme une imbécile. Je ne suis plus cette jeune fille qui passait son temps libre à jouer du piano, et dont l'odeur des nouvelles partitions tout juste achetées lui donnait un large sourire. Je ne suis plus cette adolescente qui avait des rêves, de l'ambition, du potentiel.
Désormais je ne suis plus que cet individu tombé dans un piège infernal dans lequel il s'est dirigé de lui-même. J'ai tout simplement foncé tête baissée, persuadée que j'allais m'en sortir.
Je m’assieds sur un banc lorsque le soleil débute sa descente et, n'y tenant plus, laisse mon chagrin me submerger. Les larmes roulent sur mes joues et je ne parviens pas à retenir des hoquets. J'enfouis mon visage entre mes mains.
Lorsqu'une main se pose sur mon épaule, je sursaute, et me relève d'un bond.
« On t'a manqué ? signe Charles, ce même sourire taquin aux lèvres. »
Sans me retenir, je saute dans ses bras, et pleure de plus belle. En l'enlaçant, je respire son parfum qui m'a tant manqué. Parmi les effluves qui sont propres à lui, je décèle une fine odeur de ces fameuses décorations en forme de sapin que l'on suspend au rétroviseur des voitures. Puis, je remarque un autre élément, que je connais, mais dont l'origine m'échappe…
Alors, j'ouvre les yeux, lève la tête et je tombe nez à nez avec Adriana qui sourit. J'ai presque l'impression qu'elle me regarde.
* * *
« Comment m'avez-vous trouvée ? demandé-je alors que notre groupe de quatre entrait dans ma chambre. »
En effet, Charles et Adriana ne sont pas seuls. Violette les accompagne. Ce fut une grande surprise mais cette dernière m'a immédiatement souri en me voyant. J'ai d'abord eu une grosse frayeur en imaginant la fureur de Chris. Puis, Violette m'a rassurée en affirmant qu'il nous restait du temps avant que Chris n'apprenne sa fuite.
« C'est une longue histoire, dit Charles de manière à ce que je comprenne. Mais nous t'avons trouvée et c'est l'essentiel.
- Nous n'avons pas le temps, insiste Adriana. Il faut filer. Léane, fais tes affaires, et on rentre.
- Mais ils me retrouveront, soupiré-je. Les filles et moi.
- Une fois en France, nous trouverons une solution, assure Adriana. Partons d'ici ! »
Il me suffit de trois minutes pour regrouper mes affaires dans un minuscule sac et je le jette sur mes épaules avant de suivre mes sauveurs. Nous nous rendons sur le parking, mais soudainement, Charles se retourne et me plaque contre un mur en béton. Il me regarde avec terreur, et m'incite au silence en déposant son index contre ses lèvres. Adriana attrape ma main et y tapote un message court que je comprends immédiatement. Un frisson me parcourt, et je manque de m'effondrer d'horreur.
« Il est là. »
Je sais que c'est inutile, mais je retiens ma respiration comme si le moindre souffle signerait mon arrêt de mort. Je jette des coups d’œil de chaque côté, à ma droite, Charles est d'une immobilité impressionnante. A ma gauche, Adriana me serre la main et Violette joint les siennes, probablement priant tous les dieux auxquels elle croit.
« On fait quoi ? demande Adriana en tapant frénétiquement sur ma paume.
- Je ne sais pas, réponds-je en déglutissant. »
Nous restons statufiés quelques minutes si pesantes qu'elles me semblent être une longue et abominable torture. Soudain, Charles paraît réaliser quelque chose car il ouvre grand les yeux et aborde un large sourire.
« Faites-moi confiance, murmure-t-il d'une telle façon que je lise sur ces lèvres. »
Puis il prend son téléphone et chuchote quelques mots à Adriana qui sort le sien et me le tend. Il prend une grande inspiration, et sort de notre cachette d'un pas naturel. Je retiens de justesse un cri de surprise.
Nous attendons une minute.
Puis deux.
Puis cinq.
Finalement, je sens le téléphone d'Adriana vibrer entre mes mains. J'y lis le message que m'a envoyé Charles.
« Retournez sur vos pas, on se retrouve à l'entrée principale, sur le parking. Faites attention. »
Je murmure à Adriana les consignes que m'a données Charles et nous nous déplaçons avec précaution et le plus silencieusement possible en direction du parking.
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