Endométriose
La douleur fait partie de la condition féminine. Pour être belle, tu dois souffrir. S’épiler les sourcils, le maillot, les jambes... Tu dois supporter les talons et les collants qui te scient la taille. Pour être une mère, tu dois endurer les sciatiques, les nausées, observer ton corps qui se transforme, qui s’étire jusqu’à te déposséder de toi-même. A l’accouchement, tu dois te contenir, gémir tout au plus, par dignité, alors que ton intimité est exposée sans que tu puisses avoir le contrôle. La douleur s’invite tous les mois lors de tes règles. Tu as des crampes douloureuses qui t’obligent à rester allongée.
On te rappelle que c’est normal, que tout cela est parfaitement normal. Être une femme c’est douloureux. Tu acceptes cette vérité car aucun autre choix n’est possible.
Tout peut justifier la douleur.
Dès lors, tu ne poses plus de questions. Tu ne t’interroges plus sur ce qui peut se passer en toi. Car il y a toujours une bonne raison : tu es une femme.
Nous sommes des millions de femmes, unies par ce lien invisible. La douleur nous réunit toutes et pourtant, tu es seule dans ta salle de bain à observer ton ventre anormalement gonflé. Tu es seule à ressentir ta chair se déchirer. Tu es seule à te plier en deux de douleur.
Tu minimises tes souffrances car remettre en question ce qui est naturel fera de toi une femme faible. « Prends un Advil pour les maux de ventre ». « Pose une bouillotte et ça passera ». « Détends-toi, tu es trop stressée ». « Repose-toi, c’est dans ta tête ».
Ça va passer. Une phrase magique à laquelle tu t’accroches. Oui c’est vrai, ça finit toujours par passer. Comme la pluie. Puis ça revient le mois suivant, puis encore le mois d’après. Parfois, ça n’attend pas le prochain rendez-vous.
Tu as quelques jours de silence, où ton corps semble étonnamment apaisé. C’est donc ça, le calme ?
Malgré tout, tu parviens à glisser quelques inquiétudes à ton médecin traitant. Tu évoques, gênée, les problèmes de transit que tu rencontres. Tu es favorable à tous les examens qu’il pourrait te prescrire. Toi-même, tu t’es renseignée sur le net. Le docteur t’écoute. Il demande si tu es stressée en ce moment. Il dit que l’on va surveiller « ça ». Au passage, il te rappelle de pratiquer un sport, même à petite dose, et de faire attention à ton poids. Il faut avoir une hygiène de vie parfaite pour oser se plaindre. Alors, on surveille « ça » durant des années. Oui, des années sans examens plus poussés. Tu finis par croire que c’est vraiment dans ta tête. Les douleurs sont variables et fluctuantes. Difficile pour toi de faire le lien. Elles ne sont visiblement pas assez présentes pour inquiéter un médecin.
Un jour, tu entends parler d’endométriose. Un mot compliqué que tu as du mal à prononcer au début. Tu aperçois quelques têtes connues à la télé comme Laetitia Millot ou Enora Malagré. Tu suis de loin leurs problèmes de fertilité sans te sentir concernée car tu as eu la chance d’avoir deux enfants très rapidement. Tu te sens malgré tout désolée pour elles et toutes celles qui en souffrent. Solidarité féminine, unies par le lien invisible de la douleur.
Les mois s’enchainent et se répètent plus ou moins intensément. Tu n’as pas besoin de connaitre la date de tes règles, car elles sont prévenantes. Elles annoncent toujours leur venue à l’avance. Les seins gonflent, le ventre s’arrondit, tu te sens lourde une semaine plus tôt. La veille, tu fais une crise. Depuis des années, ton transit est en vrac à cette période.
C’est tellement le foutoir, que tu anticipes tes déplacements, tu angoisses à l’idée de ne pas avoir de wc à l’endroit où tu dois te rendre, tu crains même les embouteillages. Tu es heureuse d’être en repos les deux premiers jours de tes règles pour ne pas les subir au travail. C’est déjà arrivé de passer ta journée sans sourire, en mono-pensée, sur la tâche à accomplir, à tenter d’ignorer cette douleur que tu reconnais, te perforer le ventre. Tu grimaces tout au plus. Inspire et expire lentement. Ça va passer. Ça va passer. Encore quelques secondes. Oui, ça passe. Coup d’œil à tes collègues. Personne n’a remarqué.
Deuxième assaut de la douleur quelques minutes plus tard. Puis un troisième et un quatrième. L’Advil n’a rien fait cette fois-ci.
Ce jour-là, tu es partie du travail à moitié pliée. Tu as claqué la porte de ta voiture et tu as chialé. Personne ne pouvait te voir.
Tu rentres chez toi, et tu t’allonges sur le canapé à la recherche d’une position qui fera disparaitre la douleur. Tu en trouves enfin une mais il est déjà temps de passer à table. Tu te dis que c’est fini, la crise est passée, que tu vas pouvoir reprendre un rythme normal. A peine levée, la douleur revient en force. Insoutenable.
Tes nerfs craquent. Sous les regards inquiets de ton chéri et de tes enfants, tu ne trouves plus les mots. Maman a mal. Maman est fatiguée. Maman a vraiment mal. Mais tu ne dis rien. Tu avales ton repas en évitant de croiser leurs regards. Tu refoules au maximum tes larmes et tu t’excuses de quitter la table précipitamment. Tu retournes sur le canapé.
Vers 17h, tu te lèves sans difficulté. La douleur s’est envolée comme par magie. Tu restes une seconde dubitative. Comment peut-on souffrir à ce point et se sentir aussi sereine ensuite ?
Chéri s’interroge. Est-ce normal d’avoir des règles si douloureuses ? Oui, lui réponds-tu avec conviction, mais tu t’en veux d’être si faible. Tu ne fais pas honneur aux femmes. Souvent fatiguée, souvent avec un bobo ici et là, souvent préoccupée, la douleur finit par t’avoir à l’usure.
Usée et anxieuse, car ta fille approche de la puberté. Tu te refuses à lui transmettre quelque chose que tu ne maîtrises pas. Chérie, les filles doivent souffrir. Non. Ce n’est pas ce que tu souhaites lui dire.
Tu prends rendez-vous auprès d’une sage-femme pour un dépistage du col de l’utérus.
Tu te retrouves face à une inconnue, plus jeune que toi, souriante, qui te met à l’aise tout de suite. Tu te dis que c’est l’occasion d’aborder le sujet, qu’entre femmes, il y aura peut-être davantage d’écoute. Tu racontes l’épisode de tes dernières règles. Elle écoute. Elle te pose d’autres questions. Problème d’infertilité ? Rapport sexuel douloureux ? Sciatique régulière ? Douleurs lombaires ? Transit difficile ? Douleur à l’épaule ?
Tu réponds avec beaucoup de franchise à toutes ses questions. Tu oses dire ce que tu n’as jamais osé évoquer avant car elle t’écoute vraiment. Tu oses enfin dire que tu as mal. Vraiment mal. Le dernier rempart de la dignité s’effondre.
A la fin de l’échange, elle soupire. Elle suspecte une endométriose. Tu es surprise. Tu insistes sur le fait que tu as des enfants, et que les médecins t’ont dit que ton corps était fait pour pondre une équipe de foot.
Elle insiste et t’explique ce qu’est l’endométriose. Elle s’est formée un an plus tôt sur la question. A mesure des explications, tu prends conscience que tu ignores absolument tout de cette maladie, et les larmes aux yeux, tu reconnais tes douleurs.
L’endomètre est un tissu qui se gorge de sang tous les mois. Quand les ovaires sont aspirés dans les trompes, ils percutent les parois où se trouvent l’endomètre. Ding, dong ! Bonjour les règles.
Mais voilà, il se peut que des résidus d’endomètre migrent en dehors de l’utérus. Selon l’emplacement de sa résidence secondaire, il peut interagir avec d’autres fonctions du système. Trop proche de l’anus, le transit sera perturbé, sur l’ovaire et ça sera des problèmes de fertilité… l’endomètre remplit constamment sa fonction. Il se gorge de sang dans l’utérus mais désormais aussi à l’extérieur. La zone est inflammatoire.
Un mot, des maux. Tu peux avoir un ou plusieurs symptômes, le plus courant étant la douleur. Tout dépend où migre l’endomètre. D’une femme à une autre, les douleurs seront différentes.
Elle te prescrit une échographie et une IRM au cas où l’échographie se révèle négative. Elle te prévient sur la difficulté à poser un diagnostic. Non pas que ça soit difficile à trouver mais le corps médical n’est pas formé à chercher l’endométriose. Elle te recommande un service qu’elle sait être bien pour cet examen. Elle t’assure qu’elle ira jusqu’au bout des recherches.
Tu la remercies. Tu prends tes affaires et tu la remercies encore. Et une troisième fois (ce n’est pas de trop).
Tu claques la porte de ta voiture et tu chiales. Non pas de douleur mais de soulagement. Tu vois une issue. Certes, il n’y a pas de traitement magique mais, ce mot est un médicament à lui seul. Ta douleur n’est pas née dans ta tête. Elle est palpable, visible sur un écran d’échographie. Ta douleur porte le nom d’endométriose. Elle est connue depuis 1860 mais ne fait pas partie des études médicales.
Mais ton échographie pelvienne est négative. Tu avais placé beaucoup d’espoir dessus alors la déception l’emporte. Tu obtiens une IRM que deux mois plus tard. Plus le temps avance et moins tu y crois.
Aujourd’hui, premier avril, alors que le temps est détraqué, qu’il neige tandis que les bourgeons sont déjà en place, tu passes ton IRM.
Trente minutes d’avance, dix minutes de préparation, vingt minutes d’examen, et encore vingt minutes d’attente pour rencontrer la radiologue. Une femme en blouse blanche se présente à toi, souriante, et te demande quelles sont tes douleurs. Elle t’écoute et à la fin elle t’annonce qu’ils ont vu des adhérences dans une zone connue pour être un terrain propice à l’endométriose. Elle enchaine sur « voulez-vous des enfants ? » et d’autres questions, elle évoque des traitements hormonaux pour arrêter les règles et même de la chirurgie si l’autre option ne fonctionne pas.
C’est con, mais tu buggues. Ça tombe comme ça. Ton chéri t’attend dans la voiture. Tu le rejoins encore sonnée.
Tu reviens chez toi et tu écris ces mots. Tu les écris d’abord pour toi mais surtout pour les autres. Il y a encore trois mois, sans la rencontre de cette sage-femme, tu serais encore dans l’ignorance. Grâce à elle, tu sais ce que tu as. Et savoir c’est déjà moins de stress, d’inquiétude, et de culpabilité.
Aujourd’hui, beaucoup de femmes ignorent qu’elles sont porteuses de cette maladie faute d’écoute. Il y a une vraie méconnaissance de toute part et surtout du corps médical.
Ecoutez-vous surtout. Être une femme n’est pas la cause à tous les maux.
Merci d’avoir pris le temps de me lire.
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