Chapitre 50 : La bataille entendue (partie 1)

8 minutes de lecture

Piotyr

Ma première campagne est sans doute la plus importante de l’histoire ! Les armées ont été réunies et se sont mises en marches sous le commandement du duc de Tarmak derrière la veuve d’Isgar. Je n’ai pas chômé pour autant et, entre la fin du congrès et notre départ, j’ai continué à glaner autant de soutien que je pouvais. Le comte de Mourminsk et celui d’Arah ont rejoint la semi-révolte du duc de Cracvonia en Orania rendant ses exigences de paix et de destruction des humains plus sérieuses que jamais. J’ai bien essayé de rallier le royaume d’Ishka mais, comme il fallait s’y attendre, les liens du sang ont joué et le roi n’a en aucun cas voulu lutter contre son petit-fils.

Les pièces sont néanmoins en place et il suffit désormais de remporter une victoire pour que l’autorité de Stanislas s’effondre. Avec vingt-mille soldats et un millier de chevaliers renforcés de trois-cents prêtres nous marchons donc entre les champs et les forêts d’Aartov. Ce pays est si différent d’Isgar. Tandis que nous avons des plaines de roches, des élevages, des plantations où c’est possible et des bois touffus Aartov semble parsemé de champs, d’immense forêts pourtant peu denses et de lacs. En comparaison d’où je viens ce pays ressemble à un paradis d’autant plus que les températures y sont bien plus clémentes.

Après une semaine de marche nous avons finalement repéré l’ost d’Orania qui semble être en train d’assiéger une des forteresses à ne pas être tombée durant les soulèvements de cet hiver. Le duc de Tarmak a ordonné qu’on y accoure et s’il désespère de pouvoir arriver à temps au moins pense-t-il pouvoir forcer l’affrontement. Le temps, en effet, nous fait défaut. Les révoltes non matées s’organisent comme elles peuvent mais déjà des troupes humaines armées ravagent les campagnes et l’ordre sur nos arrières est précaire. Je suis parvenu à contenir les plus gros attroupements de ces bestiaux en y rependant la maladie mais il semble que cela ne fasse que les ralentir. La vermine ne s’arrête pas devant les pertes et les difficultés lorsqu’il s’agit de tout détruire. Qu’ils profitent de leur liberté, après la victoire nous ferons un exemple de ces traîtres et ni Stanislas IV ni son armée d’hommes ne seront là pour les sauver !

Seule ombre au tableau les divisions qui s’étaient révélées durant le congrès d’Imopor semblent perdurer dans notre armée. Une méfiance persiste entre clergé et nobles. Je vois notamment que certains seigneurs n’ont toujours pas accepté la guerre et craignent que Stanislas ne l’emporte et ne leur vole leurs titres. Qu’ils se rassurent, nous ne perdrons pas. Si cela ne tenait qu’à moi je serai même pour qu’on leur confisque leurs fiefs après tout cela. Laisser la défense d’un royaume à pareils lâches et égoïstes est absurde et dangereux. Enfin… En l’occurrence cela ne devrait pas trop poser problème. Ils ne sont pas assez puissants pour imposer leurs vues et désormais leur seul espoir réside en une victoire de nos armées… En revanche je crains qu’il ne faille s’inquiéter pour leur salut céleste.

Lazare

Le siège que nous effectuions s’acheva par la rapide reddition des occupants de la place. A quoi bon résister à vingt-mille hommes lorsque l’on en a que deux-cents derrières ses murs. Ceci nous permit de nous diriger vers l’ennemi qui était, selon les derniers rapports, parvenus à rassembler une armée sensiblement équivalente à la nôtre. Belle prouesse après toutes leurs défaites mais hélas inutile : notre aguerrissement était sans pareil et notre roi invaincu.

Après six jours de marche nous avons finalement pris place face l’ost isgaro-aartovien. Le champ de bataille consistait en une large plaine herbeuse délimitée par une forêt à notre droite et un village sur notre gauche. Nous nous mîmes en place vers midi de la façon la plus conventionnelle qui soit : l’infanterie rangée sur huit rangs et s’étalant sur toute la largeur du champ de bataille tandis que les vampires demeuraient pour l’instant sur nos arrières. Il sembla que nos opposants adoptèrent un déploiement symétrique.

Le roi s’avança alors au-delà des rangs, comme à son habitude, afin d’enhardir les troupes par un discours.

« Chevaliers ! Ce jour est celui de la victoire ! Si vous accomplissez votre devoir, et je sais que vous le ferez, ce soir Orania s’étendra du Dnapr aux monts de la fin du monde ! Humains ! Aujourd’hui plus que jamais vous vous battez pour votre rédemption ! Donnez-moi la victoire et vous serez récompensés comme vous l’avez toujours été jusqu’ici ! Pour Orania ! »

Je ne sais ce que provoqua ces paroles sur les chevaliers mais tous les humains que je voyais tremblaient d’excitation. Stanislas IV venait quasiment de nous promettre notre délivrance. Je savais qu’il était un vampire de parole ! Et s’il venait à renier son serment nous autres serions encore plus motivés pour nous ruer sur les terres dépeuplées que les seigneurs défaits auront laissées derrière eux ! Ce matin nous étions encore soumis aux vampires, ce soir nous serons des sujets du roi au même titre que n’importe quel noble et nul doute que certains d’entre nous finirons même la journée avec des titres ! Je m’imaginais baron, comte et même pourquoi pas duc ! C’est dans cet état d’esprit et donc plus motivé que jamais avec le cœur au bord de l’explosion que j’ordonnai aux fantassins de s’avancer lorsque le cor vrombit.

En ce trente mai la bataille la plus important de notre temps allait commencer et les hommes étaient en première ligne ! Nous entonnâmes alors l’hymne de notre armée et ce dernier raisonna plus fort que jamais en nos cœurs et nos oreilles :

C’est pour toi ma fille que je m’en vais en guerre

Et ton tour viendra de mettre au monde un guerrier

C’est pour toi mon fils que je croiserai le fer

Et ton tour viendra d’apprendre à manier l’épée

Nous sommes la meilleure armée du monde !

Nous volerons de victoires en victoires !

C’est pour nous tous que la bataille gronde !

Et le pardon viendra de notre gloire !

C’est pour racheter les errances de ma race

Qu’en tout temps tout lieu je répondrai à l’appel

Des vampires qui seuls peuvent nous donner la grâce

Jusqu’à ma mort qui sera légendaire et belle

Nous sommes la meilleure armée du monde !

Nous volerons de victoires en victoires !

C’est pour nous tous que la bataille gronde !

Et le pardon viendra de notre gloire !

Nous sommes les hommes en quête de rédemption

Nous luttons pour le salut de l’humanité

Les succès nous apporteront l’absolution

Et ainsi triomphera notre liberté

Nous sommes la meilleure armée du monde !

Nous volerons de victoires en victoires !

C’est pour nous tous que la bataille gronde !

Et le pardon viendra de notre gloire !

Chaque pas que nous faisions nous rapprochait de la liberté et nul ne pensait au trépas qui pouvait surgir. Pour beaucoup il était inconcevable de mourir si près du but et si ma raison s’était tue quelques instants j’aurai pu sérieusement penser pouvoir remporter ici une victoire sans la moindre perte…

Piotyr

Le tyran et ses hordes nous faisaient face. Leurs hurlements, sans doute inspirés par leur maléfique souverain, étaient terrifiants mais ne nous impressionnèrent pas. Face à cette armée de bêtes dévampirisées et de leurs maîtres humains notre ost se tenait dignement derrière nos esclaves encadrés par des prêtres afin qu’ils n’oublient pas pendant la bataille ni qui étaient leurs maîtres ni quelle était leur place. Ceci permettrait à notre infanterie de rivaliser avec les troupes entrainées de Stanislas en affaiblissant raisonnablement notre cavalerie. La valeur le supplantera au nombre pour ce dernier point.

Avant que la bataille ne commence Ina s’avança et prit la parole :

« Mes seigneurs ! Aujourd’hui se joue le destin du monde ! Stanislas est invaincu mais Valass est invincible ! Gardez la foi, battez-vous jusqu’à votre dernier souffle et surtout n’oubliez pas : Pour Valass que vivent et règnent les vampires ! »

« Pour Valass que vivent et règnent les vampires » renchérir les seigneurs d’un air convaincu.

Le duc de Tarmak fit alors avancer nos forces sur la large plaine verte qui longeait le village de Kachav. La cavalerie suivait l’infanterie. J’avais alors l’honneur de chevaucher aux côtés d’Ina qui resplendissait dans son armure et dégageait une aura de guerrière. Il était évident qu’elle avait prévu de se jeter dans la bataille. La dévotion qu’elle inspirait aux vampires portant ses couleurs était telle qu’il s’agissait sans doute là de notre meilleur détachement. Avec la veuve d’Isgar au milieu de la mêlée jamais les vampires ne perdraient courage et un seul d’entre eux en vaudrait alors deux. Il était essentiel que le duc utilise au mieux cet atout.

D’ici là nous ne pouvions qu’observer les deux infanteries charger puis s’entre déchirer dans un sanglant corps à corps. Trois heures durant les hommes s’entretuèrent sauvagement mais il semblait que, même encadrés de prêtres, les nôtres ne fissent pas le poids. Trois-cents vampires n’étaient de toute évidence pas suffisant pour renforcer une ligne de vingt-milles esclaves. Les chevaliers se déployèrent alors sur les arrières immédiats de nos fantassins afin de leur interdire tout recul et, pris en tenaille, ils firent preuve d’un courage redoublé au combat, certes sans doute davantage inspiré par la peur que par quoi que ce soit d’autre mais après tout, est-il seulement imaginable d’en attendre davantage des gens de cette espèce ?

Malgré cette reprise en main la bataille n’allait pas en s’arrangeant et Ina et moi nous demandions quand le duc de Tarmak ferait entrer en jeu sa cavalerie. Cela ne se fit pas attendre. Alors qu’Ina se tournai vers le général pour lui demander d’agir ce dernier brandissait déjà son espadon et le lui planta dans le cou à un défaut du haubert. Je ne réalisai alors pas ce qui se passai mais au même moment tous les chevaliers arborant les couleurs de la veuve d’Isgar se virent massacrer par les vassaux des ducs de Tarmak et Kulmar. Au même moment les chevaliers chargèrent les arrières de notre infanterie et réduisirent en charpie indistinctement hommes et prêtres.

J’étais paralysé. Ce n’était pas à cause de la peur mais de l’incompréhension. Qu’était-il en train de se passer et pourquoi les vampires de notre propre armée se retournaient-ils contre-nous ? Je vis des chevaliers se faire occire alors qu’ils étaient dans le même état que moi. D’autres rendirent les coups mais, pris par surprise et en sous-nombre, ils n’offrirent qu’une maigre résistance. Je ne dus pour ma part mon salut qu’à ma monture qui, paniquée, se mit à galoper hors du champ de bataille. J’eus de la chance de ne pas tomber et, lorsque je repris mes esprits, j’étais loin des affrontements à deux pas de la forêt et témoin impuissant du massacre qui se déroulait sous mes yeux…

Annotations

Vous aimez lire Antoine Zwicky ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0