Alban

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La chair d’Alban était immaculée.

Il avait été abandonné par ses parents, effrayés par son étrange blancheur, puis projeté au cœur sombre de ce monde charbonneux, où l’on se cachait derrière ses rideaux, où chacun restait chez soi, dans la pénombre douce et rassurante de l’intimité.

Les êtres apeurés qui peuplaient ces clapiers souterrains n’étaient que l’ombre d’eux-mêmes. Aveugles aux autres, ils avaient les yeux lumineux. Ce faisceau blafard était leur canne blanche. Mais leur regard n’éclairait que des murs noirs comme la suie.

Alban, lui, n’avait pas les yeux lumineux. Sa blancheur le rendait visible dans l’obscurité, mais il ne pouvait voir personne. Tâtonnant au hasard, il se perdait dans les dédales de ténèbres et demandait de l’aide, mais chaque quidam rencontré projetait sur lui sa peur la plus intime ou sa haine la plus viscérale. Sur le visage pâle d’Alban, c’étaient, selon les rencontres, les traits de l’ex-mari violent qui apparaissaient, ceux du patron honni ou de la mauvaise mère. La police vit en lui l’ennemi public n°1 dont parlaient les journaux.

Renvoyé d’une identité virtuelle à l’autre, épouvantail humain, Alban était fui et pourchassé. Il se réfugia dans l’une des cheminées poisseuses qui, disait-on, crachait le trop plein d’obscurité dans le bleu du ciel. Mais personne n’avait jamais vu le ciel car les regards lumineux, le plus souvent baissés, ne portaient pas aussi loin.

Après une longue ascension, Alban émergea enfin du monde souterrain. La surface de la terre était un endroit lumineux, éclairé par deux soleils. Sur son corps pâle, les rayons projetaient mille couleurs chatoyantes, toujours en mouvement. Arc-en-ciel liquide, aquarium kaléidoscope, peintures ondoyantes, le spectacle reflété par le corps d’Alban émerveilla les habitants de la surface.

Depuis la nuit des temps, ils vénéraient les deux soleils, qu’ils considéraient comme les yeux de leur créateur. Puisque seul Alban était à même de révéler ces couleurs divines tombant du ciel, invisibles en temps normal, ils le prirent pour le fils de Dieu.

Ils lui construisirent un château et la vie d’Alban devint celle d’un prince. Il eut tout ce qu’un homme pouvait rêver: victuailles, femmes, luxe, divertissements. Mais Alban n’était pas heureux. Il tournait en rond dans son palais. Cette vie n’était qu’un déguisement que d’autres avaient décidé de lui faire porter. L’enthousiasme avec lequel ils l’avaient accueilli le laissait aussi perplexe que la détestation qu’il suscitait, plus bas, dans le monde de la nuit.

Et pourtant, une partie de lui avait envie de plaire à ses hôtes. Pour se sentir intégré, enfin. Pour ne plus être une âme solitaire. Un jour, ses sujets organisèrent pour lui la plus somptueuse des fêtes. Ce fut un spectacle haut en couleurs, dont le clou devait être... le sacrifice d’une jeune femme en l’honneur d’Alban!

Tout en haut d’une pyramide de verre, face aux deux soleils qui projetaient sur son corps mille couleurs, Alban attendait son heure sous les vivats de la foule. Quand le prêtre lui présenta le poignard avec lequel il devrait effectuer le geste rituel du sacrifice, Alban s’exécuta, mu par une volonté qui n’était pas tout à fait la sienne, brandissant l’arme affûtée au dessus de l’autel.

Mais alors, il croisa le regard de la jeune fille étendue devant lui, vouée à mourir de sa main. Et ce regard lui transperça le coeur. Il réalisa enfin toute l’horreur de l’acte qu’il s’apprêtait à commettre et le rouge de la honte lui monta au visage.

Dans le même temps, sous l’effet conjugué des deux soleils, tout son corps s’empourpra, noyant sous un rouge cramoisi les couleurs qu’avait tant apprécié la foule. Alban, envahi de dégoût, laissa tomber son poignard. Sous l’effet d’une double déception, le public se mit à l’insulter.

Les ordonnateurs firent emprisonner avec la jeune fille ce faux dieu immaculé qui les avait bernés.

Après quelques jours, la peau d’Alban se mit à brunir, et à se confondre avec les ténèbres du cachot. Profitant de son invisibilité, il assomma le garde qui leur apportait à manger, et s’enfuit avec la jeune fille. Il traversa avec elle les montagnes pour l’aider à retrouver sa famille, qui l’accueillit comme l’un des leurs.

Ses parents proposèrent à Alban l’hospitalité. « Vous êtes ici chez vous. Restez tant qu’il vous plaira. » Mais celui-ci refusa, et, se tournant vers la jeune fille, justifia son départ : « Je suis un caméléon à la recherche de ses propres couleurs. Qui serai-je demain ? Pourras tu encore me faire confiance ? » Elle posa sur lui un regard droit, transparent et miroitant comme l’eau de source. « Je te fais confiance car je t’ai rendu meilleur, et rien ne peut briser cet enchantement. »

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