Chapitre 53 : La naissance d'un Empire
Juliette
J’ai enfin revu ma maîtresse ou plutôt la régente. Elle dut se rendre compte que quelque chose avait changé car elle me demanda pourquoi j’étais devenue si révérencieuse à son égard. Je lui expliquai alors et cela la fit beaucoup rire. Devant ce geste de familiarité je me risquai à lui demander comment se passait son mariage avec le vampire que j’avais vu. Elle rit de nouveau avant de me répondre :
« - Fort bien… Il n’est pas aussi beau que ne l’était mon premier mari mais ce n’est pas pour cela que je l’ai épousé.
- Vous ne l’aimez donc pas ?
- Pas particulièrement, moins que je n’avais aimé Yegor en tout cas. Mais qu’importe, tout comme toi je trouve désormais plus de plaisir dans les affaires du royaume que dans celles du cœur.
- Je suis quand même un peu déçue, j’aurai aimé vous voir plus heureuse.
- Je peux t’assurer que je le suis ! J’ai remporté la guerre à peu de frais après tout.
- Pourtant tout le monde dit que c’est le roi qui l’a fait !
- Heureusement ! Mais toi tu sais que derrière les apparences il y a bien souvent quelques manigances. Tu as été toi-même bien plus utile qu’une centaine de chevaliers en armure et pourtant tu ne payes pas de mine. »
Je souris devant les compliments que me faisaient ma dame. Je continuais donc la discussion profitant de cette familiarité qui s’installait pour poser des questions plus osées :
« - Cela ne vous dérange pas que seul votre frère soit reconnu ?
- Non… Nous avons été élevés ainsi, mon frère serait roi et moi je demeurerai dans l’ombre. Nous nous sommes toujours entendus là-dessus et j’apprécie trop mon frère pour lui en vouloir d’occuper la place qui lui revient de droit. »
Elle sembla songeuse un instant puis reprit :
« Toutefois je dois bien reconnaître que je l’aime moins qu’avant tout ceci. Avoir fait assassiner mon premier époux a creusé un certain fossé entre nous. Naturellement son acte était justifié mais j’ai encore du mal à totalement lui pardonner le meurtre de Yegor. Enfin, le temps devrait régler cette question. En tant que membre de la famille royale le devoir passe avant tout. Mon père nous l’a bien enseigné. Pourtant je regrette un peu le temps pas si lointain où nous étions de simples frères et sœur et durant lequel nous jouions au roi et à la reine. »
D’un coup son regard se rembrunit et, d’un signe de la main, elle me fit comprendre que le temps des confidences et des sentiments était terminé.
« Je ne suis pas venu pour te parler de ceci cela dit. Dis-moi plutôt comment tu as trouvé ton travail sous mes ordres. Es-tu satisfaite de m’avoir servi ? Es-tu prête à continuer ? »
Je ne m’étais jamais vraiment posé la question. C’était presque comme un jeu pour moi. Je n’ai eu peur qu’une seule fois et même à cet instant je n’avais pas regretté de m’être mise à son service.
« - En aucun cas mais, maintenant qu’il n’y a plus de guerre, je ne vais pas avoir grand-chose à faire non ? »
- Ce sera différent. Pour l’instant j’aimerai que tu trouves d’autres gens comme toi, n’ayant pas peur des vampires et prêts à en servir une. Prend les jeunes idéalement, leur éducation en sera plus facile. Je te charge de leur donner leurs premières leçons et de leur dire tout ce que tu sais sur ton métier d’espionne. Tu me les présenteras la prochaine fois que je viendrai. Tiens voici quelques pièces pour les appâter mais surtout, reste discrète ! Une humaine se fond dans la masse facilement. Il en va autrement d’un groupe. Vous dites des choses tout haut, certains auront peut-être envie de se vanter… Si vous manquez de discrétion vous risquez d’attirer à vous les vampires et je doute que vos fanfaronnades leur fassent plaisir. Plus que tout, la discrétion devra être leur principale qualité. Charge à toi de trouver les personnes adéquates et qu’importe qu’elles ne soient que deux ou trois, tu peux même n’en trouver qu’une mais assure toi qu’elle me serve au moins aussi bien que toi !
- C’est compris, j’ai déjà une idée pour l’un d’entre eux ! Je vous promets que lors de votre prochain passage vous aurez au moins un nouvel humain sur qui compter !
- Fort bien ! »
Elle allait partir lorsqu’elle se retourna :
« Oh, demain les cloches risquent encore de sonner, probablement bien plus que lorsque tu m’as vu alors ne te fais pas sélectionner… En fait c’est probablement la chance la qualité la plus importante. Assure-toi que la personne que tu m’amèneras n’en soit pas dépourvue ! »
A ces mots elle fit demi-tour le sourire aux lèvres et parti vers le cercle du sang. Il m’était déjà arrivé de me demander ma principale force. En grandissant je réalise le nombre de périls auxquels j’ai échappé voir auxquels je n’ai même pas encore été confrontée. Je conserve toujours presque toute mon innocence ce qui, pour une humaine de mon âge, semble être une véritable prouesse si j’en crois les visages livides des autres personnes que je croise sans cesse. Enfin, Thomas que je compte bien recruter semble être comme moi et à peine plus âgé. En ce sens il est sans doute encore plus chanceux que moi !
Epilogue
Le mariage se passa sans encombre et Piotyr fut arrêté et exécuté peu après le meurtre du baron de Jalmar. À la suite de cela nul ne contesta plus le règne de Stanislas. Quarante ans après son union avec Elena et alors que leur premier fils, Nikolaj, était né ; le roi Piotr IV d’Ishka succomba à la malédiction de l’ennui. Soutenu par sa mère et par nombre de nobles trop effrayés par sa puissance, le vampire trois fois roi n’eut aucun mal à ceindre la dernière couronne du monde connu.
Il s’auto proclama alors Empereur et fit fonder une nouvelle ville sur le site de Kachav qu’il nomma Stanislasmar et qui devint la capitale de son nouvel état. Comme pour montrer aux sceptiques qu’il était désormais le plus grand ennemi des hommes il instaura les purges systématiques de telle sorte que jamais la population humaine ne soit quinze fois supérieure à celle des vampires. Enfin il donna les derniers titres vacants aux seigneurs qui l’avaient le mieux servi durant la guerre et fit ainsi de sa sœur la grande-duchesse de Valassmar.
S’ouvrit alors un âge sombre pour la race des hommes, plus que jamais oppressés par leurs seigneurs et maîtres, eux-mêmes soumis à l’implacable joug de leur Empereur Stanislas dit l’unificateur.
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