Chapitre 26 : L'union des races

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Marie

L’armée se met enfin en marche… « Enfin » est peut-être un terme mal choisi étant donné les souffrances vers lesquelles nous avançons… J’ai tout de même pu voir mon fils la veille du départ. Il avait bien maigri depuis la dernière fois… Il a pris du muscle aussi et son visage avait gagné en gravité. Certains de ses amis étaient morts pendant l’entrainement cet hiver mais il semblait d’autant plus proche de ceux qui lui restaient désormais. Il m’a expliqué avoir rejoint une unité d’épéistes et qu’il serait envoyé en première ligne… J’étais bien plus effrayée que lui. La formation qu’il avait reçue a, semble-t-il, fait naître chez lui une confiance inébranlable en sa force. Il n’a que quinze ans et paraît pourtant si mûr. Ce n’est plus le jeune soldat plein d’enthousiasme d’avant… Il paraît résigné à se battre pour une cause dont il se moque et pourtant jamais il ne fut davantage prêt à le faire.

Mon sort ainsi que celui de ma dernière fille est relativement enviable comparé au sien. Nous nous occuperons de soigner les blessés. Il semble que cet aspect de la campagne ait été fortement délaissé la première année ce qui aurait laissé une épidémie se propager et nombre de soldats expérimentés mourir alors qu’ils étaient sauvables. Les rudiments de la guérison nous furent donc enseignés mais j’ai l’impression qu’il faudra davantage compter sur nous même car nos connaissances sur ce sujet demeurent limitées.

Ce n’était d’ailleurs pas le seul aspect délaissé… Le manque de plaisir avait semble-t-il tendu nombre de soldats et cela avait pu avoir quelques effets néfastes sur la discipline. Aussi les plus rebelles et insoumises d’entre nous furent reléguées au rang de réconfort… Quel triste sort de se voir ajouter le déshonneur à l’amertume de la défaite. Je connaissais nombre de ces femmes, presque toutes mariées et je pense que beaucoup parmi elles auraient préféré mourir que de subir cela. Les plus sages d’entre elles se sont résignées et ont fini par se livrer docilement. Les autres furent mes premières patientes. Quel triste spectacle que de voir cela. D’autant plus que lorsque leurs maris accoururent pour les venger ils se firent prestement exécuter. Ces souffrances s’arrêteront-elles un jour ou le malheur des vaincus se doit-il d’être éternel ?

Dans cet océan de peines dont la moindre est presque un réconfort j’ai eu la joie de recroiser le chevalier noir à son retour. Il semblait s’enquérir de nous comme avant son départ. Je réalisai alors que je connaissais mieux son armure que son visage, toujours caché par ce heaume protégeant les créatures des ténèbres de la lumière du jour. Je n’avais vu sa tête que lors de notre première rencontre au coin du feu. Il faisait sombre mais je me souviens d’une chevelure châtaine, courte et d’un visage aux traits fins. Après réflexion il s’agissait pourtant du seul vampire dont je connaissais le visage. Cela s’explique sans doute par le fait que, contrairement aux autres, son attitude n’était ni hautaine ni méprisante. Sa démarche, les intonations de sa voie, tout laissait transparaître la sincérité. Dévoiler son visage à nous autres était peut-être la conséquence de sa bienveillante et de son respect à notre égard.

Je pris mon courage à deux mains et m’avançait vers lui comme il y a un mois en me promettant de ne pas bafouiller ni d’être intimidée :

« Bonjour mon seigneur… Je… Enfin vous m’aviez dit avant votre départ… »

Mes deux promesses furent des échecs avant même qu’une minute en sa compagnie ne se soit écoulée. Il me regarda et me répondit sans même que ma question n’ait été intelligible :

« Je m’en souviens fort bien ma chère Marie. Je vous avais dit que je vous raconterai ce que je savais sur Renaud. »

Il me donna ensuite rendez-vous le soir venu dans sa tente qu’il avait placé à la frontière de la partie réservée aux hommes et de celle des vampires. La journée de marche avait été épuisante et ces retrouvailles nocturnes sonnaient comme un réconfort. Je les cachai néanmoins à mes amies. Rencontrer un vampire, fusse-t-il le chevalier noir, était tabou. Cela n’avait jamais était dit, il s’agissait d’une évidence. Nous avions beau leur avoir juré fidélité cela n’en faisait pas nos proches pour autant et ils nous le rappelaient suffisamment pour qu’un fossé infranchissable ne soit creusé entre nos deux races. Lev m’apparaissait comme la fine corde reliant nos deux bords et sa compagnie m’était tellement plaisante que la peur de transgresser cet interdit ne suffit pas à m’arrêter.

Je déambulai donc en me faisant la plus discrète possible jusqu’à parvenir à la lisière des deux mondes. Celui des hommes, éclairé par mille torches et feux de camp et celui des vampires, sombre et froid, dans lequel je distinguais à peine quelques silhouettes. Je le retrouvai donc et pus observer de nouveau son visage. Il était plus net que dans mes souvenirs et loin d’être désagréable à regarder. Il m’invita à m’asseoir. Il n’y avait point de chaise, seulement un lit son armure sur le sol et une bougie. J’appréciais cette attention car je savais que les vampires n’avaient point besoin de lumière pour voir. Il l’avait sans doute prise dans notre camp afin que je ne sois pas aveugle pour notre rencontre.

Il me regarda avec un sourire enchanté et s’exclama :

« - Je suis ravi de vous voir ! J’ai eu beau discuter avec nombre d’hommes, pas un n’acceptait de venir me voir seul à seul. Sans doute craignaient-ils quelques ruses de ma part visant à les dévorer. Enfin, je les comprends. Je finissais pourtant par désespérer de trouver un humain qui ne soit pas trop intimidé pour pouvoir échanger davantage que des conversations courtoises au coin du feu. Pourtant vous voilà ! Croyais bien que je suis ravi et je vous remercie !

- Dire que je ne suis pas intimidée serait quelque peu mensonger mon seigneur…

- Pas de cela entre nous, je vous appellerai Marie et vous m’appellerai Lev si vous le voulez bien ! »

J’acquiesçai. Puis, pleine d’impatience, je lui demandai de me raconter ce qu’il savait sur Renaud, sur les raisons de son attitude pour le moins étrange lorsque nous avions abordé le sujet. Il me regarda d’un air grave puis m’expliqua que Renaud n’était en rien un dieu mais un simple mortel s’étant soulevé contre les vampires avant d’être défait. Mon cœur battait la chamade mais le plus intriguant vint lorsqu’il me révéla s’être battu sous con commandement :

« Naturellement n’en dite rien à qui que ce soit. Je risquerais gros si mes semblables apprenaient cela. J’ai déjà mauvaise réputation à cause de l’intérêt que je vous porte il n’en faudrait pas beaucoup pour que certains cherchent à me tuer… Mais en effet, j’ai lutté avec lui. C’était un immense chef de guerre et il ne fut vaincu que par le nombre et l’alliance improbable de toutes les puissances connues de monde liguée contre lui. Pourtant, malgré cela, il failli l’emporter. Si ce n’était pas un dieu je puis t’assurer qu’il s’agissait là du plus grand des hommes que la Terre n’ait jamais portés. »

Chacune de ses réponses soulevait chez moi deux autres questions. Il m’expliqua alors sa foi basée sur deux entités, Valass et Himka, il m’expliqua comment il avait survécu à la bataille des cinq rois et comment il luttait depuis pour révéler la vérité au monde. Il me subjuguait, il était grand combattant, savait un nombre incalculable de choses, avait vécu tant d’aventures et demeurait pourtant fidèle à ses convictions malgré les obstacles. Je m’efforçais de ne pas paraître niaise ou ignorante à ses côtés mais cela était impossible. Comment une humaine bientôt quarantenaire aurait pu apporter autant à la conversation qu’un être pluriséculaire ? Ma surprise n’en fut que plus grande lorsque ce fut à son tour de me poser des questions. Il s’intéressa à ma vie personnelle avant de m’interroger sur cette histoire d’assassinat survenu juste avant son retour.

Je lui dis tout ce que je savais. Les vampires nous interrogeaient chaque jour et la meurtrière ne fut découverte que la veille de l’assassinat. Je le savais car c’était une de mes amies qui l’avait repérée. Elle avait espéré quelque récompense mais s’était vu répondre que la vie était un présent que les vampires lui faisaient chaque jour et qu’il serait bien orgueilleux d’en demander davantage. Il me pria ensuite de décrire le vampire à qui mon amie s’était adressée. Je n’en savais rien mais lui promis de m’informer à ce sujet.

Toutes ces discussions mêlant sujets sérieux et anecdotes sur nos vies, révélations d’importances plus ou moins égales et réflexions théologiques firent naître en moi un sentiment que je n’aurai jamais pensé pouvoir éprouver pour un vampire. La nuit se passa dans la plus grande des délectations et j’eus tout juste le temps de rejoindre ma tente incognito avant que le soleil ne se lève. Jamais depuis la mort de mon défunt mari je n’avais ressenti tant de joie et de plaisir.

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