Chapitre 4 - L'arête est la vengeance du poisson et la gueule de bois, la colère des raisins.
Les rayons du soleil filtraient à travers les rideaux en lin d’un blanc laiteux lorsque Cordélia Oberkampf ouvrit les yeux. La bouche pâteuse, elle tenta de se redresser mais la migraine s’empara d’elle. Elle se recoucha illico, pressant son oreiller en soie contre son visage rond.
— Debout là-dedans ! Il est déjà onze heures, tonna Scarlett.
Un plateau rempli à ras bord entre les mains, elle s’avança avec entrain vers Cordélia puis se pencha au-dessus du lit. La bouteille de jus de raisin claqua contre les verres à pied. Elle s’était levée aux aurores pour demander à Victor, le concierge, de se rendre au Petit Versailles du Marais, pour y acheter une brioche mousseline en échange d’un billet de cent francs. Scarlett l’avait alors remplacé une bonne partie de la matinée, les doigts de pieds en éventail, à lorgner les allées et venues des résidents.
— Allez la marmotte, on se réveille, lui souffla-t-elle. Ta mère ne va pas tarder à rentrer.
Cordélia émit un léger grognement. L’odeur des viennoiseries lui donnait des hauts le cœur.
— Fais un effort Cordy. Je te rappelle que le réveillon de Noël est ce soir. Il faut que tu sois un minimum présentable, la raisonna l’adolescente.
Scarlett s’empara d’un couteau à viande et coupa la brioche en fines tranches. La cuisine n’était pas son fort, mais si elle voulait être une épouse accomplie, elle devrait prendre cette tâche au sérieux.
— J’ai la tête comme un citron, gémit Cordélia, pressant ses tempes entre ses paumes.
Scarlett ne prit pas la peine de la sermonner. Son amie souffrait déjà bien assez. Elle lui tendit une tasse de café mais l’adolescente déclina.
Le brouhaha de la circulation s’invita dans l’immense chambre, mettant encore plus à mal une Cordélia secouée par sa conduite de la veille. Elle n’aurait jamais dû boire autant, cela lui aurait évité cette pénible situation.
Scarlett fouilla dans le dressing des Oberkampf. Celui-ci s’étendait d’un bout à l’autre de la pièce. Cordélia devait bien avoir à elle seule, une trentaine de paires de chaussures. N’importe quelle personne lambda aurait trouvé cela affligeant. Les désastres de la surconsommation diraient-elles. Mais bien que Scarlett ne vouait pas une grande admiration pour la mode, elle devait bien admettre, qu’à chaque fois qu’elle mettait le nez dans ce dressing, elle assistait à un spectacle des plus stupéfiants. La jolie rousse s’empara d’une robe blazer noire à boutons bijou qu'elle posa sur le lit XL, puis se contorsionna pour extirper une paire de bottes blanche en cuir à talons carrés.
Mais où avait-elle la tête ? percuta Scarlett.
Elle enfonça ses mains dans les poches de son jean évasé et agrippa un paracétamol. Elle tendit un verre d’eau et le comprimé.
— Tiens, ça te fera du bien.
Cordélia s’empara du cachet et se redressa tant bien que mal. Elle passa une main dans ses cheveux afin de les lisser mais ces derniers étaient plaqués sur sa tête. Elle se souvint alors s'être écroulée, sans avoir pris la peine de sécher sa jolie chevelure. Cordy huma ses aisselles. Son t-shirt trop large pour elle en coton piqué était trempé jusqu’à l’encolure.
— Je ferais mieux d’aller me doucher, capitula Cordélia.
Scarlett acquiesça, posa avec délicatesse un bigoudi sur sa frange roux vénitien et ouvrit la fenêtre. Il faisait peut-être moins douze degrés dehors mais l'odeur qui émanait de cette chambre était épouvantable !
— Tu aurais au moins pu attendre que j’entre dans la salle de bain avant d’aérer. Il fait un froid de canard, vociféra la jeune Oberkampf.
Scarlett lui adressa un doigt d’honneur tout sourire. Elle préférait voir son amie ainsi. Elle était encore toute retournée par l’état alarmant dans lequel Cordélia s’était retrouvée hier. Elle avait bien cru la perdre. Elle ne s’en serait pas remise si cela avait été le cas. Cordélia aurait pu mourir avant d’avoir découvert l’amour, une vie professionnelle accomplie et une vie pépère dans une villa ou un cottage reculé de Cork. Il paraît que l'Irlande avait le vent en poupe auprès des Frenchies.
Cordélia s’empara de sa brosse à dents et y déposa une importante couche de dentifrice à la menthe. Elle sentait le vomi et l’alcool à plein nez. L’adolescente s’accouda contre l’évier en marbre Botticino. Son maquillage noir avait bavé sur ses pommettes pâles et les cernes s'étaient emparés de son joli minois. Elle ressemblait à une chatte apeurée ou à un ours mal léché. Tout dépend de quel point de vue on se place. Elle sortit une lingette démaquillage de son emballage et l’appliqua soigneusement sur sa peau de porcelaine. Darling le Cavalier King Charles des Van Büren gratta contre la porte.
— Viens ici, lui ordonna Scarlett. Laisse Cordy tranquille.
La petite chienne aboya pour manifester son mécontentement.
— Non, Darling ! lui répondit la rouquine avec fermeté.
Cordélia gloussa. Puis, elle repensa à ce qu’elle avait fait endurer à Scar’ la nuit dernière et sa bonne humeur se volatilisa comme une trainée de poudre. Elle se remémora les mains de ce type sur sa peau, la force de ses poignets et son souffle empestant l’alcool. L’adolescente se glissa sous la douche. Avec un peu de chance, l’eau lui ferait oublier cette atroce soirée.
Darling éternua et la tête chargée de bigoudis, Scarlett en profita pour fermer la fenêtre. Le Cavalier King Charles remua la queue et se hissa sur les genoux de sa maîtresse. Il leva le museau pour mieux l’observer.
— Je sais ce que tu penses, lui lança Scarlett. Mais, une fois ces machins retirés, tu envieras ma nouvelle coupe.
Darling enfonça sa gueule dans les coussins, attendant impatiemment sa promenade journalière. Scarlett s’allongea sur le dessus-de-lit, gagnée par l’ennui. Elle détestait rester inactive. Et la douche de Cordélia devenait bien longue.
Cordélia effaça la buée sur le miroir mural avec sa main. Il faisait une chaleur grotesque là-dedans. Elle pencha la nuque en avant et appliqua une serviette propre sur sa chevelure brune. Elle enfila les vêtements sélectionnés par Scarlett et apporta une dernière touche à sa tenue : un collant opaque noir en laine et une paire de créoles dorées. Elle se parfuma de Chanel N°5 pour masquer les dernières odeurs de la veille et s’éclipsa de la salle de bain.
— Sexy, la taquina Scarlett lorsque Cordélia la rejoignit sur le lit.
L’adolescente la fit taire d’un geste de la main. Cet aparté lui avait fait oublier à quel point la nourriture la rendait nauséeuse.
— Je crois que je vais vomir...
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