Partie 2.

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Les journées passent, ne se ressemblent pas, dans un milieu complètement perdu, complètement inconnu, d’une contrée étrangère où les dunes commencent à s’enneiger, l’hiver pointant le bout de son nez gelé, congelé, consterné. Les terres de l’est profond d’où le temps va et s’en va d’un coup de baguette magique. Et moi, je m’y trouve, complètement paralysé par la peur, par l’agonie d’une souffrance qui m’enivre continuellement comme si je continuais à boire de cet alcool trop étrange pour être honnête. Flamboyant tout comme l’enfer et brûlant la gorge d’une façon maudite et macabre. Les questions se précipitent dans mon esprit sans jamais se taire, et cette voix émanant du tréfonds de mon être continue de me hanter sans me dévoiler quoique ce soit de la vérité nue comme j’aimerais à la connaître, comme j’aimerais à la comprendre. Comment, seulement, comprendre l’inexplicable. Comme si l’au-delà même venait à tenter la communication avec mon être totalement absurde. Pourquoi? Comment? Que? Je…

Et ce corps ensanglanté.

Cette chair tendre qui se veut refroidie par la mort que je lui aurai offerte, puisque je portais ce couteau. Cette lame qui pourrait servir à égorger les porcs. Sans doute était-ce un porc, mais c’est un homme avant tout. Et je lui ai ôté la vie d’une façon dont je l’ignore. Serait-ce réellement moi? Ou suis-je en plein rêve. Or, depuis ces heures, ces journées, toutes ces choses auraient du se taire pour laisser place à la réalité. Ce qui n’est pas le cas. On dit souvent qu’il vaut mieux cauchemarder pour mieux se réveiller, être de bonne humeur et voir que tout cela n’existe pas. Que l’on est, finalement, en vie et non décomposé ou poursuivi par un animal ignoble qui n’existe, heureusement, pas dans la réalité de la métaphysique ambiante. Mais là, là, non, ce n’est pas un cauchemar, ce n’est pas même un rêve. C’est juste… trop réel. Trop fou pour être vrai, pour être tangible. Je l’ai touché. J’ai touché le sang. J’en avais plein les vêtements. Je les ai changé depuis. Je me suis lavé. Lavé de nouveau. Beaucoup de fois, sans cesse, afin de retirer cette crasse qui semble bouillir à même ma peau délabrée. Je n’en peux plus. Je ne dors plus. Je ne pense qu’à ça. Qu’à cette chair putride, cette odeur nauséeuse, cette sensation que j’ai pu commettre l’irréparable. Comment s’en remettre? Il y a trop de choses qui ne vont pas.

Comment je peux passer de Paris à la Hongrie?

Comment je peux me retrouver dans un sous-sol d’une salle de poker non dissimulée, d’où les mises afflux entre joueurs véreux et d’où la Palinka abreuve les poltrons chétifs de cette assemblée peu extraordinaire, comme l’on en retrouve dans nos PMU habituels en France. Ce n’est pas possible. Tout simplement pas possible. Je devrais peut-être me cacher, car toutes mes empreintes sont sur le lieu du crime. Même mon mégot de cigarette. Je n’ai pas fait attention. Peut-être n’ai-je tout simplement rien à me reprocher, que tout cela est une mascarade que mes amis m’ont faite. Seulement, je n’ai pas d’amis. Je n’ai rien. Je n’ai personne. Tout le monde s’en fout de moi, personne ne me côtoie, personne ne s’habitue à mon esprit d’indépendance. J’ai juste une envie, c’est d’en finir avec toutes ces histoires. Je devrais me rendre à la police. Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir leur raconter? Leur dire? La traductrice, elle-même, ne saurait retranscrire cette vérité nue et terrible tant les mots n’ont aucun sens, aucune valeur, aucune ligne conductrice.

Je devais rentrer à Paris.

Chez moi, au chaud, tenter de tout oublier, même si cela est impossible, inimaginable, terrifiant, machiavélique, saugrenue. Non, je ne pourrais pas omettre tout cela. Je ne pourrais pas ôter tout cela de mon esprit. Je crois que ce serait là un rêve si j’y parvenais.

Je m’endors enfin.

Dans un lit d’hôtel, un lit un peu miteux dans lequel je ne serais pas étonné de découvrir des traces de sperme, ou autres trucs purement dégueulasses qu’il ne vaut mieux même pas imaginer ou chercher à comprendre. Je crois que l’on vient en Hongrie pour les passes faciles, non? J’ai croisé plusieurs bars extraordinaires que l’on peut percevoir à Pigalle, mais en bien plus poussés. Dans le concept du trou qui laisse pénétrer la zone sensible afin d’explorer toutes les choses exceptionnelles que l’on ne connaît pas dans le système actuel. Cela ne m’intéresse pas, l’idée n’est en rien pour moi, mais j’imagine tous ces pervers qui ne viennent là que pour ça, comme l’on va à Amsterdam pour se droguer et apprécier le quartier rouge dans lequel les femmes dénudées ou déguisées se montrent sous leur meilleur jour afin d’aguicher le patient qui ne cesse de vouloir se contenir mais qui, à bout de souffle, se laisse aller à se vider le porte-monnaie et sa libido inconsciente. Les hommes ne sont que des animaux. Serai-je donc un prédateur? Un loup solitaire qui tue pour sa survie sans même s’en rendre compte, laissant interagir mon instinct, ma folie, la dictature de mon esprit taré?

Dans mes songes, quelque-chose me revient.

Comme si je me voyais dans les yeux de ce que j’étais lorsque j’étais enfant. Je vois ma mère, mes frères et mes soeurs, dans une bâtisse vétuste dans la banlieue de Paris. Le papier peint suintait de partout, et ma matrice ovarienne, en qui j’ai le plus grand respect encore aujourd’hui, ne savait comment faire pour joindre les deux bouts. Jamais elle n’aurait stipulé les actes qu’elle faisait dans le plus grand secret afin d’améliorer nos conditions de vie. Nous entendions les voisins se disputer, les coups se déchaîner avec passion contre les murs, nos murs. Nous pouvions ouïr les malédictions de quelques fous macabres, de quelques singes masqués et l’amour dans son plus simple appareil. Les clics-clacs bang bang résonnant tout au-dessus du lit que je partageais avec mon frère et ma soeur. Ma mère dormant dans la cuisine généralement. Elle nous faisait tous les jours de la soupe, et parfois lorsqu’elle n’avait rien de concret à mettre dedans, nous sentions beaucoup plus l’eau que les légumes. C’était atroce, mais je m’en contentais. Elle me ramenait parfois des livres pour me faire plaisir, ceux qu’elle trouvait sur les quais de Seine et qui ne coûtaient presque rien. Des ouvrages rapiécés, écornés, écorchés comme je l’étais à ce moment là. Mais des oeuvres d’art qui avaient le don de m’octroyer le sourire. Un sourire intense, énorme, qui devait réchauffer le coeur de ma pauvre madre.

J’avais presque oublié ces moments de mon enfance.

Comme si un traumatisme m’avait marqué. Je m’en souviens peu à peu, dans un flou artistique, comme de ceux que font ces artistes miteux pour donner du charme à leurs clichés. Je me souviens qu’une journée d’hiver, je m’étais élancé en-dehors de l’appartement afin de jouer dans la neige, comme tous les gamins le faisaient. Je m’éloignais peu à peu, aller dans un parc et jouer avec délicatesse dans cette brume gelée. Concevoir un château, un igloo protecteur, un bonhomme armée et fait d’armure qui aurait le don, le pouvoir, de me sauver des dangers de la vie. J’avais beaucoup d’imagination à l’époque. Vraiment beaucoup. Aujourd’hui, je n’ai plus rien, rien que le dégoût de ce que je suis, de ce que j’ai pu faire et de ce que je n’ai jamais pu accomplir. Ce pourquoi le sourire donné à ma mère avant que je ne quitte l’appartement, fut le dernier de toute ma vie. De toute mon insouciance et de l’innocence de mon enfance meurtrie par ce qui va se passer.

Je me souviens, maintenant.

Je jouais tranquillement, et je voyais, au bord d’un lac gelé, un adolescent qui jouait. Il jouissait, même, de faire la même chose que moi du haut de mes treize années. J’étais timide, trop réservé. Peut-être aurai-je du lui demander si nous eussions pu nous permettre une bataille épique avec pour seules armes des boules confectionnées avec soin. Il m’a vu. J’ai détourné le regard. Il me souriait au loin. Puis, il s’est approché de moi. J’étais un peu nerveux, je ne savais pas ce qu’il allait me proposer, c’était assez louche. Généralement, on ne s’intéresse pas à moi, on ne me veut pas particulièrement comme ami ou compagnon de jeu. Rejeté à l’école par la cause de ma pauvreté extrême, voici que l’on ne me juge pas et que l’on m’accepte comme je suis pour faire quelque-chose que je n’ai jamais pu faire : faire l’enfant. Alors nous nous battions amicalement, riant, nous égosillants dans quelques soubresauts d’échos enfantins. Le lien d’amitié s’était crée. Et j’ai chu. Ma tête a claqué sur une pierre. La lumière s’est éteinte longuement. Lorsque je me suis réveillé, par contre…

Un lac de sang sur le sol gelé.

Sans que le moindre corps ne fut-ce là, à la portée de mes yeux. Je commençais à scruter autour de moi. Rien. Sur moi. Rien. Pas même une larme de sang s’écoulant d’une quelconque blessure. Je m’étais éveillé et j’étais totalement perdu, déboussolé. Dans mon inspection, j’ai pu voir un trou dans le lac. Du sang tout autour. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Je ne comprend pas. Il y avait une pierre à côté, une grosse pierre enrobée d’un peu de neige. Est-ce que je lui ai lancé ça sans le vouloir, sans le savoir? Je n’en aurai jamais eu la force. C’est purement impossible. Est-ce qu’un clodo serait venu nous agresser, nous torturer et semer la mort? Dans le doute, j’ai choisi de prendre la fuite et de courir comme jamais vers l’appartement familial tout en cherchant à comprendre ce qui se passait encore.

Cette étape de ma vie, je l’avais complètement mise de côté.

Ce qui suivit, par contre, je ne pouvais pas l’oublier. J’ai dévoilé à ma mère que j’avais fait quelque chose de grave, sans savoir quoi, et qu’il y avait du sang. Je lui ai décris la scène, entièrement. Elle m’a regardé avec stupeur et a commencé à pleurer sans que je ne puisse rien faire pour la consoler. Je ne savais pas si même un câlin aurait pu l’apaiser, la calmer, l’aider. Alors je me suis approché d’elle, elle m’a rejeté. J’ai compris alors que j’avais fait quelque-chose de trop grave pour que l’amour d’une mère soit ainsi détruit, délogé de sa fonction première. C’est à partir de ce jour que j’ai décidé de prendre mon baluchon, toutes mes affaires utiles, et de partir. Quitter la maison et faire ma vie ailleurs pour ne plus jamais voir la détresse dans les yeux de celle qui m’a offert la vie. Celle qui a offert la vie pour la destruction de tant d’autres, peut-être.

À ce moment, j’étais seul.

Dans la neige. Et il y avait cette voix, encore, que je me voulais à jamais détruire le souvenir.

- Accepte qui tu es, et je t’aiderais.

C’est là que je me suis réveillé.

Dans mon hôtel putride, entortillé dans mes draps puants. Je sentais quelque-chose à mes pieds. Quelque-chose de désagréable. De vivant. Un truc qui grimpait tout au long de mon fémur, jusqu’au coin adjacent de ma cuisse frémissante par ce mouvement nauséabond. Ça bougeait. C’était comme poilu. C’était affreux. J’en avais la chair de poule. La peau blafarde. L’envie de vomir. Je n’osais plus bouger, en souvenir de cette voix qui me hantais. Serai-je maudit et serait-ce le démon qui s’en vient me posséder à jamais?

Lorsque la chose fut sur mon ventre, je ne pouvais me respirer.

Je n’arrivais plus à rien. J’étais comme tétanisé, pris d’une grosse crise d’angoisse, d’une irrésistible envie de fuir sans que mes membres ne répondent jamais à l’ordre que mon cerveau leur donnait pourtant. Et ça grimpait, ça grimpait. Toujours plus haut, toujours plus loin, sur mon torse, à portée de vision.

- Calme toi, ce n’est rien. Soulève la couette, tu verras.

Toujours cette voix.

Cette fois-ci, je sais que je suis bon pour l’hôpital psychiatrique.

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