Martin et Louise bâtissent
Cycle de Martin & Louise #1
05/02/19
Le jour où les regards de Martin et Louise se sont croisés, ça a été le coup de foudre. Tous deux flânaient seuls sur les allées du parc, l'œil hagard et rêveur. Mais quand ils furent face à face, à peine à deux pas l'un de l'autre, comme mus par la malicieuse main du destin, ils s'arrêtèrent net. Ils s'étaient vus, et aussitôt Louise avait rougi en sentant les fourmillement dans son bassin. D'un coup, c'était comme si une guirlande chaude et flasque lui avait échappé des cuisses, avant de tomber sur les gravillons de l'allée avec un couinement plastique. Gêné, Martin se hâta d'aller la soutenir, de peur qu'elle tombât en pâmoison. Par pudeur, elle recula d'un pas, découvrant ce que sa robe à charpentes bouffante dissimulait jusqu'alors. Une demi-douzaine de petits organes palpitants formaient un tas au sol. Martin, dans un élan de courtoisie, se mit à ramasser le petit foie, le petit rein, le petit tibia... Louise ne lui laissa pas le temps de tous les accumuler dans la main, et s'accroupit du mieux qu'elle put pour lui venir en aide. En réalité, elle ne fit que le déstabiliser. Le jeune homme chancela si fort qu'il finit sur les fesses. Louise porta ses gants à la bouche : la ceinture de Martin s'était rompue ; une kyrielle de morceaux de chair rouge jaillit du pantalon de velours qui les contenait avec peine. Les deux inconnus se voyaient bien embarrassés : ils tâtonnèrent en bégayant des excuses des minutes entières, tombant, se relevant, et glissant encore sur les organes miniatures. Le seul moyen qu'ils trouvèrent pour sortir de cette inconfortable situation – dont pourtant ils savouraient chaque seconde – fut de cesser de se débattre. La face étendue au ciel, les membres emmêlés, pouls et respirs unis et synchrones, ils laissèrent le soleil dorer tout doucement la scène. Au terme d'une lente accoutumance de leurs corps respectifs, ils rassemblèrent tous les petits bouts de petit homme, et rentrèrent chez eux. Chaque nouveau rendez-vous était l'occasion d'un autre puzzle : on assortissait les cordons de tripes, cousait les peaux par dessus les muscles. Ils bâtirent leur amour peu à peu, sans mode d'emploi, raccommodant les accrocs au fur des faux pas. Bientôt on pouvait reconnaître un fœtus en parfaite santé, nourri par les soins qu'ils prenaient à développer leur relation. Tout aurait pu se passer comme il faut, leur amour aurait pu vivre une enfance normale, grandir, vieillir, et mourir avec eux. Mais nul n'est à l'abri de quelques faux raccords.
Un soir que l'amour de Martin et Louise jouait dans le salon, à quatre ans à peine, le couple se disputa violemment : Louise venait de découvrir que son mari la trompait. Tordue par la rage, elle lui assénait les pires insultes. N'en pouvant plus souffrir, Martin hurla, pointant l'enfant-amour du doigt :
"Regarde-le ! Tu crois que je lui- que je nous ai volé quoi que ce soit ? Rien n'a changé !"
Tremblant de fureur, il vida son pantalon rempli de cent autres organes d'amour qui avaient poussé naturellement en lui. Il y en avait trop pour les visser sur un seul corps ; quelle abomination hécatonchire en aurait résulté ? Il y en avait trop pour les jeter aux ordures. Louise ne voulait rien entendre. Elle s'empara d'un couteau de boucher, et sans plus mesurer ses coups, éviscéra leur amour.
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