Chapitre 11 : L'armée de la rédemption
Lazare
Alors qu’à notre départ de Valassmar tout allait bien, l’attitude des vampires ne cessa de se dégrader depuis. « C’est à cause d’eux si tout va mal », « Donner pareilles armures à pareils êtres ne peut représenter qu’une insulte à Valass » ou encore « Réjouissons-nous, contrairement au précédent duc de Sartov ces humains-ci ne montent pas à cheval au moins ». Nous avions beau être préparés à recevoir ce genre de brimades, elles rongeaient malgré tout notre morale à l’usure.
Je ne pus m’empêcher de rapporter à mon père ce que j’avais vu et entendu mais il se contenta de me répondre d’un ton calme et plein d’autorité :
« N’oublie pas ta place ! Cette armée existe pour racheter les rébellions passées des hommes, nous n’avons aucun droit sur les vampires et c’est un honneur que de pouvoir racheter nos fautes passées les armes à la main. Fait fi de leurs remarques et montre leur, lorsque l’occasion se présentera, qu’ils n’ont aucune raison de se défier de toi. Ne compte pas sur les vampires pour gagner cette guerre, ne compte que sur tes camarades et surtout sur toi-même ! Il est de ton rôle de prouver que l’humanité n’est pas condamnée à la rébellion ! Maintenant rejoins ton unité et n’oublie pas notre rôle sacré ! »
Comme d’habitude ses paroles me redonnaient courage en me rappelant le sens de ma mission et de mon engagement. Si individuellement chaque soldat recherche la gloire, collectivement nous luttons pour notre race. Je me souvins alors des paroles du comte de Gamar :
« Soldats, chance-vous est donnée de vous racheter aux yeux des vampires et de Valass, ne la gâchez pas. Sachez qu’entre vos mains repose le destin de toute votre lignée. Que vous l’emportiez dans les combats à venir et la grâce retombera sur vos semblables ! Que vous échouiez et chaque humain en subira les conséquences ! Votre responsabilité est immense alors ne me décevez pas ! »
Je ne faillirai pas, nous ne faillirons pas et nous prouverons à nos maîtres que nous sommes digne du pardon qu’ils nous laissent entrevoir. Nous gagnerons seuls cette guerre s’il le faut et si ce n’est pas suffisant nous gagnerons les mille prochaines ! Tous nos semblables comptent sur nous et ce alors même que beaucoup n’en ont pas conscience ! C’est dans cet esprit avide de gloire et de pardon que nous continuâmes à marcher résolus, entonnant à chaque fois que le cœur se mettait à flancher le chant de la rédemption :
C’est pour toi ma fille que je m’en vais en guerre
Et ton tour viendra de mettre au monde un guerrier
C’est pour toi mon fils que je croiserai le fer
Et ton tour viendra d’apprendre à manier l’épée
Nous sommes la meilleure armée du monde !
Nous volerons de victoires en victoires !
C’est pour nous tous que la bataille gronde !
Et le pardon viendra de notre gloire !
C’est pour racheter les errances de ma race
Qu’en tout temps tout lieu je répondrai à l’appel
Des vampires qui seuls peuvent nous donner la grâce
Jusqu’à ma mort qui sera légendaire et belle
Nous sommes la meilleure armée du monde !
Nous volerons de victoires en victoires !
C’est pour nous tous que la bataille gronde !
Et le pardon viendra de notre gloire !
Nous sommes les hommes en quête de rédemption
Nous luttons pour le salut de l’humanité
Les succès nous apporteront l’absolution
Et ainsi triomphera notre liberté
Nous sommes la meilleure armée du monde !
Nous volerons de victoires en victoires !
C’est pour nous tous que la bataille gronde !
Et le pardon viendra de notre gloire !
Andrei
17 mars 5131
Il y a quelques jours de cela une réunion eut lieu entre Stanislas, Piotr, Yegor, Anastasia et moi. Le roi d’Ishka y annonça qu’il quittait l’armée et renonçait à cette guerre :
« Stanislas, je suis navré de vous l’apprendre si tard mais je ne vous suivrai pas dans votre guerre. Le mari de ma fille est mort je n’ai plus d’attache directe avec votre royaume. De plus j’avais, comme mon gendre, juré de reconnaître le verdict de Valentyn et je ne tiens pas à finir comme Nikolaj. »
Stanislas écuma de rage et hurla sur son grand-père :
« Ne me faites pas croire que vous croyez à ces histoires de courroux divin grand-père ! Si vous avez peur de mourir à la guerre je suis prêt à vous fournir davantage de gardes pour votre escorte ! Je crois pour ma part plutôt que vous êtes lâche et que vous craignez de vous engager dans une guerre qui n’est pas gagnée d’avance ! Si jamais vous l’aviez oublié, je suis votre petit-fils, le fils de votre fille ! Que vous le vouliez ou non vous êtes liés à Orania par le sang et ce tant que je serai roi ! »
Le roi Piotr IV se braqua aussitôt et, rouge de colère, il répondit :
« Je n’ai pas de leçon à recevoir d’un roitelet qui passerait pour jeune même chez les humains ! Que vous le vouliez ou non, Valentyn est le roi légitime d’Isgar et toutes vos armées n’y changeront rien ! Je partirai avec mes troupes, ceux qui le voudront pourront rester les autres me raccompagneront en Ishka ! Si vous daignez prêter l’oreille aux conseils d’un vampire plusieurs fois centenaire : Abandonnez ! Cette guerre ne peut pas bien se terminer, pas pour vous en tout cas ! »
Sur ces dernières paroles il sorti de la tente. Stanislas bouillonnait de l’intérieur et se retenait de ne pas lui courir après l’épée à la main. Voyant cela Anastasia fit sortir Yegor mais insista pour que je reste. D’une voie tendre elle chuchota à son frère :
« - Ecoute, je sens bien que la mort de père t’a davantage affecté que ce que tu laisses percevoir. Tu es tout sauf calme et fais fuir ceux que tu veux conserver... rassure toi, nul n’aurait pu le retenir mais je pense aussi que tu devrais éviter de gérer toi-même ce genre de problème au moins pour l’instant...
- Notre père ne nous a jamais appris à l’aimer... A être fort et sage oui mais pas à l’aimer. Je ne pense pas qu’il me manque, je pense par contre que je ne suis pas prêt à régner. J’ai vingt et un an, tout le monde, moi le premier, doute de mes capacités et j’ai l’impression de devoir m’occuper seul de tous les problèmes s’accumulant devant moi comme père l’aurait fait sans toutefois en avoir les facultés. »
Anastasia sourit à son frère et lui expliqua calmement, presque avec candeur :
« Tu n’es pas incompétent, loin de là. Tu as beau être jeune je me souviens des tournois et manœuvres auxquels tu as participé, tu étais toujours plein d’entrain prêt à mener tes vassaux au bout du monde. Tu as un grand courage physique et nul doute que tu seras bon guerrier. Quant à moi si tu veux je peux me charger dans l’ombre des choses pour lesquelles tu as plus de mal. Et puis nous ne sommes pas seuls, tu as plein de conseillers d’une loyauté sans faille qui te seront d’un précieux secours si tu leur confies les bonnes tâches. Regarde Andrei ici présent, il m’a éduqué pendant presque un siècle et il n’y a nul vampire en qui j’ai davantage confiance ! »
J’étais flatté de cet aveu de la princesse. Je m’inclinai et acquiesçai ce que venait de dire Anastasia. A chaque mot il semblait que Stanislas retrouvait courage et bientôt il convint qu’il était temps de se reprendre et de former un nouveau conseil pour répondre aux circonstances du moment. Je fus congédié pour l’occasion et le roi et sa sœur restèrent seuls. Stanislas revint toutefois rapidement me voir afin de m’informer que j’avais été nommé au poste de maître des ombres « afin de tirer profit pour la guerre qui s’ouvre à nous de mes connaissances et relations en Isgar ». J’allais être accompagnés au conseil par le comte de Gamar pour l’armée et le grand-duc d’Ortov pour la justice. Que des choix évidents jusqu’ici. Plus surprenant fut celui du baron de Fulminmar pour la diplomatie. Il s’agissait d’un fervent soutient de Nikolaj en son temps et qui avait une grande influence chez les petits et moyens seigneurs. Enfin le duc de Jourkalk devint ministre de l’économie. Il était certes relativement bon gestionnaire mais l’objectif réel était surtout de s’assurer que la plus grosse épée d’Orania à ne pas avoir rejoint le conflit auprès de son roi demeure dans une neutralité bienveillante et n’entre pas en rébellion en cas de défaite. La régence à Valassmar allait quant à elle être confiée à l’archiprêtre Aleksy avec pour principale mission qu’il remette de l’ordre dans son culte et que la loyauté à la monarchie demeure le souci principal de chacun des prêtres. Amusante perspectives que de voir le chef du clergé s’assurer que ses subordonnés ne soient pas trop dévots. Cela était assez habile car ainsi l’Eglise allait se purger elle-même sans que l’action de la couronne n’y soit trop visible et nul doute qu’après ses blessures et son humiliation Aleksy serait un serviteur zélé de cette cause.
Le roi avait beau nommer officiellement chacun de ces seigneurs, je ne pouvais m’empêcher d’y voir la main de sa sœur tant la finesse des choix contrastait avec l’esprit brutal et peu subtil de Stanislas. Son souci de la chose militaire revint toutefois rapidement sur le devant de la scène puisqu’il organisa un conseil de guerre des plus urgents dès le lendemain. Urgent était un faible mot tant le départ du roi Piotr IV avait affaibli nos forces. En effet, si les troupes d’Orania qui avait quitté l’armée par peur de Valass avait été compensées par celles l’ayant rejoint pour venger leur roi, dix-mille hommes et mille cinq-cents chevaliers avaient suivi le roi d’Ishka dans son départ nous handicapant d’autant. Seuls restèrent un millier d’hommes d’armes et une cinquantaine de vampires dont la plupart étaient attirés par l’aventure et par la perspective de quelques titres en cas d’exploit. Tous les généraux avaient beau être présents, la réunion consista surtout en un exposé du comte de Gamar :
« Sire ! Mes seigneurs, voici mon analyse : Nous disposons actuellement de quarante-mille hommes et cinq-mille vampires. Bien qu’officiellement rien ne soit encore décidé, il est fort probable qu’Aartov rentre en guerre contre nous. Tous les efforts devront être fait pour que sa neutralité soit maintenue mais ne pouvant avoir de certitude à ce sujet je pense envoyer dix mille hommes et un millier de vampires sous le commandement du duc de Sartov contre ce royaume. Le fief de ce dernier se situant non loin de la frontière, il connaît bien la région et saura tirer avantage du terrain. Malgré tout, la disproportion des effectifs en notre défaveur nous empêche d’envisager autre chose qu’une stratégie défensive sur ce secteur. En s’appuyant sur nos forteresses et le fleuve de la lune le duc devra ralentir au maximum l’avancée de nos ennemis. Je commanderai en personne le reste de nos troupes et les porterai contre Isgar. Selon les rapports d’Andrei ici présent leurs forces sont en cour de reconstitution après le règne de Vassilissa, nous avons donc un ou deux ans durant lesquels nous pourrons attaquer sans qu’ils ne puissent riposter. Nous devrons en profiter pour nous enfoncer autant que possible dans leur territoire afin de tendre la main aux seigneurs soutenant Yegor. Pour se faire nous devrons nous faire l’économie des sièges et emporter les forteresses dans des assauts dès que possible. Les pertes seront importantes mais nous pourront nous les permettre : nous sommes plus nombreux et les forces du duc de Cracvonia et moi-même sont entrainées pour ce genre d’opération. Il faudra s’assurer la meilleure coordination possible avec les partisans de Yegor afin que ceux-ci nous rejoignent dès que possible ! Ainsi par de rapides victoires, un surnombre permanent et le soulèvement des seigneurs loyaux au vrai roi, le trône de Valentyn pourrait vaciller dès les premiers mois ! »
Le plan était convainquant et les généraux furent séduits. Même Yegor montra des signes d’enthousiasme. Chacun se mit alors au travail, le duc de Sartov prit l’armée qui lui était confiée afin de la mener au sud, le comte de Gamar prépara les détails de son invasion et pour ma part je m’empressai de contacter les seigneurs susceptibles de soutenir le mari d’Anastasia. Malgré ce que disait Piotr IV cette guerre ne s’annonce pas si mal tout compte fait.
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