Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête

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« Flash info : la fin du monde est proche. La NASA vient de déclarer en conférence de presse que Terra II, la plus grande station spatiale de l’histoire, a explosé. Écoutons le porte-parole de l’organisation en exposer les conséquences.

— Nous ne connaissons pas pour l’heure la cause de l’explosion de Terra II : nous suspectons une surchauffe des machines ou un accident domestique. La station a été réduite en particules, particules qui semblent s’être répandues un peu partout dans l’exosphère, la partie du ciel la plus éloignée de notre planète. L’attraction terrestre qui s’exerce sur ces particules provoque leur chute vers la Terre. De par leur forte puissance magnétique, ces particules attirent l’exosphère avec elle. Celle-ci exerce une pression sur les couches inférieures de l’atmosphère terrestre, provoquant leur chute successive sur Terre jusqu’à ce que l’exosphère elle-même s’écrase sur notre planète. Cela devrait se produire dans 7 jours, 6 h et 54 min.

— Pouvez-vous expliquer clairement aux téléspectateurs ce que cela signifie ?

— Le ciel va nous tomber sur la tête. »

Toute la famille était devant la télé, continuant de la fixer bien après l’annonce, sans pour autant écouter les micro-trotttoirs et analyses d’expert sur l’ouranolypse (les journalistes avaient déjà donné un nom à la catastrophe). Thomas se leva et réchauffa le diner : on ne pouvait quand même pas passer la soirée scotché·e·s à l’écran. À table, on ne parla que de la terrible nouvelle :

« Je veux pas mourir, Papa…

— Dis, c’est pas vrai ce qu’ils ont dit à la télé ?

— Bien sûr que non, c’est pour faire peur aux gens.

— Mais Thomas, la station a explosé ! On a vu les images.

— C’est très simple de truquer des images. Quand bien même ce serait vrai, c’est pas un petit boum à des années-lumière qui va faire tomber le ciel. Faut arrêter de nous prendre pour des cons... »

Le lendemain, au bureau, même sujet de conversation de la machine à café aux toilettes en passant par l’open space. Il était très difficile de se concentrer sur le travail et cela devint impossible quand un nuage s’écrasa contre la baie vitrée. C’était la première phase de l’ouranolypse : la chute de la troposphère. Les vents n’agitaient plus le ciel mais la terre ferme et, quand Thomas rentra chez lui, il dut s’agripper à la rambarde du parking pour garder les pieds sur le bitume. Quelque chose d’anormal était en train de se passer… Le gouvernement utilisait probablement ses perturbateurs météorologiques pour faire tomber les nuages et dégringoler le vent. Un passage sur la toile lui apprit que des événements semblables se produisaient tout autour du globe.

Le jour suivant, il dut sortir car le frigo était vide et il valait mieux le remplir avant que les magasins ne ferment. La population paniquait et Thomas commençait lui aussi à redouter d’être bloqué chez lui. Alors qu’il naviguait entre les produits laitiers et la charcuterie, une alarme hurla à pleins haut-parleurs. Toute la clientèle se précipita vers les caisses et aperçut une étrange brume à l’extérieur avant que le rideau de fer ne bloque la vue et les sorties. Au bout d’une heure, on leur annonça que la stratosphère tombait sur terre. Le gérant expliqua que l’air était désormais toxique et qu’une exposition de plus d’un quart d’heure était potentiellement mortelle d’après les scientifiques.

Thomas était garé dans le parking sous-terrain et put donc facilement rentrer chez lui. Cette brume étouffante le laissait pantois : comment l’expliquer ? Sûrement pas par cette ânerie de stratosphère ! Il était impossible qu’elle se soit déplacée : c’est un gaz, pas une plaque tectonique ! Il s’agissait plus probablement d’une nouvelle forme de gaz lacrymogène hautement toxique, destinée à enfermer la population chez elle. D’ailleurs, le lendemain matin, les rues étaient désertes et des drones de l’armée veillaient à ce qu’elles le restent.

Thomas se rendit rapidement compte qu’il n’était pas le seul à avoir compris la véritable cause des gaz toxiques et de la descente des nuages. Il avait trouvé un forum d’ouranolucides sur lequel il discutait avec celles et ceux qui, comme lui, voyaient clair dans le ciel et savaient que sa chute n’était qu’une mise en scène politique. Le quatrième jour, la mésosphère toucha soi-disant la terre et des météores commencèrent à s’écraser sur le sol et à écraser tout ce qui s’y trouvait. Il ne pouvait plus rester silencieux et laisser le gouvernement aplatir ses citoyens et citoyennes avec des roches artificielles.

Il organisa une réunion avec les autres internautes du forum. Elle était virtuelle car se déplacer était devenu quasiment impossible, mais elle redonna tout de même courage à Thomas. L’ouranolypse n’arriverait pas : ils le savaient. Ils semblaient être les seuls à faire preuve de bon sens et à se rendre compte que c’était absurde. Il fallait avertir les médias et ainsi la population de ce mensonge d’État. Une fois sa conscience ranimée, elle se soulèverait et le gouvernement n’aurait d’autre choix que de mettre fin à cette comédie.

C’est Thomas qui fut choisi pour s’exprimer à la télé, dans une émission spéciale ouranolypse. Nous étions en effet le septième jour et il fut emmené dans les studios par un chauffeur de la chaine. Ils furent pris dans d’interminables bouchons, causés par des chutes de navettes en provenance de la thermosphère. Il arriva au studio une minute avant le direct : la maquilleuse se jeta sur lui puis le propulsa sur le plateau.

« Bonjour à vous, Terriennes et Terriens. Nous vous remercions de passer vos derniers moments avec nous ; nous sommes ravi·e·s d’accomplir notre mission d’information jusqu’à la fin. Si l’image est subitement coupée, ne vous inquiétez pas, c’est simplement un cameraman qui nous aura quitté. Enfin, si l’ouranolypse se produit bel et bien, ce dont les ouranosceptiques doutent malgré l’évidence scientifique… Voici Thomas Stellien, membre d’un groupe ouranosceptique ! Monsieur Stellien, pourquoi nier l’évidence ?

— Quelle évidence ? Rien ne prouve que les catastrophes qui nous touchent actuellement soient naturelles. Pour nous, elles sont clairement l’œuvre du gouvernement.

— Mais quel intérêt un État aurait-il à décimer sa population ?

— Que ce soit en France ou ailleurs, les actionnaires, qui gravitent autour du pouvoir, se sont enrichis considérablement cette semaine : les billets pour Mars s’arrachent et les prix ne cessent de monter. Maintenant que les plus fortuné·e·s ont été évacué·e·s, il ne reste plus sur Terre que des peuples terrifiés. Les gouvernements n’auront plus qu’à prétendre avoir empêché la catastrophe au dernier moment alors qu’il leur aura suffi d'arrêter de produire eux-mêmes ce déluge artificiel. La reconnaissance du peuple leur donnera ensuite la légitimité pour en faire ce qu’ils veulent. Sauf si nous nous levons dès maintenant et proclamons que nous n’avons peur ni de l’État ni que le ciel nous tombe sur la tête ! »

En prononçant ces derniers mots, Thomas monta sur la table du plateau, le poing levé, surplombant tout le monde. Il fut ainsi le premier à se faire assommer par les atomes de l’exosphère avant que le ciel entier ne s’effondre sur la Terre, la rongeant à l’infini.

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