Acte final, chapitre 21 - Sombres retrouvailles

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À travers l’atmosphère oppressante de la sombre forêt, les arbres se referment autour d’Alison. Le sol est mou, spongieux, recouvert d’un tapis d’humus humide et de feuilles mortes qui se collent à ses vêtements. Une brume épaisse et froide flotte entre les troncs noirs et noueux, les pas plus incertain. De temps à autre, la lune parvient à percer à travers les lourds nuages. La lumière fantomatique révèle brièvement des silhouettes inquiétantes dans les ténèbres. Alison, l’esprit embrouillé, peine à comprendre ce qui se passe autour d’elle. Son crâne résonne encore du coup violent qu’elle a reçu à la tête et un bourdonnement sourd envahit ses oreilles. La douleur, sourde et persistante, pulse à ses tempes, ses pensées sont brouillées, elle se dispersent dans un tourbillon de confusion. Elle vacille entre la conscience et l’inconscience, entre le rêve et le cauchemar. Ses clignements d’yeux sont un effort, sa respiration est une lutte contre l’épuisement qui la submerge.

Elle ne marche pas, elle est traînée. Ses pieds raclent le sol, glisse sur la terre mouillée, incapables de la porter. Deux silhouettes sombres, les membres de la secte, la tiennent fermement par les bras. Ils la guident à travers la forêt comme s’ils connaissaient les moindres recoins de ce labyrinthe d’arbres tordus. Leurs voix basses murmurent des paroles qu’elle ne comprend pas, mais qui résonne avec l’obscurité environnante. Ils l’entraînent inexorablement vers leur repaire, vers ce lieu qu’elle redoute de plus en plus à chaque pas.

Alison tente de résister, mais son corps la trahit. Ses muscles sont faibles, engourdis, et ses tentatives pour se débattre se solde toutes par des échecs. Ses doigts effleurent parfois le sol dans un geste instinctif, s’accroche à quelque chose pour ralentir la marche, mais la terre humide glisse sous ses mains. La panique monte en elle. Sa respiration s'étouffe, mais elle est incapable de réagir. Sa tête tourne, ses pensées s’égarent, et un sentiment d’impuissance absolue l’envahit. Autour d’eux, la forêt est étrangement silencieuse. Pas un oiseau, pas un animal. Toute forme de vie n'est plus. La présence des fanatiques étaient signe de désespoir. Le bruit de leurs pas sur les feuilles mouillées, les grognements rauques de leurs respirations sont les seuls sons qui brisent le silence étouffant.

Soudain, à travers le brouillard oppressant et l'obscurité des arbres, Alison commence à distinguer des formes étranges qui émergent à mesure qu'ils avancent. Les contours flous se précisent peu à peu, des infrastructures rongées par le temps se révèlent. Des bâtiments en ruine, des murs effondrés et des fenêtres béantes laissent deviner une ancienne civilisation, peut-être un vieux campement ou une base militaire abandonnée. Le béton fendillé est envahi par la végétation, des racines d’arbres massives ayant pris possession des lieux, comme si la forêt elle-même avalait lentement ces vestiges humains. Le silence règne ici, le caractère sinistre des lieux s'accentuent.

Alison, toujours entraînée par les deux hommes, commence à percevoir des lueurs au loin. Des flammes vacillantes, projetant des ombres dansantes sur les murs décrépits. Plus ils se rapprochent, plus les murmures deviennent distincts. Ce sont des ensembles de voix basses, des paroles rituelles psalmodié dans une langue qu’elle ne comprend pas. Le rythme est hypnotique, une sorte de chant guttural qui se mêle au crépitement des torches.

Ses yeux, à moitié embués de douleur et de fatigue, s’écarquillent lorsqu’elle arrive sur ce qui ressemble à une sorte de clairière au centre des ruines. Là, une scène macabre s'étend devant elle. Un cercle de fanatiques, vêtus de robes sombres et d’ornements faits de branches et de feuilles, entoure un autel improvisé. Au centre, une statue imposante, sculptée dans un bois ancien, représente une silhouette humanoïde à moitié fusionnée avec des racines et des branches. Le bois est presque vivant, palpitant, comme si la divinité elle-même guettait ceux qui osaient la vénérer. Autour de l’autel, des torches enflammées projettent une lumière vacillante sur les visages des adeptes. Ils se tiennent tous dans une posture de révérence, le visage tourné vers une figure humaine, debout au centre de ce sinistre rassemblement. Alison sent son cœur se serrer. Elle n’avait jamais imaginé un tel spectacle.

Les deux hommes qui la traînent la forcent à avancer, jusqu'à ce qu'ils atteignent le bord du cercle. Alison, les jambes tremblantes, est poussée violemment vers le sol. Ses genoux heurtent la terre dure tandis qu'elle tente de reprendre ses esprits. Face à elle, au milieu des torches, se tient un jeune homme, le regard intense et fixe. Il porte une tunique simple, mais son visage est marqué d’un calme et d'une assurance presque surnaturels. Il rayonne d'une autorité silencieuse. Ses cheveux noirs sont longs et emmêlés, tandis que ses yeux brillent d’une lumière étrange, comme s’il voyait au-delà du monde matériel.

— Le voici, l’Élu de la forêt, murmure l’un des fanatiques avec dévotion, s’inclinant bas devant lui.

Alison fixe la scène avec incrédulité. Les voix résonnent dans sa tête, mais une seule pensée émerge du brouillard confus de son esprit : Joshua Baker. Ce nom fait écho en elle, mais elle ne comprend pas. Elle plisse les yeux, essayant de percer la vérité à travers sa douleur.

— Où… où est mon frère ? balbutie-t-elle, sa voix faible mais empreinte de désespoir.

Les fanatiques ne semblent pas lui prêter attention, absorbés dans leur rituel. Seul un homme à sa droite, celui qui l’a traînée ici, se penche légèrement vers elle avec un sourire énigmatique.

— Ton frère ? dit-il doucement, d’une voix mielleuse. Ton frère est ici.

Alison secoue la tête, tentant de comprendre.

— Non... Où est-il ? Je veux le voir. Vous m’avez dit que… vous… que vous le…

Sa voix se brise, à la fois par la fatigue et l’incompréhension. Elle essaie de se relever, mais ses jambes flanchent sous elle. Elle lève les yeux vers l’homme au centre du cercle, cet élu que tous vénèrent, sans encore comprendre pleinement ce qu’elle voit.

— Joshua… Baker ? souffle-t-elle, ses lèvres tremblantes. Il est… il est ici ?

Le jeune homme au centre des fanatiques se tourne lentement vers elle. Ses yeux, perçants et calmes, se posent sur elle avec une reconnaissance inattendue. Un sourire mince étire ses lèvres, un sourire qui fait naître un frisson glacé dans le dos d’Alison.

— Alison… dit-il d’une voix douce mais résonnante, chaque syllabe pesant lourdement dans l’air. « C’est moi. Joshua.

Alison reste figée. Son esprit s’embrouille davantage. Elle regarde ce visage, cet homme qu’elle ne reconnaît pas, mais dont les yeux, à présent, lui semblent terriblement familiers. Un tourbillon d’émotions la submerge. Impossible. Ce ne peut pas être…

— Non… murmure-t-elle, secouant la tête, refusant d’accepter ce qu’elle entend. Joshua est…

— C’est moi, Alison. Son ton est maintenant empreint d’une certitude absolue. Je suis ton frère. Mais je suis bien plus que cela maintenant. Je suis l’Élu de la forêt. Celle qui nous protège tous, celle qui nous guide.

Les paroles résonnent dans l’esprit d’Alison comme des coups de tonnerre. Son frère, son petit frère qu’elle avait cherché, qu’elle avait désespérément espéré retrouver… il se tient là, devant elle, mais transformé, défiguré par cette secte, par cette forêt maudite.

— Non ! s’écrie-t-elle soudain, sa voix déchirée par la panique. Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?! Joshua, tu n’es pas… tu n’es pas ça !

Mais le jeune homme ne bronche pas. Il s'approche lentement, ses pas glissent avec une fluidité presque inhumaine, comme s'il ne touchait plus réellement le sol. Ses yeux, sombres et insondables, ne quittent pas ceux d'Alison.

— Je suis devenu ce que j’étais destiné à être, dit-il calmement. La forêt m’a choisi.

Alison, à genoux, sent ses forces l’abandonner alors que les larmes coulent le long de ses joues. Ses mains tremblent en se plaçant instinctivement devant elle. Alison cherche à se raccrocher à quelque chose de tangible dans ce cauchemar qui se déroule devant ses yeux. Son frère, celui qu’elle croyait avoir perdu depuis tant d’années, se tient là, devant elle, mais déformé par quelque chose de plus sombre, une force inconnue qui l’a transformé en une créature qu’elle ne reconnaît plus.

— Je te croyais mort… dit-elle d’une voix brisée. Les mots sortent entre des sanglots qu’elle ne parvient plus à contrôler. Je pensais que c’était de ma faute… Quand tu as trébuché sur ces pierres… et que tu t’es enfoncé dans ce ravin… Je croyais que tu n’étais plus de ce monde.

Ses mots résonnent dans la clairière, suspendus dans l’air lourd de tension. La lueur des torches danse sur les murs en ruines et les fanatiques murmurent encore dans leur langue incompréhensible, mais tout cela semble s’éloigner d’elle. Seuls son frère et ses yeux perçants existent désormais dans son champ de conscience. Joshua la fixe, immobile, son visage figé dans une expression de froide incrédulité. Le calme glacé de son regard contraste violemment avec la tempête d’émotions qui dévore Alison. Mais soudain, son visage se déforme en un rictus amer, un sourire cruel tordant ses lèvres. Un rire sec, presque moqueur, s'échappe de sa gorge, emplissant l’air de son amertume.

— Trébuché ? répète-t-il avec un ton mordant, crachant presque le mot. Trébuché, dis-tu ? Il recule d’un pas, secouant la tête comme si les mots d’Alison lui étaient totalement absurdes. C’est donc ce que tu as cru toutes ces années ?

Alison, bouleversée, tente de comprendre. Elle ouvre la bouche pour parler, mais aucun son n’en sort. L’effroi monte en elle comme une vague incontrôlable, mais Joshua ne lui laisse pas le temps de reprendre son souffle.

— Non… Alison. Il s’approche lentement d’elle, chaque mot accentué par une rancœur grandissante. Ce n'était pas un accident. Ce n’était pas un malheureux trébuchement sur des pierres glissantes. C’est toi, grande sœur… C’est toi qui as tenté de mettre fin à ma vie ce jour-là !

Ses mots la frappent comme un coup de poignard. Elle est paralysée par la terreur.

— Non… Non, c’est faux… balbutie-t-elle, secouant la tête avec désespoir. Joshua, je n’aurais jamais…

Mais il la coupe avec une violence contenue, ses yeux brûlent d’une colère qu’il ne peut plus réprimer. Il s’avance encore, et sa voix devient plus sombre, presque murmurée, ses mots traversent Alison comme une lame.

— Tu m’as poignardé, Alison. Les mots s'enroulent autour d’elle, impossibles à échapper. Tu m’as trahi.

Alison recule, effondrée sous le poids de ces accusations. Ses souvenirs du jour fatidique affluent dans son esprit, déformés par la douleur et la culpabilité. Elle revoit la scène : elle et Joshua, jeunes et insouciants, explorent la forêt. Le ciel était gris ce jour-là, la lumière faible, et la forêt silencieuse. Ils avaient ri, couru entre les arbres comme ils le faisaient toujours. Puis il y avait eu ce ravin… La chute… Elle se souvient des cris, du vide qui avait englouti son frère. Mais jamais elle n'avait… non, jamais elle ne l'aurait poignardé.

— C’est faux ! crie-t-elle, sa voix s’élevant désespérément, éraillée par l’angoisse. Je ne t’ai pas… Je ne t’ai jamais fait de mal ! Joshua, tu dois me croire, je…

Joshua l’interrompt encore, sa voix éclate à nouveau avec une intensité effrayante.

— Tu crois que je mens ?! Que je n’ai pas ressenti cette lame percer ma chair ?! Son regard s’obscurcit, chargé d’une rancœur qui a grandi pendant des années dans cette maudite forêt. Le froid du métal dans mon dos, tes mains tremblantes… Je m’en souviens encore comme si c’était hier.

Alison secoue la tête, son cœur bat si fort qu’elle pense qu’il va exploser dans sa poitrine. Elle tente de retrouver ses esprits, de se rappeler ce qui s’était réellement passé ce jour-là. Tout est flou, embrouillé par la douleur et le temps. La vérité lui échappe, mais quelque chose en elle hurle que ce n’est pas possible, que jamais elle n’aurait pu lever la main contre son propre frère.

— Non… non… murmure-t-elle à nouveau, les yeux emplis de larmes. Tu étais mon frère… Tu es toujours mon frère… Comment pourrais-je…

Joshua éclate de rire, un son dur, dénué de toute chaleur.

— Frère ? crache-t-il. « Tu oses encore me nommer ainsi après ce que tu m’as fait ? Ce jour-là, Alison, tu m’as condamné à cette vie. À ce destin. Il pointe du doigt la forêt, les ruines, les adeptes qui continuent leur rituel derrière lui, ignorant le drame qui se déroule devant eux. C’est ici que j’ai trouvé ma véritable famille, ceux qui m’ont sauvé quand tu m’as laissé mourir. La forêt m’a choisi, elle m’a guidé. Mais toi… toi, tu m’as trahi.

Alison n'en peut plus. Elle se lève brusquement, chancelante, et s’approche de lui malgré ses jambes flageolantes. Son cœur est en lambeaux, déchiré entre le désir de comprendre ce qui s’est réellement passé et la terreur de perdre son frère pour toujours.

— Joshua, écoute-moi ! implore-t-elle, en lui attrapant son bras, espérant qu’un contact pourrait briser cette muraille de haine qui s’est construite entre eux. Je ne me souviens pas de ça… Tu dois me croire… Jamais je n’aurais voulu te blesser ! Je t’ai cherché pendant des années, je t’ai cru mort !

Il retire brutalement son bras de son emprise.

— C’est trop tard, Alison. Trop tard pour les excuses, trop tard pour la repentance. La forêt m’a montré la vérité. Elle m’a offert un nouveau chemin.

Elle secoue la tête, les larmes coulent librement.

— Non, Joshua… Ce n’est pas toi. Ce n’est pas toi qui parle. Sa voix s’étrangle, brisée par la douleur. Je te retrouverai, je le jure. Je ramènerai mon frère.

Mais Joshua la fixe, impassible, son regard désormais aussi froid et inhumain que la forêt elle-même.

— Il n’y a plus de frère à retrouver, Alison. Il n’y a que l’Élu.

Et dans ses yeux, Alison voit quelque chose de terrifiant : son frère est peut-être déjà perdu à jamais.

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