Henri passe

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M.11.03.2020

Henri Hanchot demande souvent à ses amis ce qu'il fait là. Ils n'en savent pas plus que lui. Henri, comme ses amis, est né dans un grand labyrinthe, un chaos hirsute où tout se mêle sans sens. Seulement, il n'a pas toujours su qu'il vivait dans un pareil tohu-bohu. Avant de comprendre le désordre, il lui a fallu aller voir des mondes plus ordonnés. Alors, il a saisi la particularité de son petit chez-lui. Dans un foutoir, on ne manque jamais de rien, et à force de creuser, on met forcément la main sur ce qu'on cherche. Henri cherchait la porte de sortie. C'est bizarre, car en général, les gens ne veulent pas sortir de leur petit trou tordu, ils ne s'imaginent même pas qu'il puisse y avoir autre chose. Henri cherchait autre chose.

Il laisse son bazar, c'en est fini des meubles désossés, des réalités en pagaille et des histoires en miette ! Il suinte par toutes les pages du gros paquet ficelé qui traîne dans mon sac, et il en rit. Le voilà déjà dans nautre monde.

Il se promène par les rues gondolées du premier rêve. Il vagabonde un peu au creux des déchirures dans l'air, s'inquiète de ce que ça a dû être un accouchement douloureux pour lui.

Il va le long des cafés, croise un gourmet entamant son serveur. "Ce sont les mœurs" pense-t-il, et gaîment s'étonne que le ciel soit tout entier regroupé là-haut, et qu'on n'en trouve pas des bouts un peu partout, et les plus beaux en vente chez les marchands.

Il erre au parc où s'énamourent Martin et Louise, sourit au passage de Léo à vélo, s'écarte d'un Dysgène grimaçant, trébuche sur une graine de visage et reste un instant à écouter le discours du chevalier De Raince, monté sur un piédestal pour exercer sa langue nouvelle. Là-bas, il songe à l'assise des bancs, passe les Giroud occupés à consoler leur fille d'une mauvaise chute, s'apitoie sur la carcasse de Léonard. Il part les bottes gonflées de mialle.

Mais tout cela, il ne le considère pas. Tout ce qu'il se dit, c'est que les plantes ont beaucoup de chance de s'être mises d'accord pour s'enraciner dans le sol, de même que les animaux ne savent pas leur veine de boire et manger selon des règles de temporalité très strictes. De fait, la découverte d'un temps et d'un espace limités et mesurables dut être un choc. Pour nous qui cherchons toujours une forme, un sens, un début et une fin, l'incapacité d'Henri à se sentir déboussolé a tendance à nous terrifier. Que voulez-vous ? Hanchot vient de là où on ne cherche pas sa place, où c'est une interminable déambulation, où tout roule et coule sans frein. Ne vous échinez donc pas à interpréter, analyser, décortiquer son voyage. Henri passe, et il n'en restera décidément rien. Il se laisse oublier, file de maison en maison, frôle toutes les histoires, mais sans pénétrer, une caresse invisible, une touche impalpable.

Il est allé pourtant toquer chez les Télrange, déchausser la barrière pour jouer avec leurs fils, mais les petits dormaient déjà. Il a bien fait comme son voisin Richard d'Ograilles a dit, sans s'en faire remarquer cependant. Il s'est perdu dans la foule des ils, fondu derrière les je, effacé sous le reste.

Henri croise nos héros, mais jamais ne s'imprime dans leur vie, si bien qu'on ne peut rien narrer qui l'incluse, il reste intrus malgré lui. Dites ce que vous voudrez, ça vous ennuierait, de le voir prendre votre temps au milieu d'une belle histoire. Qui a le temps pour des détails comme lui ? Lui le prend.

Le voilà arrivé au pied d'un lycée à flanc de colline, mais je ne peux pas vous en dire plus, vous n'avez pas les clés, il faudrait d'abord vous décrire le lycée tout seul avant d'y balancer Henri, étranger dans ce pays où l'on contrôle, où l'on retient dans ses bras, fermement et sans appel.

Tout cela n'est pas retenu, retenu par rien.

J'écris comme je saigne du nez, et j'ai horreur des mouchoirs. Je préfère éponger mon rhume rouge sur ces quelques lignes, et il a fallu qu'à force de tirer sur les veines qui pendouillent des narines, j'en extirpe une chose aussi peu encline à se laisser raconter que l'Henri.

Il a tout sali par son léger passage, et pourtant tout s'est aussitôt lavé, comme neuf.

Au retour de chez les autres, il a retrouvé son bon vieux palais des haches, s'étonnant un peu du ciel et des arbres et des bêtes, et la manie des choses à ne pas se finir.

Quant à vous, au retour de ce livre, il vous sera sorti de la tête.

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