Chapitre 14 : Les hommes se soulèvent
Piotyr
Ce conflit commence bien mal… Mais il fallait s’y attendre, nos armées sont encore pires qu’escomptées et le simple fait de faire bouger l’ensemble de nos forces demande des efforts extraordinaires. Pour notre plus grand malheur il semble qu’au contraire les armées d’Orania aient recouvré leur niveau du temps de Boleslaw. Ils marchent vite, prennent d’assaut les citadelles en un temps record et rapinent tout ce qui est à leur portée leur évitant ainsi d’être dépendant de leur train de logistique, augmentant de ce fait considérablement leur vitesse.
Les voilà désormais aux portes d’Ijlkalmar tandis que le principal souci de notre armée est de les suivre tout en restant à bonne distance afin de ne pas engager un combat ingagnable. Chaque rapport que je reçois est plein de mauvaises nouvelles. Les tentatives de bloquer les voies de communication ennemies ont toutes échouées à cause de leurs troupes d’élites qui se portaient en quelques jours sur nos forces et les forçaient à détaler en catastrophe, sans compter que notre propre logistique est à la peine. Leur corps des éclaireurs s’enfonce profondément dans nos campagnes brulant les récoltes et rendant de plus en plus difficile notre ravitaillement. Les chevaliers ont beau se gausser de ces vampires en haillons, il n’en demeure pas moins qu’ils sont insaisissables et peuvent se permettre de mener des reconnaissances ou des razzias plusieurs dizaines de lieues en avant sans risquer de se faire capturer. Nous n’avons d’autre choix que de suivre leur progression de loin sans pouvoir intervenir.
Le duc de Kulmar fait tout son possible pour former un maximum de troupes mais cela prend du temps et bien que des milliers d’hommes et de vampires renouent avec l’art de la guerre il faudra encore au moins quelques mois d’entraînement si on veut qu’ils aient quelque valeur sur le champ de bataille.
Pour ma part je m’échine à faire arrêter les seigneurs suspects avant qu’ils ne rallient l’ost d’Orania mais la vitesse de progression de ce dernier m’empêche de pouvoir finaliser tous mes projets à temps et plus nos ennemis progressent plus ils rencontrent du soutien. Un vent de doute a même soufflé sur la capitale ces derniers jours et il m’apparaît de plus en plus clairement que bien des seigneurs préparent en secret le retour de Yegor. Le pontife Igor parvient pour le moment à limiter ces agissements par un recours de plus en plus fréquent au fanatisme religieux et à la crainte du courroux de Valass mais nul ne sait combien de temps cela marchera.
Notre roi dispose néanmoins d’un sang-froid à toute épreuve ce qui a quelque chose de rassurant. Je lui ai récemment appris que des révoltes humaines agitaient Orania et il semble avoir un plan pour en tirer profit. Natacha va encore avoir du travail semble-t-il et la mission est des plus urgentes mais si je parviens à effectuer tout ce qu’il m’a été ordonné dans les temps il est possible que cette guerre tourne à notre avantage.
En attendant je continue d’envoyer missive après missive pour que Javor se décide enfin à rentrer en guerre mais le développement actuel de la situation le fait visiblement douter. Peut-être n’est-il pas de la même trempe que ses aïeux après tout. Il est toujours incertain de parier sur le caractère d’un vampire en fonction de celui de ses ancêtres mais étant donné la réputation de sa famille je pensais pouvoir miser dessus sur ce coup-ci. Qu’importe, dans les réponses qu’il me donne il m’assure de son entrée en guerre « lorsque les circonstances le permettront ». Voilà qui signifie en des termes à peine voilés qu’il tient à ce que nous engrangions quelques succès afin de le persuader de s’engage pas dans un conflit qui ne soit pas la chronique d’une défaite annoncée.
Il est donc temps de mettre notre plan à exécution ! Que Valass soit avec nous car jamais notre royaume ne fut plus proche de l’abysse !
Pierre
J’ose à peine y croire, tout se passe comme prévu : Nous avons facilement oblitéré les vampires de notre village puis avons mis le cap sur Kmansk. Comme escompté, la ville état libre et les acclamations au passage de Rolland finirent de me persuader de l’attachement des fidèles à leur grand prêtre, alors même que la plupart ne l’avaient jamais vu.
La quasi-totalité des bourgs sont parvenus à se libérer. Comme il avait été anticipé les vampires, empâtés et négligeant suite à des décennies de paix, se sont aisément faits surprendre. En une journée toute la région est tombée sous le contrôle des fidèles de Renaud et, depuis, les foules de volontaires désirant défendre leur liberté et leur foi ne cessent de converger vers Kmansk. Nous organisons du mieux que possible la défense jour après jour mettant à profit les talents de chacun sous l’égide de notre grand prêtre. Me concernant, malgré mes connaissances en construction, les barricades et murets s’érigent plus lentement qu’espéré faute de personnel formé. Nous avons néanmoins réussi à couper le ravitaillement et désormais plus aucun convoi d’envergure ne peut rejoindre l’armée de nos bourreaux.
Je ne sais pas quand ils rappliqueront mais ils auront face à eux une ville fortifiée et remplie de soldats déterminés. Je n’ai jamais participé à une guerre et encore moins à une bataille, je n’en demeure pas moins convaincu de notre succès ! Comme la totalité des humains présents d’ailleurs. Nos victoires lors de notre soulèvement et les quelques caravanes prises, bien que maigrement défendues, nous persuadent que la libération des nôtres et l’avènement du Dieu-Roi sont à portée de main pour peu que nous gardions la foi et que nous ne ménagions pas nos efforts.
L’armée ennemie, quant à elle, commence sans doute d’ores et déjà à mourir de faim et à se désagréger ! Les troupes affaiblies qui nous parviendront se rallieront dès qu’elles verront l’état de nos forces et surtout lorsque les esclaves des vampires se rendront compte que la liberté et la vengeance s’ouvrent devant eux pour peu qu’ils aient le courage de se retourner contre leurs maîtres.
Rolland est ravi et a ordonné que des prêtres partent dès maintenant afin de rallier les villages aux alentours pour qu’ils se soulèvent à leur tour avant que les vampires n’aient le temps de réagir.
Je me demande jusqu’où la contagion portera mais si Renaud le veut nous écraserons cette vermine aux longues dents dans l’année. D’ici là nous organisons des processions et des messes dès que possible et, lorsque la nuit tombe sur Kmansk, d’innombrables torches s’allument tandis que mille chants s’élèvent dans le ciel en l’honneur du seul vrai Dieu !
Lazare
Nous avions tout juste entamé le siège d’Ijlkalmar depuis une semaine que nous devions nous replier en catastrophe. Alors que jusqu’ici nous n’avions presque pas vu d’ennemi, excepté lors de la prise de Rutor et de quelques villages, il nous faut désormais déguerpir d’urgence.
La situation est très confuse mais d’après ce qui se dit notre ravitaillement aurait été coupé. Cela expliquerait la baisse de nos rations ces derniers jours. Selon d’autres l’armée ennemie se rapprocherait et nos chefs auraient peur de l’affronter. Il y aurait eu des trahisons, des assassinats, des désertions de chevaliers ou je ne sais quoi. Même chez les vampires tout semble désorganisé et le seul mot d’ordre unanimement rapporté est la retraite. Vu le degré d’impréparation ce repli a tout d’une fuite. Des machines de siège tout juste construite sont laissées sur place. Les blessés sont abandonnés et nous attrapons de plus en plus de déserteurs.
D’ordinaire la présence de l’armée de la rédemption et les châtiments des vampires suffisent à dissuader la plupart des couards mais depuis que nous avons levé le siège ces comportements se multiplient. Dans leurs supplications les hommes prétendent fuir un mal inconnu. Je n’ai pas fait attention aux premiers cas mais il s’agit maintenant du septième homme que je capture et qui raconte cette histoire. La mort s’abattrait sur eux plus sûrement que lors de n’importe quelle bataille et il serait impossible de lutter. Des crises de démence, des vomissements, des crachats de sang suivis d’une agonie atroce frapperait les troupes de leur campement. Je ne sais ce qu’il en est réellement mais la désertion demeure intolérable. Le manque d’entrainement et la nature viciée et lâche de notre espèce ressort clairement chez ces hommes non soumis à la discipline indispensable à leur salut.
Les vampires ont raison de se défier de nous, il est donc de notre devoir en tant qu’armée de la rédemption de régler nous-même ce problème et de nous montrer exemplaire, d’autant plus durant cette période trouble. Mon père nous a fait une déclaration ce matin :
« Soldats ! Je connais l’état d’incompréhension dans lequel vous vous trouvez ! Je n’ai pas pu parler ni au comte de Gamar ni à quelque autre vampire et je demeure dans la même ignorance que vous. Je vous demande de conserver la discipline, la dévotion et l’efficacité dont vous avez toujours fait preuve jusqu’ici. Restez soudés, traquez les déserteurs et soyez prêts au combat à tout instant. L’avenir est incertain ! Notre résolution fera la différence entre la défaite et la victoire. Appliquez ce que l’on vous a appris et tout ira bien ! »
Ce rappel de nos devoirs ne fut pas d’un grand effet. Aucun d’entre nous ne comptait faire autre chose et aucune de nos interrogations ne trouvait de réponse. Je ne sais pas combien de temps cela va durer mais les vampires semblent encore plus courroucés que d’habitude et, en l’absence d’ennemi, il semble que, sous peu, nous deviendrons plus que jamais la cible de leur fureur. Cette perspective n’est pas pour nous rassurer, d’autant qu’une rumeur, venant de chez nous qui plus est, fait déjà état d’un de nos gars enlevé et dévoré par les vampires de notre armée.
La prise de Rutor n’a visiblement pas suffi à convaincre nos maîtres de notre loyauté mais qu’on nous donne de nouvelles occasions de briller au combat et nous finirons par emporter tant la victoire que leur confiance. Serrons les dents, encaissons leurs reproches ainsi que leurs mauvais traitements et battons-nous du mieux possible lorsqu’il nous le sera ordonné. Là est le seul chemin pour enfin recevoir le pardon pour les pêchés de notre race. Voilà la voie que nous suivrons !
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