Martin espère

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Cycle de Martin & Louise #2

23/05/19

Martin avait oublié que la fidélité est un postulat nécessaire pour éviter de faire de sa femme un cimetière. Il gardait l'âme ouverte à tous les possibles, et voyait dans chaque regard fleurir une union, brûler un futur. Il aimait à capturer toute image de fille, et laissait sa fantaisie extraire les spectres fantasmatiques des inconnues : l'apparence se développait alors en une personnalité entière. Le pli d'un sourire préfigurait des heures de plaisirs et de rires ; la courbure d'une hanche définissait la fluidité du caractère ; la froideur d'une moue s'étendait en de silencieuses nuits d'intimes disputes. Plus encore il prisait les amies, dont il conservait précieusement chaque souvenir, comme des perles d'image à tresser sur le canevas du désir. Dès lors, les vies songées s'embaumaient d'une saveur profonde et rayonnante, et devenaient la source de joies brutes. Peut-être n'était-ce là qu'un bête réflexe égoïste, que de tout voir ouvert, de laisser la réalité fondre en rêves, des rêves où tout coulait naturellement vers lui.

Après tout, c'est en baignant le monde de cet onguent optimiste que Martin avait rencontré Louise, dans un parc. Il en jaillissait de tels éclats d'opportunités, par la roseur de ses joues, la force de ses yeux, la sincérité de sa langue, que les songes de Martin avaient pu pénétrer le monde réel : il fit d'elle sa femme ; elle, de lui, son homme. Il savait les règles tacites de ce genre de conjoignage, et ne fut pas long à vouloir s'y conformer tout à fait.

Lors, à chaque fois qu'il se surprenait à subtiliser à une image d'inconnue une ombre d'âme-sœur, à danser avec elle comme il l'avait toujours fait, Martin était pris de convulsions de culpabilité. Aussitôt, il repoussait l'aguicheur fantasme, le poignardait au cœur, le lardait de laideurs. Au dernier instant, il ne pouvait s'empêcher de se retourner vers le cadavre idéal scarifié de haine. Il avait le parfum de l'amour refoulé, du déni de grossesse et de la trahison. Martin rentrait chez lui, la gueule dépitée, mais un jaillissement de fierté lui bombait le torse lorsqu'il entendait les doux entonnements de Louise : il avait respecté toutes les clauses du contrat, et méritait son salaire.

Au lit, une nuit, Louise alluma la chandelle sans crier gare. Martin en fut muet d'horreur : le long du dos de sa femme, cent purulentes faces féminines se tordaient en rouvrant leurs balafres. Louise portait à chaque coin de peau les corps refusés en son nom. Pris dans un élan de léthargie cauchemardesque, Martin sentait les lèvres des spectres d'inconnues former les pires insultes, tirant sur la panse de sa femme à la crever. Elle ne se rendait compte de rien.

Le lendemain, voyant les espoirs qu'il fondait en ses amies, elle le pria d'égorger aussi ces fantômes, que déjà il jugulait. Comme il ne bougeait pas, elle soupira à moitié et s'empara elle-même du couteau, prête à accueillir de nouvelles hôtes.

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