L'Amour Commence Demain
J'ai beau réfléchir, je ne vois pas au nom de quoi, nous deux, ça ne pourrait pas marcher.
Tu t'appelles Manon. J'ai aimé ce nom immédiatement. Même si, tout un temps, je l'avais associé aux pralines. Il n'aura fallu qu'une passionnée morsure dans la pulpe de tes lèvres sucrées pour me faire oublier qu'un jour, un jour, il y eut d'autres délices que toi. Tout n'était pas gagné. Et, si je veux être réaliste, rien ne l'est vraiment. Notre histoire charnelle ne devait durer qu'un soir, c'était ce qui était prévu. Ni toi, ni moi ne voulions plus. Mais l'amour, Manon, ça ne se commande pas. C'est ce qui en fait toute la magie.
J'ai revécu cette courte soirée, encore et encore. Chaque fois avec plus de plaisir, chaque fois avec moins de pudeur. Des tonnes de tonnes de revues cochonnes, des milliards de sites pornographiques en libre accès, mais rien, rien ne peut plus me faire autant brûler que la simple pensée de ce moment que nous avons partagé. Y penses-tu aussi ? Je suis sûr que oui. Peut-être, comme moi, en fais-tu même de troublants rêves. As-tu entendu quand j'ai soupiré que je t'aimais ? C'était intimidant, tu sais ? J'aurais voulu savoir si j'avais rougi en te le disant. Il faisait trop noir pour te le demander et, de toute façon, toi, tu étais rouge. Je le savais. J'ai l'impression d'avoir découvert tant de toi en si peu de temps. Pourtant, nous avons été à l'essentiel assez vite. Je n'aurais pas pu résister davantage à tes signes, mon amour, mon feu d'un soir.
Est-ce que ton entourage me juge ? Probablement. Ils ne peuvent pas te juger toi, tu es des leurs. Moi, je n'étais qu'un étranger, une déviation dans une voie que ta famille, tes amis, ton mari voulaient trop droite, prédéterminée. Comme une route sans sel dans un pays où on ne tolère pas la neige. Je ne leur en veux pas de considérer que je suis un ennemi. Je ne compte même pas leur faire changer d'avis. Comment le pourrais-je ? Ils ne voudraient pas me rencontrer, ni moi non plus. Et je ne peux pas te faire vox amoris, ils ne verraient que mes mots à travers les tiens et te penseraient inapte à vivre ce que nous partageons. C'est comme ça que je t'aime, Manon, quand tu es toi. Même si ça nous détruit tous les deux.
J'ai déchiré ta robe, c'est vrai. Ce n'était pas discret. J'avoue ne pas avoir pensé à ton retour chez toi, à ce que tu devrais dire, ou prétendre, pour expliquer notre rencontre. Elle était belle, ta robe. Seul ton corps nu pouvait la sublimer. Et il l'a fait, tandis que je ne me compromettais pas à t'exposer toute ma peau. L'essentiel, toujours. Mais j'avoue avoir aimé sentir tes mains poigner dans mes hanches pendant l'étreinte. Avec ta force, avec ta passion. J'aurais eu des marques sans mon cuir, ma chemise chiffonnée entre tes doigts et mon pantalon qui battait d'une oreille depuis que j'avais débouclé ma ceinture. Les cliquetis ont rythmé nos ébats, tout comme tes gémissements et, je te le concède, quelques grognements de ma part. Je me suis pourtant retenu. J'aurais voulu hurler. Pas comme un possédé, ni une bête. Simplement comme un être libéré, accepté dans ce qu'il est, ses bons comme ses mauvais côtés. Je t'ai, en ce sens, tout dévoilé. Tu as été la première à me faire cet effet, jolie petite Manon aux lèvres sucrées.
Je ne peux pas m'interdire de ressentir, il est trop tard. Sans doute l'avais-je déjà trop fait par le passé. Je suis un instinctif qui s'est abandonné à toi. Poser des pensées raisonnées sur ce que tu me fais vivre est impossible. Je n'ai pas le vocabulaire d'assez de langues pour égaler celle de ton corps. Je ne peux que décrire les effets de cette chose sans nom. Tu m'épanouis. Je suis heureux depuis que je te connais, comme personne d'autre n'a pu te connaître. Et quand une voix en moi me dit que je fais fausse route, qu'il n'y a pas d'avenir pour nous, je la chasse, blessé, mais debout.
Pourquoi ne devrait-il pas y avoir d'un nous deux demain ? Est-ce parce que je t'ai fait pleurer ? Toi aussi, tu m'as fait souffrir, ma chérie. Tous ceux qui s'aiment se torturent. Et tu criais si fort, dans ce parking. Ca résonnait de partout. Tu imagines, si quelqu'un nous avaient surpris ? J'aurais dû arrêter, Manon ma douce. Tu te serais sauvée, je n'aurais plus jamais pu t'approcher. Et tu étais la seule fleur de ton immeuble que je voulais cueillir. Toi et toi seule, toi que j'avais choisie depuis si longtemps. Il a fait froid bien des nuits dans ce parking, mon amour. Seul ton feu pouvait me réchauffer.
Dois-je renoncer à toi parce que tu pourrais me reconnaître ? J'ai essayé de te tuer, je te jure que j'ai essayé. C'était idiot, je me disais que si je ne t'étranglais pas assez fort, tu aurais pu simuler, ou reprendre un second souffle sitôt que je serais parti. Ou bien, quelqu'un aurait pu te sauver avec du bouche-à-bouche, profaner le sanctuaire de tes lèvres de ses intentions imbéciles. Je comptais t'étouffer, mon amour. Mais sur le moment, je n'ai pas trouvé de meilleure solution que mes poings pour te faire taire. Pour immortaliser cette union qui devait être la dernière chose que tu verrais. Je n'ai pas pu t'offrir un tel présent, Manon, ma pauvre Manon. Et je me sens misérable de ne pas avoir frappé assez fort.
Je sais que tes lèvres ne sont plus les mêmes, aujourd'hui. Peut-être ton visage est-il encore tuméfié par-ci, enfoncé par-là. Il faut que tu saches que j'assume tout à cent pour cent. Même défigurée, je t'aime quand même. Comme au premier jour. Ta salive aura le même arôme mêlée à la mienne, tu ne crois pas ? On ne doit pas regretter le passé. Je te pardonne et suis prêt à vivre avec toi dans ce monde. Même si je sais qu'une partie de moi s'en voudra toujours. Je suis un angoissé, Manon des sources. Rien ne sera jamais assez parfait pour toi.
J'ai une bonne nouvelle. Je sais que tu vas déménager, à ta sortie de l'hôpital. Encore une idée de ton mari, Monsieur "Pour-bien-faire" qui ne comprend rien de ce qu'il nous arrive. Mais j'ai une solution, Manon ô ma raison. Je vais venir te voir demain soir, dans ta chambre. Et par égard envers ta langue sectionnée, tu n'auras pas à parler, tu n'auras à rien dire. C'est moi qui m'occuperai de tout. Je me suis entraîné, depuis. Tu sentiras l'étendue de mes progrès, j'en fais la promesse.
Pour toi aussi, l'amour commence demain.
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