Louise accouche

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Cycle de Martin & Louise #3

V/07/02/2020

Quand Martin a quitté Louise, ça a fait mal. Des deux côtés sans doute, mais ils ne pouvaient pas savoir, puisqu'il ne fallait plus se voir. Louise surtout insista pour couper tous les ponts, jusqu'au dernier. En fréquentant Martin, elle était tombée enceinte d'un amour ardent et vorace, qui réclamait chaque jour sa tétée de Martin : à chacune de leurs entrevues, elle sentait ruisseler un lait dans son ventre où croîtraient de petites lèvres dociles. A défaut de le voir, elle pensait à lui, si fort qu'un autre fluide allait rembourrer son hôte, mais plus pâteux, comme un passe-faim engourdissant, qui lui empêcherait de tordre ses boyaux à force de carences.

Si Martin quittait Louise, l'amour de Louise serait forcément amené à se nourrir de Martin moins souvent et plus lointainement, avec une paille. Plus encore, la simple pensée de Martin aurait alors un goût amer et acide, piqué de détresse. L'amour s'atrophierait peu à peu dans le ventre de Louise, alternant longue famine et petit repas insatisfaisant, et surtout il serait travaillé par le désespoir rance de ne pas avoir de futur.

Aussi, quand c'est réellement arrivé, soudain, sans crier gare, elle a jugé qu'elle aurait moins à souffrir en condamnant son amour sans appel : il faudrait s'en débarrasser après une longue grève du Martin, ne plus entendre la petite bouche hurler toute la nuit et après, seulement après, elle pourrait le revoir l'esprit tranquille, comme un ami.

Un ami ne vous habite pas, il vous voisine, c'est suffisant.

Mais pour parvenir à un pareil retournement – puisque ce n'est pas là qu'une simple régression dans la relation, toute régression serait précisément le plus insupportable : il faut préférer une courte agonie à un lent engourdissement des passions – Louise devait être prête aux pires atrocités. Elle avait des scrupules au début, de la tendresse encore : elle refusait de croire à une pareille situation, et cajolait son petit amour en caressant doucement son ventre. Elle se ménageait un faux espoir qu'elle garnissait de passe-temps prenants ; nuits blanches à coups de livres et d'écrans, journées encombrées de fastes sorties. Ça n'était pas assez. L'équilibre était bancal, et, sincèrement, illusoire.

Avec son petit museau d'affamé, et ses minuscules griffes curieuses, l'amour a vite fait de se rendre compte de la fragilité de son cocon. Sa pitance a un goût d'hostie, et ça tout seul, c'est peu pour avoir le loisir de croire. Il pique une crise, vexé, et racle copieusement le ventre de Louise. Elle hurle et pleure toute la nuit, mais il hurle et pleure plus fort qu'elle. Pas viable, non, faut que ça s'arrête, et quand ça s'arrêtera tout ira mieux.

Elle prend un couteau et crie : "Tu vas arrêter ? Martin, Martin, Martin c'est un salaud, c'est un sale con ton Martin ! Y'a pas de Martin, y'a plus de Martin, t'auras plus jamais à bouffer, semence immonde !" et ainsi de suite, et ce faisant s'étripe activement, frénétique charcute ses cuisses, poignarde à souhait et enfin, coupe le cordon. L'amour se déverse au sol, animé de ses derniers spasmes, les yeux sanglants et chagrins.

Cahin-caha Louise remet ses entrailles en place. C'est long. Elle ne pense plus à rien. Ç'a été sa plus grosse fauche couche. Trop gros pour passer à la poubelle cette fois-ci. Elle balance la carcasse horrifiée dans un sac plastique. Un peu de rancœur encore : elle n'allait quand même pas le laisser pourrir en elle... elle a bien fait. Elle passe la serpillière, essore ses vêtements. Elle doute de pouvoir ravoir le tapis. Louise est fatiguée, elle se sent un peu piteuse. Elle hésite à enterrer le sac au jardin, ou bien à passer à la déchetterie demain matin. Un peu lasse, elle se couche quelque part et, de temps en temps, se surprend à sourire.

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