j'éponge

3 minutes de lecture

V/22/11/2019

C'est en se promenant sur les plages qui les charrient que tu pourras faire la rencontre d'une éponge. À première vue ce sera un homme, mais je te l'assure, ce sera bel et bien une éponge. Tu le sauras du moment où tu voudras savoir qui c'est : si tu ne peux rien dire d'autre face à lui que "tiens, voilà un homme", c'est qu'il s'agit en réalité d'une éponge. On prétend aussi qu'elle est reconnaissable à son teint jauni et poreux, sa peau fripée, mais ce n'est pas obligé. Tu seras tenté de croire que la personne que tu scrutes est quand même humaine, parce qu'elle porte peut-être quelques morceaux de vêtements, elle bouge un peu parfois et parle même pour dire des mots. En voilà un qui ne fait que prendre le soleil, c'est ce que tu diras, prendre le soleil pour avoir chaud et se détendre et bronzer aussi. Mais ça ne prouve rien : c'est peut-être aussi une éponge hors de l'eau, qui lentement prend le soleil et se dessèche et part en poudre. Si elle parle, c'est pour appeler à l'aide ; si elle bouge, c'est en vain car elle se meurt, et les vêtements, c'est pour protéger le petit reste de son intimité. Si la personne n'a pas remarqué ta présence et se relève sans faire mine de rien, remballe ses affaires et repart chez elle, alors en effet tu te seras trompé depuis le début car vraiment c'est un homme. Mais si elle t'a remarqué et se rend compte de ce que tu la considères comme une personne, elle se relèvera avec une joie incomparable car elle se sera transformée en homme sous l'action de ton regard, et tu seras sûr qu'auparavant ce n'était qu'une éponge. À ce compte-ci, tu pourrais te demander pourquoi on ne considérerait pas tout inconnu à la plage directement comme des personnes, de sorte qu'à terme ce soit exigiblement le cas, mais tu te priverais pour cela d'une grande part de la vérité du monde. C'est pourquoi je préfère partir du principe que n'est homme vraiment qu'une personne qui n'est source d'aucun doute quant à son humanité, et je garde toujours l'œil méfiant lorsque je me promène à la plage. Qui plus est, l'éponge est une espèce protégée. Alors, par souci de préservation de la biodiversité, je replonge toujours ceux que je reconnais comme éponges dans la mer, pour qu'elles puissent reprendre leur vie normale. Je ne me suis à ce titre encore jamais trompé, ou du moins aucune ne m'est encore allé faire des réclamations vis-à-vis de mes soins.

Cousteau nous enseigne que la vie des éponges égale en tous points celle des hommes, à cela près que l'eau joue chez elles le rôle qu'a l'air chez nous. Cette eau qui leur manque quand elles s'échouent sur la plage, quand elle revient, les anime et leur rend toute la personnalité dont l'absence les trahissait sur terre. Reprenant leurs couleurs, elles se laissent déterminer par la température et les flux de leur bain, seulement heureuses du moment qu'elles acceptent de cesser de battre des branches contre le courant (si faibles, si faibles...). Mais comme par chez nous, la plupart sont malheureuses, et tentent vainement de s'accrocher à un récif, toute leur vie durant, et finissent déchirées par quelque pieu de corail.

J'aimerais beaucoup que tu voies ça, mais il faudrait d'abord que tu arrives à te faire reconnaître en tant que personne par l'une d'entre elles.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Damian Mis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0