Chapitre 32 : La bataille de Chichmar (partie 2)
Andrei
... Cependant leur ardeur retrouvée ne leur permis pas de provoquer notre déroute avant l’arrivée des renforts. Pourtant, alors que je pensais voir se produire une charge digne des plus grands romans de chevalerie, l’armée d’Isgar n’attaqua que mollement.
Une fois sur le champ de bataille, au lieu d’une vigoureuse offensive, je ne vis qu’une attaque male coordonnée et sans allant. Cela me surprit jusqu’à ce que je vois la tête des montures et des hommes. Ils étaient exténués, peinaient à simplement porter leur cavalier ou leur armement et haletaient comme si la bataille était finie alors que la leur ne faisait que commencer. Il devint rapidement évident que l’armée avait marché sans s’arrêter depuis au moins une pleine journée et que les troupes n’étaient définitivement pas prêtes à fournir un tel effort puis à se battre.
Malgré cela le simple surnombre menaça n’ennemi de débordement. Même exténués ces hommes et chevaliers apportaient le soutien nécessaire pour rééquilibrer la balance des forces puis petit à petit la faire pencher en notre faveur. Valentyn lui-même harangua ses vassaux, à la tête desquels se trouvait le marquis de l’est, et mena la charge. Cette dernière fut relativement vigoureuse et rapidement la cavalerie ennemie se replia. Sans l’épuisement nul doute que ce mouvement eut mis en déroute les forces adverses mais les montures ne parvinrent pas à galoper suffisamment rapidement pour désorganiser les fuyards et leur repli s’effectua donc en bon ordre.
Au niveau de l’infanterie le résultat était encore plus décevant. Le mouvement d’encerclement qui se mettait naturellement en place était lent et maladroit tandis que nombre de nouveaux arrivants ne faisaient que pousser leurs camarades déjà présent en précipitant bon nombre à terre. L’infanterie adverse parvint à désengager une partie de son centre pour l’envoyer contre-attaquer sur les ailes puis, suite à cette vigoureuse et ultime offensive, à s’extirper de la mêlée et à entamer à son tour une retraite.
La nuit qui commençait à tomber et l’état de fatigue de notre armée ne permis pas de seulement envisager une poursuite. D’après les premiers décomptes nous avions subis autant de pertes que l’ennemi soit environ trois-mille hommes et cent vampires. Cela n’en était pas moins une victoire, sans compter que là où nous n’avions perdu que des soudards Orania avait laissé sur le champ de bataille nombre de ses meilleurs soldats !
Valentyn et le prince Alexei se rencontrèrent alors au milieu du champ de bataille et le roi d’Isgar proclama aux seigneurs présents :
« Aujourd’hui nous avons vaincu le grand-duc d’Ortov et, à travers lui, Stanislas ! L’armée humaine qu’il a créé et que beaucoup croyaient invincible a été défaite grâce à Valass et au talent du marquis de l’est qui a conçu cette manœuvre ! Tandis que le roi félon poursuivait un leurre dans mon pays nous avons traversé la mer afin de venir en aide aux valeureux chevaliers que vous êtes ! Ortov a péri dans le sang il y a des millénaires, c’est donc dans le sang qu’il ressuscitera ! »
Les acclamations fusèrent et elles étaient d’autant plus sincères que l’arrivée du roi d’Isgar tenait du miracle. Presque chaque chevalier et même humain avait entamé cette bataille en la croyant perdue avant même d’avoir commencé. Je me rends compte désormais que Valentyn a dû percevoir l’état de faiblesse dans lequel se trouvait Alexeï et qu’il s’est porté à son secours en vue de sauver son allié et, à travers lui, cet hameçon fiché dans la gorge d’Orania qu’est Ortov. Alexeï dans sa paranoïa a tellement bien gardé le secret que nous fûmes aussi surpris que nos ennemis lorsque les renforts arrivèrent. Cela nous couta peut-être une franche victoire mais nous évita à coup sûr la défaite.
Qu’importe, le temps était bien davantage au sommeil qu’à la fête et le simple fait de finir cette journée victorieux et en vie représentait à nos yeux le plus grand des triomphes. Nous tachâmes simplement d’oublier le fait que chaque soldat et chaque chevalier qui était parvenu à s’enfuir aujourd’hui serait dans un futur proche un adversaire que nous aurons à affronter de nouveau.
Lazare
… Naturellement ce qui devait arriver arriva et le surnombre apporté par les renforts permis à nos opposants de commencer à nous déborder. A la vue de ce spectacle je crus mon armée perdue mais heureusement les mouvements de l’ennemi étaient patauds et l’encerclement qui nous menaçait était davantage dû à un afflux massif de nouveaux soldats désordonnés qu’à une réelle intention de la part de quelque officier.
Les attaques qu’ils menaient étaient maladroites et prévisibles et, alors qu’ils avaient mille occasions de nous détruire, ils n’y parvinrent pas. Cette arrivée massive de nouvelles troupes ruina même encore davantage leur cohésion semant la confusion dans leurs rangs et faisant s’écrouler nombre de leurs soldats sous la poussée des nouveaux arrivant. Cette marée humaine n’en restait pas moins préoccupante mais, grâce au répit inespéré octroyé par l’incompétence de l’adversaire, je pus désengager des forces de mon centre pour les faire contre-attaquer tant bien que mal sur les ailes. Le choc provoqua un recul temporaire chez l’ennemi que je saisis pour organiser le repli.
Nous ne dormîmes pas cette nuit-là et, guidés par les vampires qui nous avaient rejoints, nous finîmes par installer un nouveau camp à quelques lieues de la bataille. Nous avions perdu plusieurs milliers d’hommes et presque aucun des blessés n’avait pu être emporté dans notre fuite. Pourtant cela allait vite devenir le cadet de mes soucis. A peine fûmes nous installés que je fus convoqué dans la tente de l’état-major. Avant que je n’aie eu le temps de dire quoi que ce soit le seigneur Konstantin vociféra :
« Le voilà celui qui a causé notre défaite ! L’émissaire que je lui ai envoyé m’a assuré qu’il n’a pas engagé toutes ses forces dans la bataille alors même que la victoire était à portée de main et qu’il n’a songé qu’à fuir lorsque les renforts sont arrivés ! Chez lui l’incompétence le dispute à la lâcheté ! Monsieur le grand-duc cet homme vous a fait essuyer une grande défaite et je recommande qu’on l’exécute lui ainsi que quelques centaines de ses soldats afin de leur inculquer la bravoure par la peur puisque la bonté a échoué ! »
En cet instant je voulais plus que tout défendre ma position mais on ne m’en laissa pas l’occasion. Le baron de Rapkamar renchérit sur les dire du seigneur Konstantin :
« La mort serait trop douce ! Nos chevaliers ont lutté et sont morts bravement pendant que l’infanterie se terrait et ne faisait que se coller à l’ennemi en faisant mine de se battre. Ce sont tous des traîtres et je sais comment m’occuper de cette engeance ! N’importe quel incompétent eu pu percer avec notre avantage numérique et qualitatif mais pas lui ! Qu’on lui arrache les tripes ! »
Les nobles alentours hurlaient de rage :
« Il se prend presque pour un vampire avec sa cape ! », « Les chevaliers se sacrifient pendant que ce couard s’enfuit… indemne ». « Le soldat peut mourir, le déserteur doit périr ! ». En un rien de temps, à force de s’écouter entre eux je passai à leurs yeux pour un incapable, un lâche puis un félon et enfin un fuyard.
Je tremblai en les entendant. Ils n’avaient pas la moindre idée de comment tout cela s’était passé. Ils nous avaient fait attaquer un ennemi bien retranché après une longue marche forcée. Comment aurai-je pu faire mieux ? Les larmes au bord des yeux je me tenais là silencieux en essayant de retenir mes spasmes de peur.
Le grand-duc qui s’était tut jusque-là prit alors la parole :
« Mes seigneurs… Il est indiscutable que les hommes sont causes de notre défaite. Toutefois il ne nous appartient pas de disposer des troupes personnelles du roi Stanislas. Je vais lui envoyer une missive en décrivant les faits et lui seul prendra une décision. D’ici là, ajouta-t-il en se tournant vers moi, vous êtes mis aux arrêts pour lâcheté et trahison ! »
Immédiatement Konstantin m’asséna un violent coup de poing dans le ventre qui me fit vomir tout ce qu’il contenait. Il m’arracha alors ma cape, me gifla puis m’emmena lui-même dans une cage habituellement réservée aux prisonniers. Il fit bien en sorte que chaque homme présent me voit puis, lorsqu’il me jeta dans ma nouvelle demeure il me chuchota à l’oreille : « Ne compte pas trop sur le roi… Vous n’êtes que des outils pour lui et sache bien que tu es le plus remplaçable d’entre tous… ». Il m’enferma tout de suite après puis s’en alla. Les troupes qui étaient sous mon commandement il y a encore quelques minutes me regardaient désormais avec pitié et compassion.
Les vampires sont des idiots de la plus grande cruauté… dans mon malheur je garde néanmoins foi en Stanislas. Nul doute qu’il saura déceler les mensonges pleins de haine que ses conseillers avides de récompenses lui serviront. Ils cachent leur propre incompétence en me la remettant sur le dos mais le roi ne sera pas dupe ! Je n’ai plus qu’à attendre la réponse de mon souverain. D’ici là je pense que la vie des hommes va devenir encore plus dure que d’ordinaire et la mienne sera sans doute la pire de toutes.
Annotations