Extrait : Le Cantique du Prodigue (chapitre 4)
(...) Allongée sur son lit, aussi immobile qu’agitée intérieurement, seules ses mains trahissaient le désarroi qui l’assiégeait. Les doigts crispés torturaient l’étoffe de sa robe. Dehors, le temps était à l’unisson de son for intérieur. La pluie battait son plein. Les fortes bourrasques de vent donnaient aux gouttes lourdes la force d’un impact de balle sur les vitraux de la fenêtre. A intervalles irréguliers, de lourds grondements déchiraient en cascades les cieux. Leur écho se perdait au loin dans un roulis sourd et menaçant. Des éclairs achevaient de lacérer le ciel assombri du tranchant de leurs lames furtives. Le ciel semblait vomir de l’eau. Elle entendait sans entendre le gémissement des arbres torturés par les vents. Leur cime devait ployer sous les rafales. La pluie martelait le sol. La chambre, asphyxiée par le manque de lumière naturelle, était pourtant identique, mais plus rien ne serait jamais comme avant. Et le climat perturbé n’arrangeait rien. Comme un présage. Dans sa tête tout se bousculait. Tout bougeait. Tout ballotait. Son cerveau, comme un navire perdu au milieu d’un océan déchaîné, semblait prendre l’eau. Des images. Des souvenirs. Des propos. Des questions. De nombreuses questions. Des doutes. Des certitudes. De nombreuses certitudes. Des craintes… Tant de choses se bousculaient, s’entrechoquaient. Le vaisseau de ses pensées tanguait, roulait, chavirait sous la force des vagues, des lames de fond qui traversaient en de violentes ondulations son corps. Il butait sur une multitude de récifs intérieurs, à fleur de conscience. La coque, fragile coque, grinçait contre chaque écueil qu’elle frôlait. Elle crissait sur leurs arrêtes aiguisées sans pour autant rompre et se déchirer. Des ressacs violents qu’elle ressentait physiquement au creux de la boule qui lui nouait le ventre. Les vagues de son flou intérieur tapaient la falaise de son doute. Elles érodaient toutes ses certitudes qui s’effritaient et se délayaient dans cette mer intérieure déchaînée. Son regard balaya la chambre comme celui du naufragé scrute dans le vide espérant vainement discerner un quelconque point de repère, quelque part au-delà de son désespoir, de sa panique, de sa frayeur. Cette chambre qui l’avait vue grandir. Jamais elle n’aurait imaginé que ça se passerait comme cela. La garde-robe, la commode, le bureau, la table de nuit, le papier-peint, le lustre, la fenêtre, le radiateur, les tapis, la moquette… tout fut scanné par ses yeux inquiets, paniqués, incertains. Elle se sentait comme happée dans un tourbillon. Elle ne savait comment faire, que dire. Surtout, elle ignorait le retour auquel elle aurait droit. Les réponses qui lui seraient apportées. Le regard qu’on lui porterait. Plus elle échafaudait d’hypothèses et moins elle obtenait de réponses. Plus le doute s’installait. Au bout de deux heures, elle se leva et quitta sa chambre. Elle y jeta un dernier regard avant de fermer la porte. Comme un adieu à ce qu’elle était sur le point d’abandonner. Elle le savait au plus profond d’elle-même. En fermant cette porte, elle fermait la porte sur son passé de petite fille, de jeune fille. Elle rentrait dans un nouveau monde. Elle naissait à une autre vie avec tout ce que cela entend en termes d’inconnues et d’incertitudes. Mais avant toute chose, elle devait rendre compte. Et là précisément, résidait l'épineux problème. (...)
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