Chapitre 35 : La baronnie de Tikmar
Lazare
Alors que je pensais mes jours comptés on finit par me relâcher. Le vampire qui vint me délivrer me frappa néanmoins au ventre à m’en faire vomir le peu que j’avais mangé depuis mon enfermement tout en me lançant sur un ton plein de haine : « Tu peux remercier le roi… ».
Il était bien le dernier vampire à trouver grâce à mes yeux. Moi qui ai toujours servi fidèlement je n’ai jamais été récompensé que par des brimades, des coups et du mépris. Seul le roi semble se soucier de notre sort. Lui et quelques vampires ambitieux prêts à refouler leurs plus intimes convictions dans l’espoir d’obtenir quelques titres.
Bien que réintégré dans l’armée, je fus rabaissé au rang de simple officier et désormais le seigneur Konstantin en personne s’occupait du contingent de la rédemption. Sa bêtise n’avait d’égale que sa brutalité. Il nous soumettait à des entraînements absurdes que même un vampire aurait eu du mal à accomplir. On devait soulever des rochers qui faisaient la moitié de notre taille et le premier à se plaindre se faisait fouetter par ses propres camarades. Une blessure n’était en aucun cas un motif pour se passer d’exercice et les malheureux qui ne supportaient plus ce traitement à cause de leur corps brisé servirent de dîner aux vampires. Des entraînements durs, j’en avais vécu mais ils étaient toujours réalisables et utiles pour se forger un corps fer et un mental d’acier. Ce que nous infligeait Konstantin ne faisait au contraire que meurtrir nos âmes et notre chaire de telle sorte que plus nous nus entrainions, plus nous nous affaiblissions.
Le froid qui s’installa peu à peu n’arrangea rien et en quelques semaines même le noyau dur des hommes passa de la plus sincère dévotion envers les vampires à une obéissance forcée. Cela rajoute un danger supplémentaire sur nous, les officiers, puisqu’en cas de plainte ou de craquage de la part d’un de nos hommes nous sommes accusés de ne pas parvenir à maintenir le moral et punis en conséquence.
J’harangue donc mes troupes en leur expliquant ma vision des choses : « Je ne sais pas si ces vampires méritent qu’on se batte pour eux mais le roi, lui, sans aucun doute ! Il ne connait pas nos conditions de vie ici et s’il le savait il agirait ! Obéissons, faisons le dos rond sans faiblir, pas pour ces seigneurs mais pour Stanislas ! »
Heureusement, sans doute devant le nombre de plus en plus important de blessures, d’engelures, de désertion et même des cas de suicide, les vampires ont commencé à réduire les mauvais traitements sans pour autant diminuer les brimades. Le moral est au plus bas et nul doute que sans l’attachement au roi il y aurait déjà eu des révoltes. Les vampires ne savent pas ce qu’ils me doivent car, bien que rétrogradé, j’ai conservé chez la troupe une aura et une popularité importante. Si je n’avais pas vanté et loué les mérites de notre souverain, je crains que le lien unissant les hommes et les vampires se serait totalement rompu… Au lieu de cela il s’est seulement affaibli. Je ne désespère pas pour autant. Lorsque les beaux jours et les victoires reviendront, nul doute que nous retrouverons notre statut passé à travers les louanges de notre juste monarque. A ce moment nous nous mettrons sous sa protection, jamais plus nous ne quitterons son regard et ainsi nous pourrons vivre dans la dignité, protégés du ressentiment des chevaliers et prêts à accomplir notre tâche de rédempteurs de l’humanité !
Marie
Lorsque les premiers flocons commencèrent à tomber Lev nous emmena, Vivien, Aliénor Thibaut et moi dans son fief. Se priver du vampire qui s’occupait des humains avait coûté au roi mais il ne pouvait pas vraiment lui refuser ce repos de par ses états de service, sa fidélité sans faille et sa promesse d’accourir à la moindre demande du souverain. L’entraînement des hommes fut ainsi délégué à quelques vampires moins haineux à leur égard et aux officiers de l’armée de la rédemption.
Le trajet fut relativement long et difficile à cause des températures mais la présence de mon cher et tendre me réchauffait le cœur et animait chacun de mes pas d’un enthousiasme que je n’avais plus connu depuis la défaite de Kmansk. Mes enfants étaient quant à eux trop heureux d’enfin quitter l’enfer de ce camp militaire.
Nous marchâmes ainsi quinze jours durant jusqu’à atteindre un petit hameau à moitié en ruine surplombant une falaise blanchie par les crottes d’oiseaux, des « mouettes » de ce que me dit Lev. C’était la première fois que je voyais la mer et pareille étendue d’eau assortie à cette odeur si particulière m’émue aux larmes. Ça sentait la liberté. Quelques humains s’étaient réinstallés depuis le passage des vampires et ils allaient désormais faire connaissance avec leur nouveau seigneur.
Ils se présentèrent à notre arrivée et furent surpris de voir qu’un chevalier avait prêté sa monture à Aliénor. Ils ne surent trop comment réagir et finirent par faire une révérence et proposèrent de nous faire visiter le village de Tikmar. Lev n’appréciait pas la crainte qu’il inspirait de par sa race à ses villageois et essaya de dissiper la peur qui habitait ces hommes. Je lui expliquai alors que plus que de longs discours qui seront toujours suspectés de cacher quelque malhonnêteté, ce sont ses actes qui le feraient apprécier et réduiraient peu à peu la terreur qu’il inspirait chez les humains.
Il acquiesça et nous commençâmes à découvrir ce petit hameau. Il n’y avait plus qu’une vingtaine d’humains et beaucoup avaient perdu des proches durant les purges de l’année précédente. S’en étaient suivies les levées et il ne resta bientôt plus qu’un quart de ceux qui vivaient là autrefois ; et plus que des femmes, des vieillards et des enfants. La bourgade était quant à elle composée d’un petit château en bois servant de demeure seigneuriale ainsi que d’une trentaine de maisons pour moitié calcinées à cause des raids menés par nos troupes.
Lorsque la visite fut accomplie Lev nous installa avec lui dans son fortin et commença immédiatement à aider les habitants à reconstruire leurs habitations ce qui les étonna au plus haut point. Il savait que tant que la guerre durerait il ne pourrait faire venir de nouveaux hommes et d’ici à ce que les combats reprennent au printemps prochain il souhaitait faire le maximum pour aider les locaux. Il administra du mieux qu’il put son nouveau fief tout en réhabilitant l’ancienne chapelle de Valass qui était dans le fortin afin d’y rajouter une petite statue en bois de Himka taillée de nos deux mains, « comme les amants célestes l’auraient voulu ». Pour l’instant seuls mes enfants et moi pouvions y aller car Lev avait peur que quelques commérages de la part des paysans ne répandent la rumeur de cette religion honnie des vampires et finissent par y attirer leur courroux. Néanmoins, s’il ne révéla pas sa foi à ses gens, il n’en appliqua pas moins les préceptes et, en un temps record, il fut véritablement révéré par ceux qui le craignaient à son arrivée.
La vie reprenait petit à petit son cours dans cette baronnie frappée par tant de fléaux. Il n’y manquait plus que de jeunes hommes et elle aurait sans doute pu passer pour l’une des plus prospère et heureuse du monde. Lev comptait attendre la fin du conflit pour remédier à ce problème. L’ultime chose que mon amour fit ici fut de s’assurer que je pourrai accoucher auprès des miens car il préférait que les villageois ignorent la nature de l’enfant à naître. Même Vivien, Aliénor et son époux, qui connaissaient la situation et étaient reconnaissant à Lev de ce qu’il faisait, avaient eu bien du mal à accepter que je mette au monde pareil être.
Si les villageois l’apprenaient Lev craignait que la situation ne s’emballe en son absence et que ni moi ni l’enfant ne survivions. Aliénor accepta donc de pratiquer l’accouchement en promettant de cacher la vérité aux hommes d’ici et en jurant de veiller à la sécurité du nourrisson en l’absence du père. C’est donc à la fin de l’hiver et le cœur tranquille, bien qu’attristé de ne pas pouvoir être présent le jour de l’accouchement, que Lev s’en alla afin de reprendre sa place dans l’armée.
C’est d’ailleurs le neuf mars, deux semaines après son départ, que je mis au monde un magnifique petit dhampire que je nommai Denis car il s’agissait du seul nom à ma connaissance que partageait les hommes et les vampires.
Andrei
1er avril 5133
La neige a fondu, les ressources ont été amassées et notre armée regroupée ; enfin nous pouvons marcher sur la principale base de notre ennemi : Vanov. Valentyn a prié tout l’hiver tandis que le prince Alexei renforça son emprise sur les terres d’Ortov libérées du joug d’Orania.
Nous marchâmes donc vers l’ouest avec un objectif simple : couper Stanislas de ses arrières le laissant ainsi piégé en Isgar et isolé de son propre royaume. D’après nos renseignements il hésite toujours à rebrousser chemin. Tant mieux ! Chaque instant qu’il perd ainsi à tergiverser nous rapproche de la victoire ! Au sud Javor mène toujours le siège devant Sartovmar mais si Stanislas ne bouge pas nous n’aurons même pas besoin de faire notre jonction avec les forces d’Aartov pour l’emporter !
Le grand-duc d’Ortov a bien essayé de rameuter toujours plus d’hommes et de chevaliers cependant Orania est plus divisé que jamais et il devient de plus en plus dure de recruter pour nos ennemis. Les seuls renforts notables dont nous avons eu vent ont été envoyé par la princesse Youlia d’Ishka. Elle a enfin réussi à convaincre quelques dizaines de chevaliers d’apporter un millier d’hommes en Orania afin qu’ils aident son fils. Hélas pour l’usurpateur Stanislas et le traître-roi d’Ortov, ce n’est là qu’une goutte d’eau bien incapable de renverser le cours de la guerre. De toute évidence ces maigres renforts sont à la hauteur du faible charisme de l’ancienne reine d’Orania et de son influence dans son royaume natal.
Le meilleur des forces d’Isgar dirigé par le marquis de l’est, secondé par le comte d’Or et le prince Alexeï, va s’abattre sur Orania comme l’épée sur la chair dépourvue d’armure. Les forces qui s’opposent directement à nous sont dérisoires, Valass est avec nous et nombre de seigneur oraniens n’attendent que la défaite de Stanislas pour se soulever. Déjà le duc de Cracvonia, accompagné par le comte de Similinmar, reforment leurs forces en vue de déposer le vampire occupant le trône. La seule chose qui les en empêche pour l’instant est l’imposante armée encore invaincue dirigée par Stanislas et l’étroit contrôle qu’observe sa sœur sur le pays depuis Valassmar.
Cependant on nous informe que déjà des échauffourées se produisent de temps à autre entre les soutiens du monarque actuel et ses détracteurs. Le comte d’Or était d’avis qu’on tende la main à ces seigneurs enclins à nous porter assistance mais le marquis de l’est s’y opposa arguant que diviser nos forces serait risqué et que prendre Vanov était hautement prioritaire. Indubitablement le marquis est bien meilleur chef de guerre que le comte ne le fut jamais. Il est réfléchi, considère personnellement tous les aspects liés à l’armée, de la qualité de chaque unité au niveau d’approvisionnement en fonction du terrain et des distances. Plus que tout il prend un immense soin à amasser autant d’informations que possible avant d’entreprendre quelque action que ce soit.
« Je préfère mille fois un seigneur demeurant sage mais nous envoyant en secret quelques corbeaux pour nous renseigner sur les déplacements de l’ennemi que dix se soulevant et ne provoquant d’autre effet que de remuer de la poussière » avait-il répondu au comte d’Or sur un ton passablement condescendant.
Lui et moi avions ainsi mis au point durant cet hiver un véritable réseau d’informateurs sans même que l’ennemi ne s’en rende compte. En arguant qu’aucune preuve ne resterait en cas de défaite de notre part mais que chaque message utile serait dument récompensé en cas de victoire nous avions convaincu nombre de nobles pour le moins dubitatifs vis-à-vis du règne de Stanislas IV de nous écrire plus que régulièrement. En chaque instant nous connaissions donc l’emplacement de l’ost dirigé par le grand-duc d’Ortov et ces bulletins quotidiens permettaient au marquis de planifier les marches que nous allions effectuer de la façon la plus optimale possible. C’est donc avec le plus grand soin que la campagne qui s’ouvre a été planifiée et, de ce que nous savons des positionnements des armées ennemies, nous devrions pouvoir atteindre notre objectif principal sans trop de difficultés et dans des délais plus que raisonnables !
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