Densité de la Terre
Mais imaginons un seul instant la rotation du haut de notre corps et surgit l'effroi en direction de l'abîme. Car il ne s'agira plus, pour nous, de l'aire ouverte du Ciel comme destination finale, mais de la densité de la Terre, de sa puissance de fermeture, de sa mutité. Ciel et Terre jouent toujours en mode dialectique avec ces symboles lourds de signification. La colombe s'envole toujours en direction de l'éther, alors que la taupe cernée de noir fouit la terre aussi sombre et mystérieuse qu'elle. Inspirés par ces sentiments liés à une perception archétypale de l'univers - le haut est solaire, le bas est versé par nature aux apories chtoniennes, à la dimension infernale -, nous cheminons avec la certitude que notre seule apparence est soumise au régime d'une fontanelle aimantée par ce qui est altitude et élévation, alors que son contraire ne saurait délivrer que la couleur du néant. Sans doute ces projections sont-elles fondées, mais elles ne le sont qu'en raison. C'est seulement parce que nous pensons en termes de causes et de conséquences, avec un arrière plan moral et religieux que ce renversement des choses nous paraît contre nature. Le Bien est zénithal; le Mal est au nadir. Le Ciel est délivrance et espérance. La Terre est aliénation et attirance démonique.
Nous sommes donc prisonniers de ces schémas de pensée qui nous remettent à notre condition première par laquelle le Paradis signifie, alors que l'Enfer néantise. Mais l'Artiste - Bazelitz ou bien Barbara Kroll - ne sont nullement inféodés au même schéma intellectuel. Être Artiste, avant tout, c'est faire s'écrouler les conventions, c'est transgresser le réel têtu, c'est user des armes de la subversion afin qu'apparaisse une vérité avec laquelle il nous faudra bien composer. A moins d''adopter la supposée attitude de l'autruche, laquelle à sa manière, inverse sa vision du monde, mais en le niant, ce qui est, à l'évidence, un comble. L'art, s'il a une vertu performative, c'est-à-dire s'il effectue dans la réalité ce qu'il promulgue sur la toile, alors nous, les Voyeurs, vivons la tête en bas et regardons le monde par en-dessous, métaphysiquement, dans le vertige, depuis les fondements et les scories de l'exister. Nous surgissons au cœur des choses, dans leur dimension déployantes, tremplin du vide en direction du plein. Ce qui veut dire, qu'au lieu de nous situer au niveau de considérations éthérées et transcendantes à leur objet, nous sommes immergés dans l'étant, au plus près des laves primitives, nous sommes ces manières d'immanence naissant en elles-mêmes, en même temps qu'elles naissent au monde. C'est du-dedans de la matière que se profile ce que Le Clézio nommait dans l'un de ses essais de jeunesse "L'extase matérielle".
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