Chapitre 20 : Vlad III le pieux

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Lazare

Le roi m’a touché… Il m’a regardé et a accroché sur mon plastron le médaillon des fidèles… Il a plongé son regard dans le mien et prononça ces mots : « J’ai appris que nous te devions beaucoup pour la journée de Kmansk ! Demeure loyale et combat toujours l’ennemi ! » Il me tapa alors l’épaule et s’en alla décorer mes frères d’armes… Je fus si heureux en cet instant que je ne pus retenir mes larmes. Seules la fierté et la gratitude habitaient alors mon cœur.

Les jours se refroidirent mais le feu qui brûlait en mon âme me suffisait comme seule source de chaleur. Je ne ménageais ni ma peine ni mes efforts pour servir et enseigner du mieux que je pouvais aux humains récemment incorporés l’art de la guerre. Les formations, les ordres, les chants, l’esprit de corps… rien ne devait être oublié car une armée c’est un tout. Les hérétiques qui continuaient à prier Renaud en secret furent rapidement démasqués et dénoncés par nous autres. Ils servirent de repas à nos maîtres ; qu’ils se réjouissent ils ont malgré tout accompli leur devoir de servitude.

La mort du comte de Gamar et le départ du duc de Cracvonia furent des coups durs pour notre moral mais depuis que le roi nous a pris sous son aile nous sommes tous comblés. Il lui arrive de déambuler entre nos tentes avec un sourire franc et il se dit même qu’il aurait un jour partagé un repas avec certains hommes. Cela devait être la première fois qu’un vampire mangeait avec un humain sans que ce dernier ne soit le met principal. Notre mission est en cours d’accomplissement, les chevaliers nous font davantage confiance et bientôt les torts du passé seront réparés !

Les nouvelles recrues, peu motivées à leur arrivée, se montrent de plus en plus volontaires et efficaces au fur et à mesure des entraînements et des marques d’attention de nos maîtres. Certains d’entre eux étaient paysans en Isgar, d’autres artisans ou encore ouvriers. Désormais ils sont tous soldats de la meilleure des armées servant la plus nobles des causes !

La dévotion à notre quête variait encore en fonction des individus mais petit à petit le groupe entraina les récalcitrants et les traitres furent expugnés. Faire oublier les foutaises qu’on leur a matraqué leur vie durant n’était pas chose aisée mais il semble que leur défaite ait fait le gros de la pédagogie. Partis à peines quelques milliers des fiefs de l’Est nous serons bientôt cinq fois plus nombreux une fois ces cohortes de prisonniers incorporées !

Cette éducation morale atteignit son paroxysme lors du nouvel an ! Nous fêtâmes la victoire des vampires lors de l’antique guerre des sangs et jurâmes, comme le veut la tradition, que plus jamais l’humanité ne trahirait tant ses maîtres que la nature elle-même ! En cette soirée, contrairement à la tradition, nul humain ne fut tué pour alimenter quelque festin. Au contraire nos deux races festoyèrent ensemble. Le roi donna l’exemple et ses fidèles le suivirent, avec plus ou moins d’entrain selon les individus mais comment leur en vouloir ? Nous qui avons si souvent trahis nous n’étions pas dignes de tels honneurs et pourtant ils nous les accordèrent. L’attachement de toute une armée à ce monarque fut définitivement acté en cette froide nuit d’hiver et même ceux qui avaient pris les armes contre lui reconnurent en notre souverain un maître digne d’être servi. Vivement les beaux jours que nous puissions montrer à nos seigneurs toute la reconnaissance que nous éprouvons à leur égard les armes à la main !

Lev

L’armée du roi Stanislas a avancé beaucoup plus vite que prévu mais j’ai finalement réussi à la rejoindre. Il y avait une étrange tension dans le camp, sans doute due au bon moral des humains et à l’aigreur de nombre de seigneurs. Je n’avais jamais vu pareille chose depuis la compagnie des semblables : les vampires se retenaient de frapper les soldats et j’en voyais même certains les aider pour quelques tâches.

Je n’eus guère de mal à rencontrer le roi : un combattant de renom réputé « protecteur des hommes » ne pouvait que l’intéresser. Il me reçut en compagnie de sa sœur qui était d’une rare beauté.

« - Bienvenue messire chevalier noir, me dit-il, sachez que j’ai entendu bien des rumeurs à votre sujet et pourtant aucune d’entre elle ne m’a donné ne serait-ce qu’un indice concernant votre nom.

- Vous pouvez m’appeler Lev, sire, répondis-je après quelques hésitations. C’est qu’avec mes idées l’aura de mystère qui m’entoure demeure ma meilleure armure. Il est difficile de percer les secrets d’une personne en lui transperçant le cœur. Cependant, aux vues de ce qui se passe dans ce camp, je pense que vous faites partie des rares vampires à ne pas avoir quelques sombres pensées à mon égard. »

Stanislas paru satisfait et sourit légèrement.

« Il est vrai, néanmoins n’ayez crainte ! Aucun des seigneurs présents ne vous fera le moindre mal ! On ne peut pas nier que bien rares sont ceux de notre race à apprécier les réformes que j’ai instaurées, néanmoins la plupart me demeureront fidèles, au moins les petits seigneurs. Je leur ai promis bien des titres et des honneurs s’ils acceptaient de me suivre et il semble que l’attirance qu’ils éprouvent à l’égard de pareilles récompenses compense leur rejet des hommes. »

Anastasia sembla lancer un rapide regard de désapprobation à son frère puis se tourna vers moi et renchérit :

« J’ai moi aussi entendu parler de votre réputation et sachez que rien de ce que l’on m’a raconté ne m’a jamais rebuté, bien au contraire ! Tant votre lame que votre esprit sont les bienvenues dans notre ost ! Messire Lev, sachez que tant que vous resterez fidèle au souverain d’Orania je vous assure que rien ne vous arrivera ! Certes, comme l’a dit mon frère, il semble que quelques seigneurs n’apprécient guère l’idée que les hommes soient bien traités, armée et entrainés, néanmoins leur importance devient moindre au fur et à mesure que notre armée se renforce. A terme nous pourrons nous passer d‘eux et de leurs idées rétrogrades. Les chevaliers sans titres et petits seigneurs sont bien plus réceptifs et je suis persuadée que si vous veniez à discuter avec eux votre aura suffira de finir de les convaincre. Alors, acceptez-vous de servir Stanislas IV, comte d’Urnia, grand-duc de Valassmar et roi d’Orania ? »

Je ne pus m’empêcher d’être séduit. Non pas que j’éprouvai quelque désire envers une femme mariée, bien que magnifique, mais son ouverture d’esprit, son éloquence et son charisme me subjuguèrent.

« Je vais y réfléchir car, comme vous le savez sans doute, j’adopte plus aisément le mode de vie du chevalier errant que servant… Néanmoins cette armée et l’ambiance qui y règne m’intriguent. Permettez-vous que j’y reste quelques jours et je vous promets de vous donner une réponse sous quinzaine ! Je me nourrirai par mes propres moyens et ne vous coûterai rien en entretien ! »

Le roi accepta et je tirai ma révérence. Depuis je parcours le camp. Les chevaliers qui y sont présents sont à la fois admiratifs de mes faits d’armes, ne trouvant pour me comparer que le tout aussi connu seigneur Konstantin, que suspicieux vis-à-vis de mes idées.

Il est toutefois vrai que moins le vampire a d’or et de renom, plus il est disposé à m’écouter. Il est cependant évident qu’ils ne le font pas de gaité de cœur mais dans l’espoir de recevoir quelques récompenses de leur souverain s’ils servent docilement. Qu’importe ! Si la tolérance doit s’acheter qu’il en soit ainsi !

Je profitai également de ce temps pour continuer à lire les rouleaux d’Anatoli. J’y apprenais qu’après avoir découvert son épée il passa bien du temps à en percer les secrets de son origine, sans succès. Il fut ensuite plongé dans les guerres de religion qui secouèrent le règne de Vlad III dit le pieux. De façon assez prévisible il lutta aux côtés des ennemis du roi.

Un schisme avait eu lieu au sein de l’Eglise en ce temps et nombre de prêtres et de seigneurs s’étaient soulevés estimant que le pouvoir religieux devait primer sur le pouvoir temporel. A cette époque Valass avait bien plus de place dans la société qu’aujourd’hui et pour cause : le règne de Dobroslaw II « le naïf » avait été si calamiteux que la foi demeurait le seul pilier stable du royaume. L’institution ecclésiastique n’y était pas pour grand-chose et cette oasis de justice et d’ordre était davantage le fait de prêtres éparses agissant de façon isolée. Le roi, n’écoutant que les murmures de conseillers corrompus, commença alors à persécuter ces déviants les soupçonnant de vouloir faire obstacle à son pouvoir. Un vent de sympathie s’empara alors de nombre de seigneurs et lorsque le roi Vlad III monta sur le trône, son relâche dans les persécutions tout en maintenant le statu quo provoqua une révolte ouverte.

Les petits seigneurs s’étaient estimés lésés par le règne précédant et la religion semblait seule à même de réparer ces torts et, surtout, de faire en sorte qu’ils ne se reproduisent plus. Ils se soulevèrent donc et bientôt le royaume plongea dans le chaos. Ce mouvement ne s’arrêta pas aux frontières et, à l’apogée de la guerre, le prêtre suprême Pavel proclama même le « Valassrom », le royaume de Valass, une théocratie devant à terme englober toutes les nations vampiriques.

Toutefois l’intransigeance qui animait alors les prêtres finit par éloigner les seigneurs les ayant soutenus plus par intérêt que par conviction. Ce phénomène lié à la foi plus traditionnelle mais tout aussi sincère de Vlad III et à ses réformes redistribuant quelque peu les titres et donnant des formes plus religieuses à la monarchie inversèrent le cours du conflit. La bataille de Smirmosk en 4310 fit définitivement basculer le rapport de force en faveur du souverain d’Orania.

Naturellement Anatoli y participa. Comme les plus fanatiques il se battait alors à pied et sans armure considérant montures et protections comme une preuve d’orgueil et d’absence de foi, Valass devant protéger ses fidèles en toute circonstance. De toute évidence cela ne fonctionna pas et il dut s’enfuir. Il s’exila alors et erra de par le monde, une fois de plus au bord de la folie, assailli tantôt par des visions de loups tantôt par des visions de fleurs toutes deux suivies de vampires eux-mêmes plongés dans la démence, comme des mises en abîme de sa propre personne.

En tout cas ces deux semaines furent tout à fait exceptionnelles et je me serai presque cru de retour dans le camp des semblables. Certes presque aucun vampire ne traitait convenablement les humains par conviction mais cela pourrait venir plus tard. L’essentiel est que Stanislas a réussi à faire agir ses seigneurs comme il le souhaitait de la même façon que Vlad III en son temps : en aiguisant leur appétit pour les honneurs et les titres. Ma seule interrogation réside dans la question de savoir si le monarque éprouve quelques sincère sympathie pour les hommes ou s’il n’agit lui aussi que par intérêt. Néanmoins instaurer pareilles réformes, même pour essayer de gagner une guerre mal engagée, n’est pas chose aisée et si je crois en Valass et Himka et à l’amour qu’ils ont laissé dans le cœur de tout un chacun, je ne peux écarter l’hypothèse que ce dernier se soit révélé chez le roi.

C’est donc décidé, je le servirai dans cette guerre et je ferai de mon mieux pour cultiver ce sentiment naissant en son âme. Pour la première fois j’ai l’impression qu’une quête dans laquelle je m’engage n’est pas perdue d’avance ! Si pour l’instant seul le roi, et peut-être sa sœur, éprouvent de l’affection pour l’autre race, nul doute qu’à force de côtoyer des hommes les autres vampires se rendront compte qu’ils sont dignes de respect. Petit à petit les sentiments favorables à l’autre espèce se révéleront tant chez les vampires que chez les humains et peut-être viendra alors le temps de l’ultime réconciliation !

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