Chapitre 38 : La bataille du plateau ocre (partie 1)
Andrei
12 mai 5133
Après une nuit de prières le soleil se leva et pas un nuage ne troublait le ciel en ce beau matin. La plus fine chevalerie du monde s’était réunie en ce jour pour mettre à bas le plus grand tyran de l’histoire. Les étendards des plus nobles familles d’Isgar et d’Ortov flottaient dans le ciel tandis qu’une marée humaine s’étendait au pieds de nos montures. Le marquis de l’est avait tenu à ce que notre infanterie ne s’étende pas trop malgré notre supériorité numérique de peur qu’un front trop fin ne soit percé. Il avait entendu comment, malgré le couvert d’une pente et de la boue, l’armée ennemie avait failli réussir à nous enfoncer avant son arrivée lors de la bataille de Chichmar. Il fut même décidé qu’une centaine de chevaliers ainsi que la compagnie de Sviatoslav soient versées dans l’infanterie afin de lui faire gagner en efficacité et fiabilité.
L’ost qui nous faisait face était quant à lui composé de quatre corps d’infanterie très resserrés les uns des autres. Les chevaliers quant à eux s’étaient entièrement regroupés derrière cette masse de soldats. Le marquis de l’est ne parut pas surpris et déclama tout haut comme pour devancer nos interrogations :
« Etant en infériorité numérique, notamment au niveau de la cavalerie, Stanislas préfère sans doute la garder en réserve afin de la jeter sur un flanc le moment opportun. Ainsi, au lieu de diviser sa cavalerie sur chacune de ses ailes, il se réserve la possibilité de nous surprendre d’un côté ou de l’autre. »
Cette perspective n’avait pas l’air de l’inquiéter outre mesure et, tandis qu’il recevait des missives de dernière minute et qu’il rédigeait par la même occasion ses ultimes directives, j’apercevais nos propres chevaliers se mettre en place. De façon inattendue il ne les déploya pas de façon symétrique mais plaça mille-trois-cents cavaliers sur notre droite, sous le commandement du comte d’Or, et cinq-cents à notre gauche dirigés par le prince Alexeï. Pour ma part je demeurai à l’arrière, en réserve, avec les cinq-cents seigneurs restant.
Alors que le déploiement touchait à sa fin, le roi Valentyn s’avança au-devant des rangs et commença à nous haranguer :
« Mes seigneurs, aujourd’hui nous nous battrons mais c’est Valass qui nous donnera la victoire ! Gardez la foi, battez-vous avec honneur et fidélité et surtout ne faiblissez pas ! Tant que le devoir et l’abnégation guideront chacun de vos actes jamais vous n’échouerez, ni ici ni nulle part ailleurs ! »
Le roi s’interrompit quelques instants puis il brandit son épée vers les cieux et s’exclama avec calme et détermination :
« Qu’en ce jour les pieux vainquent les impies, que les braves défassent les couards et que la justice triomphe du crime ! Pour Valass que vivent et règnent les vampires ! »
« Pour Valass que vivent et règnent les vampires ! » répétâmes-nous tous en cœur avec une hardiesse que je n’avais jamais ressenti jusqu’ici. Le roi rentra alors dans les rangs pour se positionner à l’arrière entre le marquis et moi-même. En cet instant pas un vampire ne doutait ni de la victoire ni de la justesse de notre cause.
Les prêtres de la compagnie de Sviatoslav bénirent alors chacun d’entre nous en nous aspergeant de quelques gouttes de sang humain puis rentrèrent dans les rangs afin d’aider l’infanterie dans ses corps à corps. Ils renouaient ainsi avec la tradition perdue qui voulait qu’un vampire dévoué à son Dieu lutte sans cheval ni armure. « Pensez-vous qu’une meilleure protection que Valass puisse exister ? » m’avait répondu l’un de ces pieux alors que je m’étais interrogé sur leur équipement. C’est donc avec armes et tissus qu’ils s’apprêtaient à mener nos hommes au combat et à renverser le tyran.
Lorsque tout le monde fut en place et que chacun eut terminé de prier le généralissime fit un signe de la main et le cor vrombit aussitôt. L’infanterie se mit alors en marche vers l’ennemi accompagnée en son sein par prêtres et officiers et sur ses flancs, quoi que légèrement en retrait, par les plus preux chevaliers de ce champ de bataille...
Lazare
En ce jour sanglant je commandai au bataillon le plus à gauche de notre ligne. La rumeur courrait que j’avais obtenu ce poste sur instance de Stanislas en personne. Sans savoir si cela était vrai, cela décupla mon ardeur ! Jamais je n’aurai osé fléchir devant mon souverain mais cela m’était encore plus inimaginable s’il s’avérait qu’il m’avait sélectionné en personne à ce poste. Les hommes nous faisant face avait beau être beaucoup plus nombreux je n’éprouvai nulle peur, si ce n’est celle de décevoir mon roi.
Les vampires s’étaient tous rassemblés derrière nous et même Lev allait semble-t-il combattre auprès de ses congénères et non diriger les hommes. Alors que le Soleil s’était levé depuis peu sur la plaine et qu’un faible vent balayait la poussière omniprésente, Stanislas s’avança afin de prononcer un discours :
« Seigneurs et humains, en ce jour nous sommes tous unis sous la bannière d’Orania pour combattre les ennemis de notre nation ! N’ayant pas votre vaillance ils se sont arrangés pour être plus nombreux mais, dans notre armée, on ne compte pas ! Aujourd’hui nous les déferons comme tant d’autre fois dans le passé ! Aujourd’hui chacun d’entre vous va se couvrir d’une immortelle gloire ! Aujourd’hui Valentyn connaîtra la défaite et ce soir Isgar sera mien ! »
A ces mots il cabra, brandit Brise l’âme et hurla de toute ses forces :
« Pour Orania ! »
« Vive le roi ! Vive le roi ! » Répondîmes-nous tous en cœur, fantassins comme chevaliers, tout en agitant frénétiquement nos armes. Pour la première fois depuis longtemps je me sentis en osmose avec les vampires. Chacun ici avait à cœur de défendre son souverain et allait le prouver sous peu !
Nous vîmes alors la troupe ennemie s’avancer à notre rencontre soulevant des torrents de poussière cachant quelque peu le Soleil qui nous faisait face. Immédiatement j’ordonnai de se mettre en formation pour les recevoir. Alors qu’ils n’étaient plus qu’à quelques pas une volée de flèches fut décochée à notre endroit mais le mur de hallebardes que nous formions en arrêta une bonne partie et bien peu de mes hommes furent touchés. Il ne fut pas aussi aisé d’encaisser la charge qui vint juste après. En effet leur surnombre donnait une telle masse à leurs colonnes qu’il nous fut difficile de résister à l’impact. Beaucoup de soldats chutèrent à cet instant et furent achevés au sol. Heureusement, une fois le premier choc passé, notre cohésion reprit le dessus et le combat devint plus équitable. Au milieu du carré que formaient mes troupes j’hurlai afin que personne ne faiblisse et que l’ardeur au combat soit maintenue malgré la fatigue, la rigueur de la bataille et la saleté dans laquelle nous pataugions et à travers laquelle respirer devenait un défi en soi.
La mêlée était sauvage et, dans cette atmosphère ocre, les hurlements de fureur de part et d’autre raisonnaient en cœur avec les cris des mourants tapissés de sangs. Une fois le corps à corps bien installée notre cor sonna et je sus qu’il était temps d’enclencher la manœuvre. J’ordonnai donc que, tout en combattant, notre bataillon se déplace vers la gauche à un rythme soutenu. Ainsi, grâce à notre excellente cohésion et à notre entrainement rigoureux, nous parvenions à lentement nous décaler sans rompre notre formation ni perdre de notre efficacité au combat…
Lev
Aujourd’hui eut lieu une immense bataille, la plus grande depuis celle des cinq rois. Je priai toute la nuit Himka et Valass pour que leurs fragments d’âmes présents en chacun des êtres présents influent la bataille en notre sens et qu’ainsi leur volonté soi faite. Aujourd’hui, cent-vingt-cinq après la triste défaite de Renaud, les humains avaient enfin une occasion d’avoir leur revanche et ce sous l’étendard qui les avait défaits la dernière fois. Le roi Stanislas prononça un discours sans oublier de mentionner les hommes et qui fit néanmoins s’élever les cœurs des vampires. Si la défaite de Chichmar a pu aggraver les dissensions entre les races, quoi de mieux qu’une victoire pour rapprocher ces dernières ?
Lorsque le Soleil fut déjà assez haut dans le ciel ce fut l’armée ennemie qui s’avança à nous et, après une longue marche, la masse ennemie vint s’écraser sur nos fiers carrés. Conformément au plan ces derniers s’écartèrent alors les uns des autres ouvrant des brèches dans lesquelles les troupes ennemies s’engouffrèrent. Toutefois la disposition prise par nos hommes faisait que leurs flancs étaient aussi bien gardés que leur front et ils se retrouvèrent petit à petit enveloppés sans pour autant que cela ne les désavantage. Les carrés placés aux extrémités se déplaçaient plus rapidement que les deux du centre du fait que moins d’ennemis s’agglutinaient en travers de leur marche. Les formations du centre au contraire voyaient leurs deux flancs submergés et progresser de quelques mètres sur les côtés ne se faisait qu’au prix d’immenses efforts.
C’est alors que le roi procéda au second mouvement. Prenant bonne note de la plus faible cavalerie sur le flanc gauche de l’ennemi, Stanislas fit manœuvrer l’ensemble de ses chevaliers dans cette direction. Les mille cinq-cents cavaliers que nous étions nous mîmes alors en branle au trot de façon que le mouvement s’exécute de façon rapide sans pour autant épuiser prématurément nos montures. Un véritable manteau de poussière orangée nous enveloppa dès lors, soulevé par les sabots des chevaux. A cet instant on eut bien cru se retrouver en enfer accompagné par les râles d’agonies des damnés et hanté par la perspective du carnage à venir.
C’est donc guidé par le roi en personne et au milieu de la plus immense masse de chevaliers jamais vue que je m’apprêtais à participer à cette bataille et au plan conçu par notre souverain…
Annotations