Le Christ en peine sur le chemin du Calvaire
On le voit avancer sous les cris et les voix,
Soutenant à lui seul l’insoutenable Croix,
Et marchant en silence, alors que de la foule
La clameur excitée se répand et s’écoule,
On le voit, homme faible, on le voit se pencher,
Demandant à son Père un fardeau plus léger.
Mais trop tard ! Car le monde, en son cœur désinvolte,
Doit connaître de Dieu son ultime révolte,
Et pour comble d’horreur, sur un bois criminel,
Fixer le juste Roi du Royaume Éternel.
Souffrant tout, il attend de révéler sa gloire,
De verser de son sang dans l’auguste ciboire,
Et de donner à l’Homme, ô pécheurs, ô maudits !
Une chance de vivre aux champs du Paradis ;
De partager le règne où sa grâce domine ;
Et de boire à jamais à la source divine.
Mais hélas, au tombeau, le rocher ferme encor
L’entrée du noir séjour et son divin trésor ;
Et sentant son devoir l’éloigner de son doute,
Le Sauveur, incliné, poursuit l’affreuse route
Du Calvaire. L’on crache, et l’on donne des coups
A celui dont l’Amour délivre du courroux
La folle humanité. Soudain, dans le tumulte,
Un esprit de Satan lui lance cette insulte :
‘Eh, toi le fils de Dieu, toi, son noble envoyé !
Que n’est l’Ange Michel par tes soins dépêché ?
Ou bien, d’un feu puissant dévastant l’assistance,
Pourrais-tu de nos cœurs châtier l’ignorance ?
Tu disais faux, sans doute, alors que ton orgueil
Te réclamais du Dieu qui console le deuil ;
Qui prend soin de la veuve, et de l’enfant sans père ;
Qui donne son mérite à l’homme qui espère.
Si Dieu vraiment t’envoie, sauve-toi, cours, t’enfuis !
Voyons si ton pouvoir est celui de son Fils.’
Ainsi parla l’esprit, et la foule endurcie
Rit de son insolence, et plaisante, et s’écrie :
‘Sauve-toi, Roi des Juifs ! Punis-nous du forfait !’
Le Vengeur les entend, mais le Sauveur se tait.
Sa force se fait rare, et ses jambes lassées
Ploient sous l’immonde poids des fautes ramassées ;
Son souffle est froid, et court, et son fragile corps
Suffoque sous les traits de ses puissants efforts ;
Son sang, le Sang précieux qui va racheter l’Homme,
Ce Sang qui doit ouvrir les Portes du Royaume,
Son sang coule à grands flots du haut de ses cheveux,
Couronnés de sueur et d’un cercle épineux,
Et des gouttes tombant sous la honte et le rire
Accordent à son front l’onction du martyre ;
Ses muscles raidissant sont privés de chaleur,
Et ses os fatigués se brisent au labeur ;
Enfin, il n’en peut plus, mais son ordre persiste.
Il lui faut supporter la Croix sur cette piste.
Il appelle à nouveau son Père dans les cieux,
Où les Anges craintifs ont dirigé les yeux
Sur le triste décor de l’œuvre salutaire.
Ils observent assis, et le cœur en prière.
Mais Dieu, qui souffre tout ce que souffre le Fils,
Dieu ressent sa douleur pour en payer le prix.
De son Trône, il entend écouter sa requête,
Et Jésus, terrassé, lève sa pauvre tête :
‘Abba, dit-il, Abba ! Toi qui m’as envoyé,
Devant qui tout genou sera jamais ployé,
De grâce ! Accorde-moi la force nécessaire
A la dure ascension des sommets du Calvaire ;
Et que ton plan conçu devant l’homme naissant
Rayonne par le Fils au Père obéissant,
Dussé-je du Péché déguster l’amertume.
Mon devoir fait ma joie, mais ma joie me consume.’
Dieu l’entend. Il connaît le trouble qui le tient
Et consent de l’aider. Son Esprit le soutient.
Pourtant, la Croix toujours l’attend sur la Montagne :
C’est là que le Pardon sur la Cruauté gagne,
Et qu’au Salut sublime aimant donner les mains,
Jésus devra mourir sous les clous des Romains.
Le Père, qui veut tant accomplir sa promesse,
Ne veut plus de son Fils prolonger la faiblesse :
Il faut qu’il aille au bout. Un homme, un laboureur,
Fut choisi pour l’aider à porter sa douleur :
Mais quel homme est capable, en sa faible nature,
De porter la douleur du Péché qui torture ?
Simon, car c’est son nom, ne soulève qu’un bois :
C’est Jésus, c’est Dieu seul qui supporte la Croix.
Son compagnon, prenant le bas de cette planche,
Soulage ses deux reins et sa pénible hanche,
Et fixant du Péché le fatidique lieu,
Les deux hommes s’en vont, l’un humain, l’autre Dieu.
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