-Lukh-

Lukh regarda Bonaïh avec dédain tout en pensant que c’était vraiment un gros imbécile. Mais malgré cela, il se força à ne pas faire de remarques désagréables à son sujet, de peur d’être renvoyé ou tout simplement puni sévèrement. Pour une fois dans sa vie, il devait tenir sa langue et rester calme.

Il regarda Lënah, qui se tenait bien droite et qui affichait une mine neutre. Il pensa :

Pour elle, on dirait que c’est facile de rester droite comme un i sans rien faire.

Il essaya donc de l’imiter mais il força trop fort sur son dos pour le tenir droit, un petit « crac » se fit donc entendre.

Heureusement pour Lukh, seule sa sœur l’avait entendu. Elle se retourna vers lui avec un petit sourire en coin. Lukh lui fit une grimace en retour, pas question qu’elle se fiche de lui aussi facilement. Liah lui tira la langue et il s’apprêta à lui faire un signe de la main particulièrement grossier quand il fut coupé par Bonaïh :

• Bien ! Maintenant que vous êtes tous en place, des assistants vont passer devant vous pour vous demander votre nom, votre prénom, votre capacité, si vous en avez une, et votre élément, si vous en avez un. C’est avec ces renseignements que nous constituerons les trinômes de colocataires. Je compte sur vous pour leur répondre.

Lukh se retint de lever les yeux au ciel tout en pensant :

On n’est pas des lapins de six semaines, on sait que quand on nous demande quelque chose, il faut répondre. Non mais il nous prend pour qui ce type !

Il observa la foule autour de lui et remarqua que seulement deux assistants prenaient des notes, l’un pour la rangée des rapides, l’autre pour celle des forts. Bonaïh, quant à lui, en avait profité pour s’assoir sur une sorte de trône en ébène avec des rubis incrustés dedans. Le trône était posé sur une estrade, en ébène elle aussi, qui était décorée d’émeraudes. Les pierres précieuses, avec le soleil, se reflétaient sur les yeux des jeunes elfes et certains passaient leurs mains devant leurs visages pour se protéger de cette intense lumière. Lukh, lui, ferma les yeux.

Il fut tiré du noir de ses yeux clos par un petit coup de coude. Il ouvrit donc brusquement les yeux et se rendit compte que c’était Liah qui l’avait bousculé. Il s’apprêta à lui rendre son geste quand il remarqua la raison pour laquelle sa sœur avait agi ainsi. C’était à son tour de répondre à l’assistant !

Il retint son geste in extremis puis se redressa, prenant la posture la plus droite possible tout en prenant garde à son dos.

L’assistant lui demanda :

• Pouvez-vous me donner votre nom et votre prénom ?
• Oui, je m’appelle Lukh Walkër.
• Avez-vous une capacité ? Si oui, quelle-est-elle ?
• J’en ai une, c’est la rapidité.
• Avez-vous un élément ? Si oui, lequel ?
• J’n’en ai point, répondit-il en imitant la voix de Bonaïh.
• Merci pour vos réponses.
• De rien.

Lukh sourit du mieux qu’il put à l’assistant mais celui-ci s’était déjà penché vers son cahier de notes pour y inscrire les informations qu’il lui avait données. Lukh pensa qu’il devait être débordé, en vue de tous les elfes qu’il devait interroger.

Il vit que l’assistant était déjà passé à Lënah, qui répondait aux questions. Les interrogations devaient être bientôt terminées car Lënah était l’avant-dernière de la troupe des rapides. Encore une minute et il saurait avec qui il logerait. Une chose était sûre, il voulait être avec Liah.

Quand les assistants eurent fini de recenser les informations sur les jeunes elfes, ils donnèrent les listes à Bonaïh. Celui-ci les prit et descendit lentement de son trône tout en regardant l’assemblée d’elfes de son air dédaigneux habituel. Il lâcha ensuite :

• Je commence par les forts. Lînah, Kormanh et Polih, au Temple d’Aragânh, chambre 1. Julîh, Gorgah et Mirtâh, au Temple d’Aragânh, chambre 2.

Lukh remarqua que tous ceux que Bonaïh appelaient étaient en fait dans l’ordre du recensement de l’assistant des forts. Il s’insurgea intérieurement :

• Au lieu de faire travailler ces pauvres hommes pour rien, il n’aurait pas pu tout simplement choisir sans liste dans l’ordre de la rangée ?!

Lënah le tira de ses pensées en chuchotant, à lui et sa sœur :

• Dans ce lieu de Cérémonie, nous sommes venus à 500 ce qui représente le quart des elfes ayant eu douze ans cette année dans notre pays. Deux-cent-trente-six personnes ont obtenu des capacités de rapidité, deux-cent-trente-six autres des capacités de force, en comptant ceux qui ont obtenu un élément en plus d’une capacité. Vingt elfes n’ont eu qu’un élément et huit sont repartis bredouille. Ainsi sont les chiffres de toutes les Cérémonies, ça se passe tout le temps comme ça. On a donc 27 temples normaux comportant chacun trois chambres de trois personnes. Mais il existe deux temples référents. Un pour les forts et l’autre pour les rapides. Ces deux temples possèdent chacun une chambre pour trois personnes.
• Houlà, tu m’as perdu avec tous tes calculs !
• Moi j’ai compris, affirma Liah avec un air innocent qui voulait dire tout sauf ce qu’elle venait d’exprimer.

Lënah leva les yeux au ciel et continua :

• Bref, quand j’étais enfant, je rêvais d’être dans un temple référent, pour avoir quelque chose de spacieux.
• Ouais, dit comme ça c’est plutôt cool comme logement, commenta Lukh.

Ils arrêtèrent de parler car Bonaïh venait de prononcer le nom de Liah. Ils retinrent tous leur souffle.

Lukh pensa :

Logiquement, il va prendre les personnes à sa suite dans le recensement et il s’agit de Lënah et moi !

Bonaïh continua, Liah était suspendue à ses lèvres, attendant de savoir ses colocataires.

Sans surprise pour Lukh, Bonaïh déclara :

• Avec Lukh et Lënah, au Temple de Körkush. Chambre unique.

Lukh était déstabilisé, que signifiait « chambre unique » ?

Il le comprit bien vite car Lënah lui expliqua, tout en peinant à masquer son excitation :

• Nous sommes logés à Körkush ! C’est le temple référent des rapides. Tu sais, celui où il n’y a qu’une seule chambre, celui qui est spacieux !
• Ah oui, celui-là, répondit Lukh machinalement.

Il suivit ensuite sa sœur et Lënah à travers le petit sentier qui menait à leur Temple. Chacun tenait son bô en main et Lukh s’en servit comme canne pour marcher. Lënah s’en rendit compte et le regarda bizarrement. Il leva donc son arme et la tint comme sa sœur, pour ne pas se faire une nouvelle fois fusiller du regard.

Quand ils arrivèrent devant Körkush, Lënah poussa un cri d’excitation et ses oreilles remuèrent. Liah, quant à elle, resta bouche-bée.

Lukh ne fit rien, même s’il devait admettre que le bâtiment était plutôt joli. Sa façade était noire et sertie de symboles peints en blanc représentant la rapidité. Lukh le savait car les mêmes symboles figuraient sur le front de Lënah. Il avait vérifié, ils étaient identiques.

Ils s’approchèrent des épaisses portes du bâtiment et un elfe plutôt âgé en sortit avec un trousseau de clé accroché à son pantalon. Il se frottait les mains et semblait fredonner un air tout en sautillant. Lukh put déceler :

« Dâdyë, fa’dï bool »

Il pensa que c’était de l’ancien elfique mais vu la tête que Lënah affichait, il devait juste faire du yaourt.

Quand l’elfe semblant enfin les voir, il les salua :

Bien le bonjour, jeunes elfes. Mon nom est Haïmh. Je suis votre majordome pour vos trois années à Körkush. Prenez vos aises !

• Heu, pour prendre nos aises, comme vous dites, souligna Lukh, on pourrait entrer siou plaît ?
• Bien sûr !

Il ponctua ses mots en ouvrant la porte à l’aide d’une clé de son trousseau. Les jeunes elfes entrèrent donc, suivis par leur majordome.

• À nous la découverte ! lâcha Lënah avec excitation.