Chapitre 44 : La méfiance des vampires
Piotyr
Je suis incapable de concevoir ce qu’il s’est passé et seul le fait de retrouver mes écrits demain me permettra de m’assurer que je ne suis pas en train de vivre un horrible songe. Valentyn est mort… Comment Valass a-t-il pu laisser pareille tragédie se passer et, plus que tout, comment a-t-il pu permettre que la mort de notre bon roi soit le résultat du triomphe du plus terribles des impies ? Non content d’avoir occis le souverain d’Isgar ce dernier aurait fait assassiner le roi Javor d’Aartov et se serait proclamé roi de cette contrée. C’eut été n’importe quel autre seigneur je n’eus pas cru de tels racontars mais il s’agit de Stanislas IV. Quels horribles pêchés avons-nous bien pu commettre pour que pareil fléau se déchaine sur notre monde ?
Un roi régicide s’en va réclamer deux nouvelles couronnes pour orner sa tête et nul prétendant ne semble pouvoir lui faire de l’ombre. J’ai beau m’échiner à fouiller les archives en quête de proches parents de Valentyn depuis trois jours et trois nuits sans repos, je ne trouve que de lointains cousins ne disposant au mieux que d’un titre de baron et il semble que la situation en Aartov ne soit pas meilleure. Déjà trois prétendants se sont manifestés. Le baron d’Oursk, la baronne de Sabremar et enfin le seigneur Pavel. Quand bien même un de ces nobles se verrait être de façon indiscutable le légitime héritier de Valentyn, jamais les comtes et ducs d’ici n’accepteraient de s’agenouiller devant un si petit noble. Les grands seigneurs avancent leurs pions et, sans le roi Valentyn pour les unir, chacun cherche désormais à préserver son pouvoir.
Le comte d’Or a déjà trahi et semble avoir été le grand artisan de la chute de son propre monarque, puisse-t-il brûler en enfer pour l’éternité ! Le marquis de l’est est mort et son héritier se retrouve réfugié à Sussmar, sans ressource ni soldats. Le duc de Kulmar est désormais le noble le plus puissant du pays et déjà il semble vouloir accaparer la régence du royaume. Avec la mort de Valentyn sa véritable nature a semble-t-il ressurgit, comme quoi la fourberie est dans le sang ! Dans les autres fiefs et jusqu’au sein de l’armée se battant à nos frontières, comtes et ducs s’agitent cherchant la meilleure façon de protéger leurs intérêts propres. Ils semblent avoir oublié jusqu’à l’existence du royaume d’Isgar et ne jurent désormais plus que par leurs misérables seigneuries.
Voilà que la guerre civile menace tandis que l’armée menée par le pontife Igor, déjà minée par ces querelles intestines, se doit de reculer suite à l’arrivée de renforts ennemis. Pourtant il ne s’agit même pas là de ma plus grande source de peine. La réaction d’Ina lorsque j’ai dû lui annoncer la mort de son mari et de son frère me brisa véritablement le cœur. Il n’y eut nul sanglot… Son visage résista difficilement à la peine qui la submergeait mais elle eut le courage de rester digne et pris congé avant d’aller s’enfermer dans sa chambre. Ce mélange de dignité, d’affliction et de résignation, le tout sur une même figure, fut la plus insupportable des images que j’eus à subir jusqu’ici. Quelle tristesse de savoir que la meilleure des vampires est celle qui souffre le plus de la catastrophe qui menace de tous nous submerger.
Elle n’aura vu son aimé que quelques jours et pas suffisamment pour attendre de lui l’enfant qui eut pu tous nous sauver. Pourtant sa dévotion envers lui surpassait de toute évidence celle de ses plus fidèles vassaux. Elle eut fait une reine idéale. Avec elle et Valentyn à sa tête, le royaume d’Isgar aurait pu devenir l’immense nation qu’elle a toujours eu vocation à être si elle ne s’était pas vu affliger de tant de monarques de peu de foi.
Pour l’instant seule la prière semble en mesure de me faire endurer tous ces malheurs et j’espère soit trouver dans la méditation des réponses à tous ces dangers qui nous guettent, soit découvrir demain à mon lever une page vierge à l’endroit où j’écris.
Juliette
Ma maîtresse m’a paru à la fois satisfaite et décontenancée ces derniers jours. Nos entrevues ne duraient que le temps de me donner mes consignes puis elle s’éclipsait aussitôt. Charge m’était donnée d’espionner les vampires à la Halte des Princes. Comme d’habitude finalement. Plus précisément je devais me renseigner sur leurs éventuelles sources d’insatisfaction.
Alors que je m’attendais à voir et entendre la même ritournelle que d’habitude dans ce luxueux endroit qui ne devait, semble-t-il, jamais cesser de s’embellir ; une chose curieuse se produisit. Il semblait que le lieu était habité des mêmes tourments que ma dame car nombreux étaient les vampires tiraillés entre la satisfaction et l’inquiétude. Lorsque je tendais l’oreille afin de savoir de quoi il retournait les mêmes choses revenaient sans cesse : Une immense victoire avait été remportée mais les hommes gagnaient en puissance. Je n’étais pas bien au fait de toutes ces problématiques mais je me souviens d’une lettre qu’un seigneur peu coutumier de l’établissement a écrite il y quatre jours de cela :
« Ma chère sœur,
Je ne saurai dire si les nouvelles qui me parviennent à la capitale sont bonnes ou mauvaises. D’un côté le roi semble engranger les victoires comme le pêcheur les poissons et nul doute que si nous continuons à le servir notre fortune sera faite. Toutefois je ne puis m’empêcher de m’inquiéter quant à sa manie d’armer et entraîner des humains. Au lieu d’exécuter et dévorer les vaincus il les incorpore dans son armée et voilà qu’ils se retrouvent être plusieurs de dizaines de milliers à marcher sous nos drapeaux.
Je ne connais pas la situation sur le terrain toutefois je crains que contrôler pareille masse d’hommes ne soit de plus en plus compliqué. S’ils venaient à se soulever le danger serait grand pour nous ! Il faut prier pour que la guerre s’achève vite en notre faveur afin que nous puissions dissoudre le gros de ces forces sans quoi il se pourrait que les vainqueurs de ce conflit entre Orania, Isgar et Aartov ne finissent par être les humains.
Nous ne pouvons pas nous permettre de nous révolter contre notre souverain dans l’état actuel des choses mais je crains que mon influence ici ne soit pas suffisante pour inverser le cours des choses.
Prend bien soin de toi et de mon fief en mon absence et puisse Valass entendre nos prières !
Ton frère qui t’embrasse tendrement,
Vassili, baron de Tulmar »
Parler ainsi de rébellion, même pour en écarter l’idée tout de suite après, était une première dans la capitale mais je crains que de telles pensées n’aient tendance à se multiplier si rien n’est fait. Les annonces de victoires suffisent de moins en moins à contrebalancer la montée en puissance des hommes et nombre de seigneurs ne comprennent pas pourquoi après pareils succès la paix n’est pas signée.
Mon rapport ne sembla pas rassurer ma maîtresse et c’est plus tracassée que jamais qu’elle me congédia. Je ne saisis pas encore tous les tenants et aboutissants mais j’imagine que si même en pleine guerre les plus grands triomphes ne suffisent pas à calmer son propre camp, la situation doit être des plus périlleuses.
Lazare
Le succès ne semble jamais devoir nous abandonner. Me voilà désormais à lutter sur le front d’Aartov, toujours sous l’œil du roi, tandis que mon père a rejoint le front d’Isgar. Nous reprenons les forteresses et hameaux perdus au cours des deux années précédentes à la vitesse de l’éclair. Le moral de l’ennemi semble au plus bas et il n’est pas rare de voir des fortins laissés à de seuls humains qui s’empressent de se rendre et de nous rejoindre dès qu’ils voient nos bannières !
La victoire de Sartovmar a totalement ébranlé l’armée nous faisant face. Ceci lié à la réputation de notre ost nous permet parfois de recueillir plusieurs dizaines de déserteurs dans la même journée. Ils nous expliquent les terribles conditions de vie de la troupe sous la poigne de fer des vampires et si encore plus sont capturés et exécutés, l’espoir d’un traitement décent dans l’armée de la rédemption semble être plus fort que toutes les tortures que peuvent imaginer les chevaliers d’Aartov. Il arrive même que des humains désertent leur champ ou leur ville pour rejoindre nos forces en quête de respect, de dignité et de meilleures conditions de vie. Quelle devait être leur existence pour que rejoindre une armée en guerre autour de laquelle la mort rôde toujours puisse sembler plus enviable que demeurer en paix chez soi ? Les histoires que l’on me raconte sont terrifiantes et il semble que la barbarie des vampires n’ait cessé de croître ces derniers mois.
Je passe ainsi mes journées à faire marcher nos hommes, les mener au combat et entraîner les nouvelles recrues. Le rythme est effréné mais plus que jamais j’ai le sentiment que l’armée de la rédemption accompli sa vocation en sauvant des humains maltraités pour qu’ils accomplissent leur devoir auprès des vampires. Après tous nos succès et après ce qu’ils auront vécu ils pourront rentrer chez eux auréolé des combats victorieux qu’ils auront mené. Les vampires n’auront alors d’autre choix que de pardonner à ceux qui ont risqué leur vie pour eux.
Et si cela ne suffisait pas nul doute que Stanislas interviendrait ! Il ne permettra jamais que des vétérans soient maltraités. Il a toujours été notre rempart face à l’arbitraire des seigneurs et c’est sous sa houlette que des liens commencent à se créer entre vampires et hommes.
« Le roi protège l’armée, l’armée sert le roi ! » Telle est désormais notre devise. Avec les ans je perds de plus en plus fois en l’honnêteté des vampires mais la fidélité de notre souverain ne s’est jamais démentie ! Plus nous nous renforçons plus son pouvoir s’accroit. Sans compter qu’enfin nous recevons l’estime des seigneurs. Ceux qui se sont battus à nos côtés savent que n’avons pas démérité. Nos exploits nous ont déjà fait gagner le respect de nombre de chevaliers et nul doute que le reste suivra devant nos hauts faits à venir ! Que les vampires restés oisivement dans leurs fiefs songent seulement à maltraiter les nôtres et roi, seigneurs et hommes fondront sur eux afin de leur enseigner que la dette des humains aura été payée ! L’armée de la rédemption aura bientôt accompli sa mission et les humains pourront enfin vivre en paix dans le royaume de Stanislas !
Pour l’instant nous progressons vers la frontière d’Aartov et la seule chose nous ralentissant est la fulgurante augmentation de nos effectifs entraînant une constante réorganisation de la logistique. Cela ne semble être qu’un contretemps et je pense que nous aurons reconquis tout le terrain perdu et atteint la frontière d’Aartov d’ici un mois, deux tout au plus ! Que mes hommes continuent à se comporter comme ils l’ont fait jusqu’ici et la rédemption sera un fait acquis à la fin de ce conflit !
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