Les filaments rouges
Les sirènes l'avaient attiré ici, tout en haut de la butte Montmartre. Les cloches du Sacré-Coeur avaient sonné à ses oreilles, et il n'avait pu se soustraire à l'attraction.
Il était las maintenant, échoué depuis trop longtemps en haut de l'escalier, baleine fatiguée, l'épiderme grillé au barbecue d'un soleil gourmand. Les filaments rouges de ses yeux accrochaient les mini-jupes et les piercings au nombril qui refluaient du Sacré-Coeur en un courant homogène hémorragique. Mais le reflux touristique n'était pas assez fort pour l'emporter au large. Il passerait encore des heures extensibles sur ce palier de décompression avant de refaire surface...
Comme il se fossilisait sur les marches, les siècles allèrent et vinrent autour de lui, ressac millénaire. L'érosion l'aurait endormi à tout jamais, si un cri ne l'avait réveillé. Il se dissocia alors du socle de pierre, et, bravant la pesanteur, se leva enfin. A la vitesse sourde d'une déformation géologique.
Il pressa si fort sur ses paupières, pour arriver à voir qui l'appelait au dedans, que ses yeux glissèrent en lui, dans ses propres ténèbres. Tombés au fond du puits, ils firent plouf !
Et son âme résonna sur la même fréquence que les cloches du Sacré-Coeur. Déstabilisée par la vibration, sa tête se remémora les marches, qu'elle écrasa de tout son poids, pleine comme un œuf. Les filaments rouges glissèrent hors de lui, et sinuèrent le long de l'escalier, anguilles assoiffées, en direction du large.
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