Le Chant du Rossignol
Le Feu dansait dans ses yeux. Une flammèche folle qui glissait avec la brise d’Automne.
Tetit Sęris tremblait. D’effroi ou de froid, cela n’importait pas.
Le Feu, ses souvenirs criaient pour qu’il s’en rapproche. S’en rapproche pour que ses doigts maigrelets se dénouent. S’en rapproche pour que son pelage dégouttant sèche enfin.
Mais son corps refusait de bouger. Le crâne de Tetit vibrait d’images mauvaises ; celles des frelons fusant dans l’air souillé ; celles des lucioles et de leurs champs ardents ; celles de la tempête et de la foudre s’effondrant en fleuve dans les tranchés.
Une main se posa sur son épaule.
« Eh. Encore à r’ssasser ? »
Tetit accepta le pain rassis qu’on lui proposait. Il ouvrit sa canette et en déversa le contenu sur la ration.
« ‘Ttend ‘ttend ! Pas si vite, ça va te r’tourner les boyaux. ‘Manqu’rait plus qu’ça … »
On lui arracha sa mignonnette, et la lui rangea dans une poche.
« Not’ garde est bientôt terminée. J’n’ai rien vu d’particulier du côté du vieux chêne. D’puis qu’les aut’ du Génie l’ont descendu, je crois qu’plus personne traîne par là-bas … »
Au loin, une déflagration étouffée vola jusqu’à eux. Tetit Sęris restait silencieux et immobile, fixant le feu en mâchant doucement sa maigre ration. Mais avant que son compagnon poursuive, il ouvrit la bouche.
« Dis, Dę Ruj. Tu t’rappelles encore l’histoire d’la Lune et du Soleil ?
- Mhh, bien sûr. Pourquoi ça ?
- Ces derniers soirs, j’arrête pas d’y r’penser. Je r’garde en haut, et je m’demande si elles nous surveillent. J’veux dire … On patauge dans les tranchés, si l’on a d’la chance, on s’noie dans la boue ; si non, c’est la peau crevée par une épine qu’on finit, à servir de casse-dalle à un corbac. On m’a dit qu’elles étaient goguenardes, gloussant d’la guerre, et d’l’agonie de nos pauv’s hères. Elles sont guères plus clémentes que la grêle ou la canicule. Elles peuvent qu’être là à attendre de fondre sur nous et d’en finir une bonne fois pour toutes. »
Un nouveau silence, sous le crépitement du feu et des autres bourbiers. Dę fixa la Lune, éclairant son pelage brun de souris des champs.
« Mhh. J’pense pas. T’sais, elles sont arrivées un beau jour, z’ont volés l’Soleil, la Lune et toutes les étoiles. Pis ‘sont r’parties. Elles ont tout c’qu’elles voulaient. J’m’embêt’rais pas à y penser si j’étais toi. »
Tetit souffla intérieurement. Il était évident que cette idée venait à lui, et qu’il s’en saisissait de bon gré. Mais le Froid, la Douleur, le Cri des bêtes, tout ça ; il ne pouvait s’empêcher de se le dire : c’était depuis qu’elles avaient dérobées les astres.
La ligne à carillon tinta.
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Tetit enfourra le reste de son repas dans le fond du gosier, et Dę lui tendit sac et coléopistolet ; ses yeux ne purent s’empêcher de vaquer furtivement. Là, une main dévorée par l’acide agrippait encore le rebord de la tranchée. Ici, ce qui restait du mur aprés qu’une bombe-noix eût vaporisé trois troupiers.
Et les braises affamées d’un buisson dévoré.
Le petit pays vert de son enfance s’était changé en brûlis et rompis, dessus desquels un ciel éteint pleurait toute sa tristesse ; en vain.
Il ne fallut pas longtemps pour voir poindre les aiguillonnettes.
Des piques peintes de pourpre ; crieurs calamiteux des espérances giflées.
Tetit Sęris saisit Dę Ruj et le tira jusqu’à l’angle d’une croisée ; un doigt sur la bouche et la gâchette.
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