14) La Traque
Dimitri poussa la porte et fit irruption dans le bureau.
— Qu'est-ce que j'ai dit, à propos de frapper aux portes ? s'insurgea Perrine.
— Affaire VV-12, décréta son subalterne en brandissant une pochette cartonnée. Les boss demandent La Traque, sur le coup. Elle est pas encore arrivée ?
— Non. Madame fait des heures sup sur les affaires des autres.
— Tu sais que je peux toujours être ton témoin de mariage, hein ?
— Si cette garce se défile ce jour-là, je jure que je ferai plus jamais équipe avec elle. On la mettra avec Didier, tiens. Il lui racontera ses histoires de couilles qui démangent. Elle va être ravie !
Le jeune homme sourit en passant l'objet de sa visite dans les mains de sa collègue.
— Affaire VV-12, hein ?
— Vieille veuve. Douze coups de couteau dans le poitrail du mari. Va sans dire qu'il est mort...
— De pire en pire, ces noms de codes ! soupira Perrine en entamant de feuilleter le dossier. Elle nie tout en bloc, hein ? Évidemment. Y a-t-il une raison de penser que La Traque va l'avoir ? Il n'y a aucune raison de penser qu'elle n'y arrivera pas... Encore une vieille veuve, hein ? C'est la troisième en même pas deux mois, les gars. Il va falloir songer à varier les cibles parce que, si ça continue, elle va se lasser. Je la connais... Et quand elle se lasse...
— Ouais, je sais.
Dimitri n'avait nul besoin d'en entendre davantage. La coéquipière du Major Perrine Lacroix était connue, et reconnue, comme le loup blanc, dans le milieu. Quoi qu'on l'appelait plus volontiers Féline, Tigresse ou Œil-de-Lynx ; parfois même Minette, sur le ton de la plaisanterie. Autrefois, la fine équipe se faisait connaître sous le nom charmeur des Sœurs Siamoises. C'était avant que Perrine soit promue, avant que leur relation ne change drastiquement. Depuis lors, le brigadier Walter avait déployé des talents indécents, mais certains, et récolté un surnom d'un tout autre acabit : La Traque.
Ce lundi matin, comme chaque fois qu'elle passait, nonchalante, le portique d'entrée, son badge négligemment agrafé, La Traque faisait l'objet de tous les regards. Tout le monde à l'Annexe connaissait ses prouesses, aussi fréquemment louées que raillées. Malgré son caractère impétueux et son éthique douteuse, dernièrement, ses supérieurs considéraient La Traque d'un œil intéressé. En moins d'un an seulement, forte de ses atouts naturels, elle était parvenue à pousser aux aveux une quinzaine de femmes : toutes des criminelles méticuleuses, impossibles à confondre. La Traque bénéficiait d'une intuition certaine : elle flairait les coupables rien qu'en s'en rapprochant. Du reste, son mode opératoire ne fluctuait que rarement. D'abord, elle établissait le contact avec sa cible, sous couvert du hasard, voire souvent de l'audace. Presque systématiquement, elle s'arrangeait pour la faire boire, de sorte à dompter sa méfiance. Il lui suffisait toujours de quelques jours pour gagner la confiance et l'affection d'une suspecte. Elle ne courait que les femmes ; La Traque insistait sur ce point chaque fois que l'on tentait d'élargir son terrain de chasse, de la promesse d'une prime à l'appât d'une médaille. Jamais elle ne cédait, prétextant qu'elle gardait une ligne de conduite. Nul ne savait laquelle ; certainement pas l'intégrité. La rumeur racontait qu'aucune cible jusqu'alors n'était demeurée insensible à ses charmes, pas même les plus hétéros. Et pour cause, La Traque s'adaptait aux idéaux de sa proie, composait chaque affaire un nouveau personnage, scrupuleusement pensé à dessein de séduire. Elle visait toujours juste et, immanquablement, une fois piège tendu, la bête s'y laissait mordre ; les révélations coulaient, souvent sur l'oreiller. La Traque aimait jouer avec des menottes, mais surtout les passer : « Rendez-vous directement à la case prison ; vous ne recevez pas deux-cent balles. »
Par la suite de sa reconversion fortunée, la plus longue traque n'avait duré qu'un peu plus d'une semaine. Une réussite absolue.
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