Chapitre 6

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La salle était froide et sombre. Mathilda attendait impatiemment sur sa chaise rigide et inconfortable. Ça faisait maintenant une demi heure qu'elle attendait sans bouger et ses jambes commençaient à trembler d'irritation.

Alors qu'elle prenait son mal en patience elle profita du temps pour observer ce qui l'entourait. C'était une pièce simple et sobre, avec juste quelques chaises et des posters accrochés au mur. Rien de bien intéressant, alors elle épia les autres candidats présents.

Il y avait un homme élégant habillé en costume. Il avait de grosses lunettes qui cachaient une partie de son visage, le rendant intriguant et un peu menaçant. Mathilda n'arrivait pas à distinguer ce qu'il regardait et cela la rendait mal à l'aise. Il se tenait droit sur son siège, les mains collées à ses cuisses. On pouvait deviner qu'il était là pour tout donner et réussir son entretien et cela intimidait Mathilda.

Il y avait une autre femme dans un beau tailleur. Elle avait un très joli visage harmonique qui rappelait la délicatesse et la féminité. Elle avait un regard doux, pas comme l'autre homme. Elle était vraiment belle et Mathilda se sentit comme envoûtée par ce si mignon bout de femme. Elle avait toujours des sentiments mixtes envers les belles femmes ; elle les jalousait d'un coté et les admirait de l'autre. Elle les aimait autant qu'elle les détestait.

La femme sembla avoir remarqué Mathilda et lui lança un petit sourire timide. Mathilda se rendit soudain compte qu'elle la dévisageait depuis un moment sans qu'elle ne s'en rende compte et elle détourna immédiatement le regard, honteuse. Elle sentit le rouge lui monter aux joues, n'osant pas lui rendre son sourire.

Mathilda se sentit comme en compétition. C'était un jeu où il n'y aurait qu'un seul gagnant. Elle était intimidée par ces deux personnes. Elle avait l'impression de ne pas être capable de rivaliser et elle hésita un moment à partir sans passer l'entretien. Elle n'avait pas travaillé depuis longtemps et elle ne se sentait pas à la hauteur. Peut-être que John avait raison finalement ; qu'une femme n'avait pas besoin de travailler si son homme pouvait largement subvenir à ses besoins. Elle se rappela tout le dur boulot qu'elle exerçait alors qu'elle était encore en Irlande et elle se sentit honteuse de s'être laissée aller au point de ne plus vivre que par les crochets des autres.

Mathilda resta fixée sur ses pieds, hésitant fortement à tout laisser tomber. Les deux autres candidats étaient habillés avec élégance alors que Mathilda portait une robe de soirée affriolante comme elle aimait. Elle se rendit compte que ce n'était pas fait pour passer un entretien d'embauche mais elle n'y avait pas réfléchi. Elle se sentit gênée et bête en voyant les tenues classes des deux autres. À quoi s'attendait-elle ? Elle voulait charmer l'employeur mais il risquait juste de la trouver vulgaire et inappropriée. Elle tira sa courte robe pour essayer de couvrir ses cuisses le mieux possible et essaya de cacher son décolleté. C'était trop, il fallait qu'elle parte et tant pis pour l'entretien.

Mathilda commençait à se lever quand elle entendit une porte s'ouvrir et une voix : « Madame O'Nessy ? »

Mathilda sursauta en entendant son nom. Il était trop tard maintenant pour fuir, et elle était obligée de se taper une honte monumentale. Légèrement tremblante, elle alla jusqu'à l'employeur et lui fit une poignée de main molle avant d'être invitée à rentrer.

L'homme s'assit lourdement sur sa chaise imposante. Il avait un léger embonpoint et portait un costume similaire à l'autre candidat. Mathilda baissa la tête, sentant le regard perçant de l'employeur qui sembla la juger de haut en bas.

« Alors Madame O'Nessy ; Irlandaise je présume ?

- Oui, exact.

- Quelle région ?

- Province de Munster.

- Très bel endroit. Je suis d'origine irlandaise aussi, par ma mère. J'y suis allé plusieurs fois ; et malgré la misère c'est un très joli pays où j'aime voyager.

- Oui, c'est un très beau pays. »

Mathilda se sentit soulagée. L'homme avait l'air content de passer un entretien avec une Irlandaise. Elle se rendit compte qu'elle retenait sa respiration à cause du stress. Elle expira pour faire baisser la tension. Elle se sentait plus à l'aise, voyant que ses origines avaient touché une corde sensible de l'employeur.

« Alors, quelles sont vos compétences ?

- J'ai longtemps travaillé aux champs en Irlande et j'ai travaillé un moment en tant que serveuse lorsque je suis arrivée ici.

- C'est très bien, mais, qu'elle est votre expérience en tant que comptable ?

- Eh bien, je n'ai aucune expérience dans la comptabilité pour être honnête... » L'employeur baissa la tête et la regarda avec de grands yeux. Mathilda rougit et se pencha vers l'avant, essayant à tout prix de ne pas croiser les yeux de l'homme.

« Je suis désolé mais il faut impérativement de l'expérience pour ce travail. Au moins un diplôme.

- Mais, j'apprends très vite, je vous jure. Laissez-moi une semaine ou deux et je l'aurai, votre expérience. »

Mathilda s'inclina légèrement, faisant bien attention à dévoiler son décolleté et prit une voix suave :

« Je suis sûre que je peux vous apporter beaucoup.

- Désolé, mais je ne peux pas. »

Mathilda se leva soudainement de son siège, énervée. Elle poussa violemment le fauteuil contre le bureau avant de partir en claquant la porte.

« J'ai pas besoin de vous et de votre travail débile de toute façon. »

Les deux candidats regardèrent Mathilda taper du pied d'un air furibond, faisant claquer ses talons sur le bois dur du sol.

Elle marcha sans s'arrêter une vingtaine de minutes. Elle n'arrivait pas à croire qu'on l'ait recalée ainsi. Elle avait l'habitude qu'on lui cède tout et elle avait du mal à accepter les refus.

Elle s'arrêta un moment au milieu de la foule. L'air de l'hiver soufflait encore doucement sur ses jambes dénudées, la faisant trembler d'un frisson plutôt agréable. Mathilda se sentit mieux et plus calme. Elle était toujours en colère mais elle semblait réussir à reprendre ses esprits. Elle se sentit mal d'avoir insulté cet employeur mais elle ne put s'en empêcher. Elle se sentit honteuse en repensant à cette scène ; il n'y avait pas matière à s'énerver maintenant qu'elle réfléchissait bien, mais elle resta tout de même vexée.

Mathilda soupira. Quelqu'un la poussa légèrement et elle se rendit compte qu'elle était en plein sur le passage des gens, oubliant le monde extérieur tant elle était absorbée par ses pensées. Elle s'excusa silencieusement à la personne et elle se remit en route. Elle ne savait pas où aller alors elle décida de marcher au petit bonheur la chance. Après tout elle adorait se promener à New-York. Machinalement, elle se déplaça jusqu'au Blues club. Après tout, c'est là qu'elle passait le plus clair de son temps donc c'était sans surprise que ses jambes l'aient amenée jusque-là sans réfléchir. « Salut Roger » dit-elle

Le bar n'était pas plein comme il avait l'habitude de l'être pendant la soirée mais il n'était pas vide non plus. Cependant Mathilda ne reconnaissait aucun clients, ne venant d'habitude exclusivement la nuit. Un des habitués releva la tête, jetant un rapide coup d'œil à la jeune femme avant de retourner à son verre.

« Mathilda, qu'est-ce que tu fais à cette heure-ci ?

- J'ai passé une journée horrible Roger. Je me suis fait rejeter violemment.

- Qu'est-ce que tu racontes ?

- Je suis allée à un entretien d'embauche mais je me suis fait virer parce que je n'ai pas d'expérience. Comment suis-je censée trouver de l'expérience si on ne m'en donne pas l'occasion ?

- Pourquoi tu ne trouverais pas un job de serveuse comme avant ?

- J'en ai marre, il me faut un truc qui m'occupe intellectuellement. La seule chose qui compte quand t'es serveuse c'est d'être jolie et, même si j'aime bien ça, ça m'ennuie affreusement. Oh, j'ai une idée ; et si tu m'embauchais toi ?

- Hum, et bien, le bar demande un certain standing, et je suis désolé de te le dire comme ça mais tu ne corresponds pas vraiment aux critères.

- Ah. »

Mathilda comprit où il voulait en venir. C'était encore à cause de sa vulgarité mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Elle se rappela de la fois où ce jeune homme l'avait prise pour une prostituée et elle se remémora de l'humiliation qu'elle avait vécue. Elle s'était dit mille fois qu'elle allait changer, qu'elle allait arrêter d'être une assistée qui n'arrive à rien toute seule. Elle se demanda depuis quand elle était devenue un boulet pareil mais elle n'arrivait même plus à se rappeler de ces jours où elle était une femme forte et indépendante. La vérité lui tomba dessus ; elle ne servait vraiment à rien.

« Je vais changer, Roger. » dit-elle, « Je vais changer et je vais devenir une femme digne, respectable et autonome.

- Tu fais déjà une crise de la quarantaine ? C'est plutôt moi qui devrait dire ça.

- Mais je suis sérieuse. Je serai une nouvelle femme bientôt. Mais d'abord, sers-moi un whisky.

- Encore au compte de John ? »

Mathilda ne répondit pas, vexée. Elle avait l'impression de vivre à travers son mari et que personne ne la respecterait si elle était seule. Elle trouvait cela injuste ; pourquoi une femme ne pourrait pas vivre pleinement sa vie sans être dans l'ombre de leurs hommes ? Cela l'a rendit triste ; elle repensa à sa vie en Irlande où les gens ne voyaient pas que sa beauté mais plutôt ses qualités intérieures. Elle n'arrivait même pas à se souvenir à partir de quand sa vie avait changé aussi drastiquement. Elle avala son verre d'une traite avant de quitter le bar.

Arrivée chez elle John n'était toujours pas là. Tant mieux, elle voulait être seule pour réfléchir à sa situation. Il était vraiment temps qu'elle change.

A peine quelques minutes plus tard elle fut retirer de ses contemplations lorsqu'elle entendu le bruit de la porte. C'était rare que John rentre aussi tôt. Un peu déçue, Mathilda alla le voir.

« Bonsoir chéri, dit-elle

- Bonsoir mon cœur. Ça va ? »

Mathilda retint un sanglot. Elle avait vraiment passé la pire des journées et elle avait envie de pleurer rien qu'en y repensant.

« Bah alors ? » dit John

Soudain, Mathilda éclata. Elle pleura de ces pleurs qui vous remplissent la pièce entière, qui vous empêchent de parler et qui vous noue le ventre. Ne sachant pas quoi faire, John resta bouche bée avant d'avancer vers sa femme.

« Pourquoi tu pleurs comme ça ?

- J'ai voulu passer un entretien d'embauche mais je me suis fait virer parce que je suis une bonne à rien, puis je suis allée chez Roger et il m'a dit que je savais rien faire, et puis...

- Du calme. Tu dis que tu as passé un entretien d'embauche ? »

Mathilda était censée taire cela, mais sous l'émotion elle n'arriva pas à garder cela sous silence. « On en a déjà parlé. T'as pas besoin de ça, regarde comme ça t'attriste. Tout ce que t'as à faire c'est rester à mes côtés, à être ma femme et à te la couler douce. Je suis l'homme de la maison, c'est moi qui doit tout gérer, et j'ai pas besoin de ton aide pour ça.

- Oui, tu as sûrement raison. »

Mathilda se calma un peu. Après tout, c'était vrai. Si John seul arrivait à s'occuper d'eux deux, à quoi bon essayer d'être utile alors qu'on ne l'est pas ?

« Sèche tes petites larmes et regarde plutôt ce que je t'ai ramenée. »

John sortit une boîte à bague de sa poche. Mathilda la prit délicatement et l'ouvrit avec curiosité. « Oh, John... »

C'était une petite bague fine et élégante ; un petit anneau en or blanc avec un joli diamant. Elle était tout à fait resplendissante.

« Où l'as-tu eue ?

- Ça n'a pas d'importance.

- Merci chéri, elle est vraiment belle. »

John sourit et lui fit un petit baiser.

« Écoute, demain mon patron et ses associés vont venir passer le dîner ici. Je veux que tu sois irréprochable ; tu nous cuisines un bon petit plat comme tu sais les faire, tu mets ta plus belle robe et tu essaies d'être serviable. Tout ce que le boss te demande, tu le fais. Aussi simple que ça.

- Ah... oui. »

Un peu dépourvue, Mathilda ne savait pas quoi en penser. C'était la première fois que le patron viendrait chez eux, et John n'avait pas le droit à l'erreur. Il ne voulait pas à ce que sa femme se mêle de leurs affaires ; elle devait rester muette et sourde jusqu'à ce qu'on lui dise le contraire. Elle se sentait comme un meuble ou un objet de décoration ; inutile mais agréable à l'œil. Encore plus déprimée qu'elle ne l'était, Mathilda rejoint la chambre où elle passa la soirée dans son lit.

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