3. Échange de confidences

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Bien sûr, Harry ne répondait pas. Toujours absent quand on avait besoin de lui. Tant pis pour lui, je le destituai de ses fonctions de confident en chef. Qu’il ne vienne pas après se plaindre de mon manque de chaleur ou de gentillesse. Moi, quand je donnais une chance à un mec, c’était une fois pas deux. Il pourrait se brosser pour qu’on discute encore en tête à tête (d’autant que je n’étais pas dupe et voyais très bien qu’il espérait fortement que nos entretiens se concluent par un tête-à-queue).

En attendant, j’en avais gros sur la patate et je ne savais pas comment me soulager.

Les autres mecs que je connaissais ne méritaient pas de recevoir mes confidences. Ils n’étaient pas suffisamment au courant de mon problème.

De plus, ils appartenaient tous plus ou moins au milieu du cinéma (beaucoup d’acteurs dans le tas) ce qui n’arrangeait rien. Quant aux nanas, elles éprouvaient tant de jalousie à mon égard que de me savoir mal en point les raviraient.

Or, il n’était surtout pas question de leur donner ce plaisir. Devant elles, je préférais cent fois plus afficher un smile inoxydable que de montrer un bout de fissure. Même les requins ont l’air de madrigaux à côté de ces bitches congénitales.

Après avoir traversé la rue, je pénétrai dans un café et m’installai au comptoir.

A priori, si les choses suivaient leur cours normal, un inconnu m’aborderait dans pas plus d’une minute quarante-deux et je pourrais lui dire tout ce que j’avais sur le cœur.

- Je peux m’asseoir à côté de vous ?

Sans décoller les yeux de mon Iphone 7, je hochai de la tête.

Première faute du quidam, il avait mis plus de trois secondes que le temps maximum pour m’accoster. Je me demandais si je n’allais pas l’ignorer pour la peine. Faire genre qui qui m’parle ? Arf, c’est juste un courant d’air.

En même temps, j’étais encore à cran et j’avais super besoin d’une oreille. Voire de deux si possible et qu’elles soient grandes ouvertes.

- Euh, je ne veux pas vous paraitre désobligeant mais vous m’avez l’air au bord du gouffre. Si je peux vous aider en quoi que ce soit, par exemple en commençant par vous offrir quelque chose, ce serait de bon cœur.

Abasourdie par les propos du type, Je le dévisageai. Je faillis tomber à la renverse quand je reconnus James Franco.

Oh, ce n’était pas cette fois-ci, un personnage de film. Non, c’était l’acteur en chair en os. Celui qui avait connu le succès au début des années 2000 en interprétant Harry Osborn dans les trois Spiderman de Sam Raimi. Et qui avait maintenu le cap du succès en alternant blockbusters et films d’auteurs, artiste protéiforme capable d’interpréter avec le même brio et la même élégance, le docteur Will Rodman dans la planète des singes les origines et « alien », le dealer déjanté de Spring Breakers.

Il portait un tee-shirt blanc à manches courtes, un jean simple et délavé et des lunettes rondes de soleil à verres bleus qui, au lieu de le maintenir incognito, semblaient crier à tue-tête avec un porte-voix : Eh, les gens, derrière-moi se cache une grande star d’Hollywood ! Allo, tout le monde, vous l’entendez ? C’est James Franco qui me trimbale, ouais, James Franco !

D’ailleurs, certaines clientes d’abord intriguées par l’accessoire mataient avec de plus en plus d’insistance l’acteur tout en échangeant des mots enfiévrés.

Lunettes qu’il déplaça sur son front, un tantinet surpris :

- Eh ben, c’est la première fois que je produis cet effet sur une femme. Une flopée de boutons purulents auraient-ils surgi sur mon visage à mon insu ? Ā moins que ma peau ne se soit décollée sous l’action scélérate du smog, mettant à nu mes muscles.

Comme je restais coite, il poursuivit :

- Plus sérieusement, si vous désirez que je vous laisse tranquille dites-le moi et je m’en vais sur le champ.

- Non, fis-je en pensant que je faisais une connerie.

Un sourire de contentement éclaira son visage juvénile. Il prit ses aises sur le comptoir, y plantant ses coudes comme en terrain conquis.

Je frissonnai. Tous les regards des gens étaient braqués sur nous, curieux de ce qui allait suivre. Comme si nous étions des personnages d’une série télévisée ou d’un film.

Ironie du sort, le soleil qui avait finalement réussi à s’imposer, dardait l’un de ses rayons sur nous, renforçant cette impression pénible.

Dans un réflexe absurde, je me mis à espérer de toute mon âme que notre conversation n’accumule pas les clichés inhérents à ce genre de scène.

- Si je puis me permettre une suggestion : ils font des cocktails de fruits absolument sensass ici, reprit-il d’une voix moelleuse truffée de pépites au chocolat.

Je me retins in extremis de lui dire d’en choisir un pour moi. Pas question que le moment où il appellerait le serveur par son prénom pour commander deux caraïb’ginger se passe.

- Non, rétorquai-je. Je préfèrerais un café.

- Ça tombe bien, rebondit-il, les lèvres au firmament de la joie. Ce sont aussi des champions dans cette spécialité. Ils ont par exemple un arabica du tonnerre qui vient du Honduras. Et se tournant vers le garçon en train de ranger des verres, il dit : « Eh, Bar… »

- J’ai changé d’avis, le coupai-je. Finalement, je vais juste prendre de l’eau.

- Plate ou gazeuse ? demanda-t-il, nullement perturbé par mon brusque volte-face.

- Gazeuse. Et avant qu’il ne se tourne vers Barry (le prénom de serveur le plus répandu de la côte ouest), j’enchainai : non, je vais commander, tu veux quoi ?

- Euh, un jus de banane.

- OK, fis-je. Tout sera pour moi.

Coup d’œil rapide dans la salle. Parfait. Vu la teneur chiante de nos paroles, les trois-quarts des spectateurs s’étaient détournés de nous. De plus, le combo eau gazeuse jus de banane avait mis un coup dans l’aile à notre pseudo début de romance.

Nous ne nous regarderions pas les yeux dans les yeux en buvant nos jolies boissons colorées. Et je ne récolterais pas l’inévitable moustache de lait de coco qui permettra à James de caresser du bout du doigt le dessin de ma lèvre supérieure après un long fou rire complice. Très bien. On avait rejoint les bons rails. Je pouvais revenir à l’essentiel :

- Ça se voit tant que ça ? demandai-je à brule-pourpoint.

- De quoi ? grimaça-t-il, dérouté par ma question indéfinie.

- Bin, que je suis au bord du gouffre.

- Ah, se reprit-il en regagnant sa décontraction de glandeur accroc à la fumette. Tu veux que je te dise franchement, ma belle, ça se voit aussi bien que les trous de nez au-dessus des lèvres. Quand je t’ai vue, je me suis dit, oh la pauvre, si j’interviens pas, elle risque de se foutre en l’air.

- Eh merde.

- Désolé, mais c’est ce que j’ai ressenti. Je suis vachement sensible aux ondes que dégagent les êtres et les tiennes m’ont littéralement créé des doubles nœuds dans la gorge. J’ai pensé qu’il était de mon devoir de te rejoindre. Parler permet souvent de surmonter le mal qui nous ronge sournoisement l’âme.

Mouaip, j’aurais été moche, tu aurais passé ton chemin. Ta mansuétude ne s’étend pas plus loin que le bout de ta queue, man. Alors tes histoires d’hypersensibilité aux ondes, tu peux te les carrer bien profond dans le derche à côté de tes désirs d’aider ton prochain et de tes résolutions du nouvel an. Le moment était d’ailleurs venu de mettre les points sur les i avec lui entre parenthèses.

- OK, fis-je. Mais que les choses soient claires entre nous, James. Je n’ai aucunement l’intention de faire quoi que ce soit avec toi après notre conversation. Pigé ?

- Cela va de soi, en convint-il. Loin de moi l’idée de faire quoi que ce soit avec toi de toute façon. Ma démarche est strictement désintéressée. Si les gens se parlaient spontanément et sans arrières pensées, le monde serait un gros bonbon à la cannelle. Il m’adressa un sourire qui se voulait à l’image de cette confiserie infecte : Alors ? Qu’est-ce que tu as sur le cœur, miss ?

Toute ambigüité étant levée, je fis mon grand déballage dans le désordre plus complet. D’abord je lui parlai en détails des cauchemars qui me hantaient. Puis je lui fis part de mon idée quant à leurs origines. Ā mon avis, ils avaient été générés par mes coucheries successives avec des acteurs célèbres (pendant un dixième de seconde des éclats lubriques constellèrent les yeux de James Franco). J’ajoutai qu’en général je n’éprouvai pas d’attirance particulière pour eux, les circonstances avaient voulu que les choses se passent ainsi et c’est tout.

D’autre part, je n’aimais pas spécialement le cinéma et ne rêvais pas de devenir actrice comme beaucoup de jeunes femmes ici. Le fait que je vive dans la capitale du septième art n’était que le fruit du hasard et n’avait été nullement dicté par mon désir de percer là-dedans.

Pour preuve, j’avais refusé à plusieurs reprises maintes propositions émanant de grands producteurs ou de grands réalisateurs. Alors pourquoi le sort s’acharnait-il sur moi ? Pourquoi le cinéma, tel un monstre pervers et ricanant, se délectait-il à me rappeler sa présence sous diverses formes ?

J’avais le sentiment que plus je le fuyais plus il s’accrochait à moi. Et, j’en étais certaine, il ne s’agissait là que du commencement. Les cauchemars de plus en plus tangibles et précis annonçaient quelque chose de bien plus grave et inquiétant (j’évitai de lui parler de ma crainte que des éléments filmiques s’immiscent dans ma vie réelle, telle l’amorce de notre scène de rencontre). Comme si, pour l’instant, le cinéma s’amusait à me mordiller les mollets avant de se jeter sur moi pour enfoncer ses crocs dans ma chair et me bouffer les entrailles.

Après ma tirade, James Franco resta plusieurs secondes la bouche entrouverte.

Il saisit son verre de jus de banane, le souleva, l’immobilisa à la moitié du chemin menant à ses lèvres, le reposa à son endroit initial, le tourna légèrement et souffla.

- Bien sûr, me sentis-je obligée de préciser, c’est pour te donner une idée de mon ressenti que j’ai utilisé cette image. Ne crois pas que j’ai peur d’être dévorée par un multiplex transformé en bête sanguinaire (quoi que pensai-je).

Il hocha plusieurs fois de la tête avec un air entendu.

- Non, non, j’ai bien compris, m’assura-t-il gravement. C’est marrant parce que j’ai pratiquement vécu un truc similaire.

- Ah bon ? m’exclamai-je.

- Oui, sauf que moi c’était avec des infirmières. Comme toi, je n’ai jamais été porté sur le médical. Les hôpitaux, la maladie, les opérations à cœur ouvert, très peu pour moi. Bref, le hasard a voulu qu’un pote m’invite à une soirée infirmières et que le courant passe bien avec l’une d’elle. On couche ensemble et une semaine plus tard, je me pète un bras au ski. Séjour à l’hôpital et sans que je le veuille, je culbute une nouvelle blouse blanche la veille de mon départ. Ā ce moment-là, des pansements et des bistouris apparaissent dans mes rêves et je comprends qu’il s’agit d’un avertissement. Si je continue dans cette voie, je vais prendre cher, très cher.

- Qu’est-ce que tu as fait alors ? Dis-je en contenant mal mon excitation.

Tripotant son verre de jus de banane, il m’adressa un sourire étrange qui détonnait de la panoplie exhibée jusque-là.

- Qu’est-ce que tu m’offres si je te le dis ? susurra-t-il, l’accent vicieux et le regard arracheur d’étoffes.

Évidemment. Comment avais-je pu être aussi naïve ? Devant une nana aussi bandante que moi, un mec restera toujours un mec. Sa libido en effervescence mettra ses pensées sous bourses d’où elles ne s’échapperont pas. Drame de celles qui sortent du lot et possèdent une plastique impeccable.

Devant mon silence consterné, l’acteur ne se démonta pas :

- Allons, ne fais pas ta bêcheuse. Il y a un hôtel en face, on a juste à traverser la rue et à faire crac-crac. Après promis, je te donne le tuyau. Tu verras, tu ne le regretteras pas.

Me bobardait-il ? Et sinon, son info valait-elle la peine que je me donne à lui ? Je soupesai son offre de crevard tandis qu’il commençait à montrer des signes de fébrilité, se mordillant la lèvre inférieure et tapotant de l’index son verre décoratif ? de jus de banane.

- Ok pour l’hôtel, admis-je. Mais nous ne baiserons pas. Ā la place, je te propose un simple préliminaire.

Passé en un éclair de la lumière de la satisfaction à l’ombrage de la contrariété, son visage tacha de se recomposer un sourire cool :

- Un simple préliminaire. Qu’est-ce que tu entends par là ? Une pipe ?

- Non, une branlette. Ā deux doigts. Et j’ajoutai d’une voix inflexible : C’est à prendre ou à laisser.

Mi-fiévreux mi-dégoûté, James Franco se leva.

- Ok, c’est bon, dit-il. Tope-là.

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