Chapitre 30 : Le prince acculé
Lazare
Lorsque nous fûmes enfin arrivés dans le grand-duché d’Ortov la victoire ne se fit pas attendre ! La ville d’Arnov fut assiégée et prise dans les plus brefs délais. Ce fut même une surprise mais lorsque nous vîmes l’état de disette et les innombrables maladies qui sévissaient à l’intérieur des murs tout nous apparut plus clair. Le pays avait été ravagé et les campagnes peinaient à nourrir les villes à tel point que même les vampires étaient maigres. Le grand-duc d’Ortov fut clément envers ces derniers et, en échange de leur allégeance renouvelée, les épargna et les intégra même dans ses rangs. Ce ne fut pas du goût du baron de Rapkamar qui nous rejoignit quelques jours après. De ce que je compris il avait toujours été de la plus grande cruauté envers les traîtres et estimaient qu’il s’agissait là de la seule façon de traiter cette engeance. Le grand-duc lui aurait répondu en substance ceci :
« Mon cher baron, je vous remercie pour votre loyauté mais maintenant que la terre nous appartient presque tout entière il nous faut conquérir les cœurs pour que pareille révolte ne se reproduise plus. Soyez le démon qu’ils pensent que vous êtes, tuez et exterminez ! Ainsi lorsque nos ennemis verront ma bannière sans la vôtre, comme ici, ils se rendront d’autant plus aisément qu’ils connaitront la réputation de clémence qui m’accompagne. Ils verront en moi une chance inespérée de sauver leur tête et leur famille de ce conflit. »
Le baron avait semble-t-il obtempéré en échange de la promesse formelle qu’Alexeï serait exécuté. Le grand-duc accepta avec réticence sans que je puisse savoir s’il s’agissait là d’une feinte ou d’une décision prise à regret. La reconquête des terres, ou de ce qu’il en restait, fut aisée car nos forces surpassaient désormais nettement celle de l’ennemi. Ce dernier abandonnait sans combattre le peu qu’il avait péniblement réussi à reconquérir. Rapidement il apparut qu’au lieu de se replier sur Ortov, la capitale, le prince renégat essayait d’atteindre Altmar probablement pour fuir en bateau et rejoindre Isgar.
La poursuite fut alors enclenchée. Le grand-duc ordonnait qu’on marche douze heures par jour sans pose ni repos. Nous démontrâmes alors que nous étions bien la meilleure armée des hommes ! Nous avalions les lieues, poussions à se dépasser les miliciens et autres soldats qui nous accompagnaient et laissions sur place les trainards après les avoir exécutés pour remotiver ceux qui faiblissaient.
J’eus l’occasion de parler avec certains soldats de la région. Ils me racontaient comment ils avaient été réquisitionnés de force, de quelle façon beaucoup avaient perdu leur famille dans les actions de terreur montées par un camp ou l’autre ou encore l’histoire des tristes embuscades qu’ils avaient dû livrer parfois contre des gens qui étaient jadis leurs amis ou leurs voisins.
Pas un village incendié et ravagé que nous traversions n’avait été habité par l’un des hommes ici présents et il arrivait même que certains découvre leur femme ou leurs enfants pendus à un arbre sans qu’on leur laisse le temps de les décrocher sous peine de ralentir la marche. Je comprends leur tristesse hélas la guerre est un fléau qui nous frappe tous. Jamais je n’aurai imaginé pareilles scènes d’horreurs avant de vivre ce pourquoi j’avais toujours été entrainé. Même en Isgar les villages étaient certes pillés mais les populations relativement épargnées afin que les terres conquises nous soient utiles. Ici nul n’était respecté, ni les humains ni les vampires. Un ennemi pris était un ennemi mort. Une haine profonde animait chacun des camps. Alors qu’à l’ouest le conflit était certes brutal mais dépassionné les captifs étant généralement convenablement traités, ici il valait mieux se suicider que d’être pris vivant.
Néanmoins l’arrivée du grand-duc et la volonté de regagner la fidélité de ses vassaux avait, semble-t-il, un peu assagi les mœurs. Il arrivait que certains chevaliers se présentent à nous et, ayant vu la bannière de Gueorgui, se rende en espérant la clémence de sa part. Ce qu’il accordait à chaque fois. Notre progression continuait dans ce paysage apocalyptique et lorsque l’armée ennemie fut en vue le baron de Rapkamar fut envoyé avec nombre de chevaliers et quelques unités sur un autre chemin afin de prendre l’ennemi à revers. Des renseignements que nous avions des déserteurs, le moral de leur armée était au plus bas, le ravitaillement peinait à suivre et la foi en Alexeï déclinait jours après jours. Seule la peur du baron empêchait des désertions massives de se produire. Qu’importe, de tout évidence ils n’arriveraient pas à se retrancher derrière les murs d’Altmar avant que nous ne les rattrapions. Leurs tentatives de sauver Arnov en restant proche de nous afin de menacer le siège leur avait finalement coûté cher pour peu de résultats. Avec presque quinze-mille hommes et un bon millier de chevaliers nous allons asséner un coup d’arrêt définitif à la révolte d’Ortov ! Déjà les troupes du baron harcèlent celles d’Alexeï, les ralentissant et insinuant la terreur en leur cœur en provoquant nombre d’exactions. Bientôt l’armée de la rédemption s’illustrera de nouveau et j’espère que le grand-duc saura accorder le pardon aux hommes qui n’auront fait que sa battre pour leurs seigneurs légitimes.
Andrei
9 novembre 5132
La situation est de plus en plus critique. Contre l’avis de nombre de ses conseillers Alexeï a refusé d’abandonner Arnov. Nous avons donc piétiné deux semaines devant la cité afin de faire peser une menace imaginaire sur le siège avant de nous replier en catastrophe après la chute de la ville. Notre logistique est déficiente, les pluies d’automne sont de plus en plus nombreuses et la maladie ainsi que la désertion laminent nos rangs. Même les vampires ne sont pas épargnés par ce dernier fléau à tel point qu’Alexeï est entré dans une profonde paranoïa :
« J’ai fait la guerre avec honneur comme les livres et l’expérience nous l’ont appris, il est impossible que nous perdions... A moins que quelques félons se cachent dans nos rangs ! L’ennemi savait toujours où nous allions, nous tendait des embuscades sans relâche et était bien trop au courant de nos agissements pour que je ne sois entouré que d’alliés. »
Pourtant j’ai eu beau enquêter je n’ai rien vu qui s’apparentait à de la trahison... Hélas les désertions de ces derniers jours ont encore aggravé les délires d’Alexeï et ses soupçons se posent désormais sur moi, le prétendu « ancien » allié de Stanislas. Il ne fait plus confiance à personne et gère l’armée tout seul depuis maintenant presque deux mois.
Cela a engendré des décisions maladroites et des mouvements dangereux. Ainsi moins il déléguait plus il subissait de revers plus il se méfiait de ses vassaux et plus il agissait seul et dans le secret engendrant ainsi un cercle vicieux des plus périlleux. Ses fidèles et moi-même avons eu beau essayer de le raisonner il semble que l’accumulation des échecs mette ses nerfs à rude épreuve et ses décisions sont de plus en plus erratiques. Il n’est pas rare que plusieurs ordres et contre-ordres se succèdent en une seule journée semant le doute dans le cœur de chacun des chevaliers encore présents. La seule raison qui empêche son armée de se désintégrer d’elle-même est la terreur qu’inspire le baron de Rapkamar. C’est à lui qu’on doit les derniers restes de discipline et de fidélité au prince.
Pour ma part je n’ai pas besoin de cela, trahir une fois m’a suffisamment fait souffrir pour me dissuader de recommencer. Si je dois mourir l’arme à la main dans la bataille qui nous attend ainsi soit-il !
Je ne sais comment ils font avec toute cette boue et cette pluie mais l’armée du grand-duc progresse à une vitesse folle et nous rattrapera sous peu. Bien avant que nous puissions rallier les murs d’Altmar... Quelle triste histoire que celle d’Ortov, ce royaume détruit par le vampire qui aurait dû être son roi. Pourtant Alexeï a l’air étonnamment confiant. Enfin j’imagine qu’il s’agit là encore d’un des symptômes de son état. Il s’imaginait déjà pouvoir délivrer Arnov puis ensuite il s’est convaincu de pouvoir lever deux-mille hommes et enfin il s’est persuadé que des ducs d’Orania lui viendraient en aide... Jamais aucune de ses prédictions ne s’est réalisée ce qui faisait encore croître sa rage et sa méfiance. Il n’est pas rare qu’il surestime de beaucoup ses propres forces et, de peur de se voir disgraciés ou humiliés, bien rare sont les seigneurs à ne serait-ce qu’essayer de lui faire entendre raison. La plupart sont résignés à mourir dans un ultime baroud d’honneur pour le pays qu’ils ont vainement essayé de ressusciter.
Le dernier vampire à avoir foi en la victoire est Alexeï... Mieux vaut lui qu’un autre ceci-dit. Il a ordonné ce matin qu’on cesse de se replier et qu’on prenne position sur une petite colline non loin d’un village en ruine nommé Chichmar. Quel triste endroit pour enterrer ce qui fut jadis un glorieux pays. Nos soldats s’échinent à y ériger des barricades et des fossés tandis que les seigneurs se reposent avant l’inévitable affrontement. Au moins avons-nous quelques jours d’oisiveté avant la fin brutale qui s’ouvre à nous.
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