Chapitre 4

9 minutes de lecture

  Mathilda bailla aux corneilles, déjà fatiguée.

Elle avait accepté d'accompagner John à une exposition dans un manoir d'un des clients de son patron. C'était une exposition sur Frederic Ramington, un peintre américain réaliste spécialisé dans les peinture de l'ouest américain. Mathilda n'en avait jamais entendu parler avant de mettre les pieds dans ces lieux et, à vrai dire, elle s'en foutait un peu. Elle commençait à piquer du nez quand un petit coup dans les côtes de la part de John la réveilla.

« Ne t'endors pas devant tout le monde ! On te regarde.

- Je croyais que les gens étaient venus voir ce Frederic, pas moi.

- Les gens sont venus voir ce qu'il y avait de beau. »

Mathilda sourit. Les petites remarques de ce genre l'auraient fait fondre dans le passé mais toute la magie avait disparu depuis un moment. John lui posa un léger baiser sur les lèvres. Elle ne protesta pas mais elle eut envie de s'essuyer la bouche.

Tout cela l'ennuyait au plus haut point. Elle n'aimait pas l'art. Elle ne comprenait pas l'art. Et elle ne supportait pas de devoir faire semblant. John lui avait dit que c'était un client très important et qu'il était primordial qu'elle soit présente ; qu'une jolie femme comme elle serait bénéfique pour les affaires. C'était donc à cela qu'elle était réduite aux yeux de son homme à présent. C'était bien triste.

Elle trompa sa lassitude dans la nourriture. Et l'alcool. Des serveurs passaient constamment entre les gens avec de petits plateaux d'argent remplis d'amuse-bouches et de coupes de champagne. Tout était à volonté, évidemment.

« Regardez ces traits fins et réalistes !

- Oui on voit bien l'influence moderniste de ses peintures. »

Mathilda n'en pouvait plus. Elle n'avait jamais supporté les intellos, et elle en était entourée. Elle faisait les cent pas parmi la foule

« Madame O'Nelly ! » entendit-elle au loin. « J'ai tant entendu parlé de vous.

- C'est madame Smith maintenant, intervint John

- Oh, félicitations ! C'est une bien belle femme que vous vous ai faites là.

- Merci. »

Mathilda ne savait pas quoi répondre. Elle n'était plus madame O'Nelly et cela lui manquait. Elle avait l'impression de nier ses racines irlandaises en perdant son nom.

« Allez, va t'occuper. Je te vois tourner en rond et ça m'exaspère. » dit John

« D'accord mais j'emporte ça avec moi. »

Elle prit un verre de champagne à la volée avant de s'esquiver. John soupira.

Elle s'ennuyait fortement. Elle décida de faire le tour du propriétaire pour tromper sa lassitude. Il n'y avait que ça d'intéressant à faire de toute façon.

C'était une bien belle maison, sûrement construite depuis peu. La brillance du carrelage était étincelante au point où on pouvait se voir dedans ; Mathilda en profita pour s'admirer quelques instants avant d'aller vers la cuisine.

C'était une cuisine équipée avec toute la technologie dernier cri. Tout était flambant neuf, cela changeait bien de son vieil appartement qui commençait à dater, même s'il restait beau. Mais il y avait cette touche de nouveau, de moderne qui l'attirait. Mathilda se prit à rêver d'avoir une aussi belle maison. Seulement, dans son rêve, John n'y figurait nullement.

Mathilda ouvrit le frigo en s'assurant que personne ne la regardait. Il y avait encore quelques amuse-bouches et une bouteille de vin encore pleine. Elle enfourna les mets dans sa bouche en les avalant rapidement puis elle descendit la bouteille au goulot. Elle reposa ensuite ce qui en restait comme si de rien n'était.

Elle ouvrit ensuite les placards. Tout était en ordre. De vrais maniaques, se dit-elle. Il y avait quelques paquets de gâteaux et de pâtes, mais rien d'intéressant. Elle ouvrit ensuite le tiroir et oh ! de magnifiques couverts en argent.

Mathilda regarda à droite et à gauche avant de prendre une petite cuillère en argent et de la fourrer dans son sac. Ni vu ni connu, pas vu pas pris.

Satisfaite de son souvenir elle se retourna et sursauta en voyant la maîtresse de maison posée devant elle.

« Bonjour. » dit-elle sous le choc

« Bonjour, je peux savoir ce que vous faites ici ? L'exposition se trouve là-bas.

- Rien, je visite. C'est une bien belle maison que vous avez là, je vous félicite. »

Mathilda espérait détourner son attention. Elle avait peur d'avoir été prise la main dans le sac, mais la maîtresse semblait n'avoir rien vu.

« Oh merci, j'avais bien dit à mon mari que c'était une belle affaire. C'est moi qui ait fait toute la décoration, vous savez. Des mois de travaux ! Mais ça en valait bien la peine maintenant qu'on voit le résultat.

- Oui, vous avez bien fait... »

Mathilda essaya de s'esquiver. Elle n'était pas très à l'aise avec les gens de ce rang-là, même si elle rêvait secrètement d'en faire partie.

« Bon, je dois vous laisser, je vais retourner à votre exposition.

- Faites donc. »

Mathilda était sur le pas de la porte quand la maîtresse l'interpella soudainement.

« Attendez.

- Oui ?

- Est-ce que je peux voir votre sac ?

- Pour quoi faire ?

- Il y avait vingt cuillères dans ce tiroir ; je n'en vois que dix-neuf.

- Mon Dieu, quelqu'un s'est introduit dans votre cuisine pour vous la voler !

- C'est vous n'est-ce pas ?

- Jamais je n'oserais enfin !

- Montrez-moi votre sac, je vous prie.

- Non ! »

Mathilda serra fort son sac contre elle en guise de défense. La maîtresse s'approcha d'elle, menaçante.

« Je vous ai dit, montrez-moi votre sac.

- Non ! C'est de la diffamation et je n'accepterais pas de...

- Allons, on vous entend depuis le salon, qu'est-ce qui se passe ici ?

- Cette putain nous a volé nos couverts ! Je t'avais dit de pas les inviter ici.

- De quoi tu m'as appelée grognasse ? »

John arriva à ce moment-là. Il prit un air hébété, se demandant ce qu'il se passait.

« Qu'est-ce que vous dites à ma femme ? Mathilda, qu'est-ce que t'as fait encore ?

- On m'accuse à tort, ils veulent me faire passer pour une voleuse !

- Si vous êtes toute blanche, pourquoi vous ne montrez pas votre sac ? »

Mathilda eut l'air bête. Elle regretta d'avoir volé cette fichue cuillère mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Dès qu'elle voyait quelque chose de valeur il fallait qu'elle le prenne. C'était comme ça.

Elle prit une mine désolée et ouvrit son sac. Sur le dessus, la jolie cuillère en argent trônait sur ses affaires. Les larmes lui montèrent aux yeux.

« C'est pas ce que vous croyez, je regardais l'argenterie et je l'ai mise machinalement dans mon sac sans m'en rendre compte, je...

- Qu'est-ce que tu fais ici pour commencer ? » John avait l'air furieux

« Je voulais pas...

- Mais tu l'as fait, tu peux pas t'en empêcher hein ?

- Je vais vous demander de sortir de chez moi. Je ne supporte pas qu'on puisse me voler dans ma propre maison.

- Oui, je suis confus et tellement désolé... j'espère que vous me pardonnerez. N'oubliez pas que c'est ma femme et non moi qui a fait ça.

- Sortez ! » cria la maîtresse

Contraints, John et Mathilda baissèrent la tête et sortirent jusqu'à la voiture.

« J'y crois pas que t'ai encore fait ça ! Qu'est-ce qui te passe par la tête, bon sang ? À chaque fois c'est pareil, t'apprends jamais de tes erreurs ou quoi ? On t'a pas donnée d'éducation ? Parce que sinon moi je vais t'en donner une. »

Mathilda se mise à pleurer. John ne l'avait jamais frappée mais elle avait bien peur qu'il le fasse un jour ou l'autre ; et il était peut-être arrivé.

« Oh allons, tu sais que je déteste te voir pleurer comme ça. Mais pourquoi t'as fait ça ?

- Parce que je veux une jolie maison aussi, avec pleins d'amis qui viennent. Moi aussi je veux qu'on vienne chez moi mais y a jamais personne à part tes « collègues » à cause de toi.

- C'est de ma faute maintenant ? Qu'est-ce que j'ai encore fait ? »

Mathilda resta muette. Elle ne voulait pas répondre.

Il avait tout fait, il l'avait isolée et l'avait rendue malheureuse et sans ami. Il avait tout fait pour ruiner sa vie. Mais jamais elle n'oserait le lui dire en face. Elle n'avait que ses yeux pour pleurer.

« Bon, c'est pas grave. Mais ne recommence pas, hein ? Je ferai en sorte de te faire pardonner. »

Les pleurs réglaient toujours tout avec John. Il pouvait essayer de le cacher autant qu'il le voulait mais c'était un homme sensible au fond, qui ne supportait pas les disputes avec sa femme. C'était plutôt facile et utile dans pas mal de situations, mais là c'était de vrais pleurs. Mathilda ne comprenait pas ses pulsions et cela la rendait triste en plus de tous ses problèmes.

Ils arrivèrent enfin à la maison. Mathilda était fatiguée et avait mal à la tête à force de pleurer. Elle se déchaussa rapidement avant d'aller directement au bar.

« Mathilda, je t'ai déjà dit que... »

Elle ne l'écouta pas. Elle ouvrit le bar et y sortit une bouteille de whisky déjà à moitié vide. Elle en remplit un verre avant de le descendre d'une traite.

Mathilda rêvait d'avoir des amis à la maison mais elle les avait tous perdus à cause de John. Il l'avait enfermée dans une prison dorée sans qu'elle ne puisse s'en rendre compte et maintenant elle était seule. Elle avait laissé la plupart de ses amis en Irlande ; elle s'en était bien faite une avant qu'elle ne rencontre John et qu'elle travaillait encore mais elles s'étaient vite séparées après que John l'ai mise sous son emprise.

Elle se rendit compte qu'elle était coupée du monde extérieur, qu'elle n'était au courant de rien de ce qui se passait dans le monde. C'était à peine si elle connaissait le président américain. Elle était totalement à la ramasse.

Elle décida qu'il en serait autrement.

« Je vais trouver un travail, annonça-t-elle d'un ton victorieux

- Pour quoi faire ? Tu as déjà tout ici. Tu ne manques de rien.

- J'ai besoin de vivre aussi.

- Tu vis déjà très bien.

- Non, tu comprends pas. J'ai besoin de rencontrer d'autres personnes, d'autres horizons. Il faut que je m'ouvre, je suis trop renfermée ici. J'ai besoin d'air ; tu comprends.

- Ça travaille pas une femme quand ça a un homme. Laisse ça aux pauvres femmes.

- Je travaillais bien avant de te rencontrer et je m'en portais bien.

- Justement, c'était avant que tu me rencontres. Tu es bien maintenant, allez. »

Peut-être qu'il avait raison après tout. En y réfléchissant bien elle n'était pas tant plus heureuse lorsqu'elle travaillait. Ça la fatiguait, même. Elle devrait plutôt remercier John de l'avoir sauvée de cette vie. Décidément, elle était trop ingrate.

« Tu as raison... je suis désolée chéri. »

Il la prit dans ses bras et l'embrassa. Il la traîna jusque dans le lit. Elle y passa une nuit moyenne où elle ne put s'empêcher de s'imaginer une autre vie sans John.

Elle se réveilla seule le lendemain. John était déjà parti à son « travail » Elle soupira. Elle en avait marre d'être solitaire.

Elle regarda l'heure ; il était déjà midi. Elle avait une légère gueule de bois mais ce n'était pas comme si elle n'était pas habituée.

Elle alla dans la salle de bain pour se débarbouiller. Elle ouvrit la porte de la douche avant de faire couler l'eau. Elle se déshabilla rapidement avant de rentrer. L'eau était brûlante comme elle l'aimait. Un nuage de vapeur se forma dans la pièce.

Elle laissa couler l'eau sur son dos qui prit une petite teinte rouge à cause de la chaleur. C'était le seul moment où elle se sentait réellement bien. Elle pouvait réfléchir tranquillement tout en se vidant la tête.

Elle se mise à penser à John et leur discussion de la veille. Peut-être qu'il avait raison, qu'elle n'avait pas besoin de travailler et qu'elle était bien comme elle était. Elle soupira.

Et puis non, merde. Elle n'était pas heureuse comme ça. Il fallait que les choses changent. Tant pis si ça ne plaisait pas à John. Elle allait reprendre sa vie en main, et elle était bien résolue à tenir cette nouvelle résolution.

C'était la première fois depuis longtemps que Mathilda sentit une once de bonheur dans son corps.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire QueenDichi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0