3) En toute honnêteté
Vanessa s'était accoudée, à demi-avachie sur la table circulaire. Son visage indolent reposait sur deux doigts, les ongles coupés courts. En face, Nelly demeurait stoïque, tandis qu'elle finissait docilement son troisième verre de la soirée. Elle manquait d'élégance, à l'image de sa manucure écaillée et bancale. Et pourtant, Vanessa s'était mise à lui faire les yeux doux.
Lorsqu'elle releva le nez de sa boisson et rencontra ce regard ravageur, Nelly s'esclaffa en arrosant la table de sa dernière gorgée.
— C'est quoi ça ? Tu me sors le grand jeu ?
— Désolée, c'est l'habitude, s'excusa Vanessa, soudain redressée.
— Oh, je vois ! L'habitude... Tu les collectionnes ? Tu les emballes comment ? Avec ton corps d'athlète ou tes beaux grands yeux bleus ?
Son sourire se crispa et elle roula des yeux, comme pour brouiller l'allure d'eau claire de ses iris. Elle avait l'habitude qu'on la regarde de travers ou qu'on la complimente, mais le subtil mélange des deux provoquait une piqûre des plus irritantes.
— Pour être franche, confessa-t-elle dans une sorte de chuchotement, en général, je leur propose juste de coucher avec moi. Si je me prends un râteau, eh bien, je passe mon chemin.
— C'est presque trop facile.
Ce soupir recelait une pointe de déception, laquelle n'échappa pas aux sens acérés du chasseur, même fourbu. Observation, intuition et réactivité, tels avaient toujours été les atouts essentiels de Vanessa. Ses collègues l'appelaient souvent par des noms de félins, qu'elle ne démentait pas.
— Je suis pas vraiment volage, tu sais, se défendit la jeune femme. Je crois même que je pourrais coucher tous les jours avec la même personne. Je recherche pas réellement d'expérience exotique, j'ai pas de fétiche non plus.
— Tous les jours, ceci dit, releva Nelly. C'est beaucoup, non ? T'es genre... nympho ? Je m'en fous un peu, en fait. Je suis qui, pour juger ? C'est juste que moi, le sexe, j'ai aucun mal à m'en passer. Ça ou autre chose. J'aime autant un bon whisky, ou une histoire d'horreur. C'est pas que j'aime pas qu'on me touche. Disons que... ça me laisse indifférente.
— Tu vas me faire chialer...
— C'est vraiment rien, tu sais. Je t'assure que je m'en fiche.
— Les gens parlent trop, quand ils ont bu. Mais ils sont vrais, aussi. Une sorte d'eux-mêmes décuplée à l'extrême. Tu vois le truc ? Mais toi et moi, au point où on en est, on n'a pas vraiment besoin d'un verre de plus pour être franches. Pas vrai ? Je vais pas te déballer toutes mes techniques de drague, et pourtant tu me plais. Tu me plais vraiment, Nelly. Je sais même pas bien pourquoi. Alors je me disais juste qu'au lieu de se tourner autour comme des ados, on pourrait discuter, vraiment, en toute honnêteté.
— L'honnêteté, ça me va.
Sa propre audace la saisissait. Une autre sorte d'ivresse avait pris le dessus et Vanessa, hilare, acheva d'enfoncer le clou d'un air pleinement béat.
— Honnêtement... j'adore le sexe !
Une bulle de rire grinça, à l'entrée de sa gorge
— Et toi, Nelly, qu'est-ce qui te fait vibrer ?
— J'en sais trop rien. Peut-être... qu'on me félicite.
Leurs regards se soutinrent, se jaugèrent et, parce qu'elle était parfaitement sérieuse, elles explosèrent d'un même gloussement complice. Moqueuse, Vanessa la gratifia d'une petite tape sur le sommet du crâne. La douceur de ses cheveux. Son sourire mielleux. Sa main sèche lui glissait lentement sur la joue. Le rire stoppa net. Alors, comme en prenant conscience de la limite qu'elle venait de franchir, Nelly recula subitement, rangea ses doigts nerveux dans le bout de ses manches flasques, la gêne au bord des lèvres.
— Pardon... C'est la fatigue, je crois... Je vais rentrer. Ça vaut mieux.
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