Petit matin
de Leopold Ferdinand
On se réveille le gosier sec, aride d'une nuit d'alcool et de drogue. On se lève, on traîne ses pieds comme on peut, on se découvre devant le miroir de la salle de bain, le regard gonflé et le teint blafard. On s'fait peur, on recule, on ferme les yeux, on chiale. Tout y faut. La misère comme masque. On navigue sous le roulis au milieu de l'océan, évitant comme on peut quelques naufragés. Sûrement dans la nuit, on a baisé avec lui, ou avec elle, peut-être bien une autre. On ne sait pas, on s'en fout, on s'dégote un café dans des tasses sales, on touille là-dedans, nos réveils en défaite. On est las.
Ce soir tout recommencera. Les faux-amis se réveilleront vers 14 du mat, partiront quelques heures chez eux et finiront comme toujours par m'appeler pour les rejoindre. Ce n'est pas tant qu'on s'y amuse, qu'on s'y épanouie là-dedans, soir de beuverie, la possibilité de l'oublie tout juste, enfin du moins l'illusion de. Nous étions une dizaine ainsi, rayés des vivants, squattant ce bar comme on squattait le monde. Nous avions au fond tous échoués ici, le cimetière de la vie, de la ville.
Nous n'avions, il est vrai, globalement rien à voir les uns avec les autres, la seule affaire qui nous reliait était ce verre sur le comptoir, ou ailleurs. Nous buvions, nous vidions nos demis comme nous vidions nos vies, nos erreurs, nos amertumes. La douce sensation d'être bête avec.
Et se réveiller chaque matin, ensuite.
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