Chapitre 4
Malgré l’heure tardive, la Place des Océans était encore bien animée. Depuis le balcon de sa loge située au deuxième étage des « Dix Quiches », Geoffroy observait distraitement les étudiants et les apprentis de la cité profiter de la douceur offerte par la nuit printanière.
Nombre de ces jeunes jouvenceaux étaient déjà éméchés et grisés par l’alcool. D’autres, plus sobres mais tout aussi joyeux, s’exerçaient à tenter de séduire les quelques demoiselles solitaires croisant leur chemin. Des conversations teintées d’une riche panoplie d’accents se faisaient entendre sur la place. Autant de jeunes gens qui appartenaient aux grandes familles du royaume de l’Arduinna et de l’empire d’Estotiland. Même si ces deux nations s’étaient battues entre-elles septante-six ans auparavant, ce qui avait amené l’empire à imposer un humiliant traité de paix à l’Arduinna, les jeunes hommes présents sur la place paraissaient partager une certaine complicité qui ne se souciait guère des frontières qui avaient été tracées sur de vieilles cartes et explicitées dans d’obscures chartes.
Une coupe de vin dans la main droite et une pipe remplie de feuilles de mandragore dans l’autre, l’ancien chevalier laissa ses yeux vert émeraude s’évader dans le ciel pour contempler la voûte céleste scintillante d’étoiles. Il tentait tant bien que mal de ne pas se laisser distraire par les rires gras des jeunes gens occupés à festoyer un peu plus bas.
Depuis la pièce voisine à la sienne, se faisait entendre un grossier orchestre de plaisir. Il s’agissait encore des chaleureuses « invitées » d’Alexandre qui laissaient échapper quelques notes d’extase dans un concert de gémissements. Une mélodie des plus embarrassantes. Une certaine nostalgie assombrit alors le regard de Geoffroy. Qu’il regrettait ces soirées tranquilles passées dans la Citadelle Enchantée où, une fois que le soleil était couché, Naménielle produisait avec la magie de sa harpe d’agréables musiques qui se mariaient parfaitement bien avec l’ambiance calme et sylvestre des bois marécageux où se trouvaient le merveilleux donjon.
Endroit fantastique qui avait été transformé en cimetière et en un lointain souvenir par la jalousie et la peur de nobliaux inquiets pour leurs intérêts. Cette seule réflexion, qui revenait sans cesse dans l’esprit de l’aventurier, arracha un soupir las à celui-ci. Il cracha un petit nuage de fumée qui s’en alla vite se dissiper dans les ténèbres de la nuit.
Geoffroy était impatient de voir le soleil se lever. En effet, quelques heures plus tôt, Alexandre lui avait promis qu’il lui ferait rencontrer le fameux Momo, cet étrange commanditaire qui souhaitait que la princesse Clarence d’Antillia soit capturée.
Le jeune homme, tout en continuant de mâchouiller nerveusement l’extrémité de sa pipe et en jouant avec la fumée qu’il faisait sortir de ses narines, ne cessait de se demander qui donc était cet homme qui pouvait ainsi en vouloir à la suzeraine de la nation la plus pacifiste de Titania. En effet, la principauté d’Antillia était renommée pour sa neutralité et son ouverture sur le monde. Antillia n’était pas une cité expansionniste, contrairement à l’empire d’Estotiland, bien au contraire. Plutôt que de conquérir des terres, les notables de l’île privilégiaient le fait de voyager à travers le monde non pas pour exploiter l’une ou l’autre ressource mais bien pour provoquer d’improbables rencontres entre les différents peuples et les différentes races de Titania. Les objectifs de ces échanges étaient principalement d’acquérir et de partager des connaissances et des savoirs qui ne pouvaient que s’accroître avec les années, les décennies et puis les siècles.
C’était cette philosophie qui avait conduit Antillia à disposer désormais de l’Université la plus prestigieuse du monde. Une institution dont la réputation inégalée poussait, et ce depuis plusieurs générations, les familles les plus fortunées, aussi bien celles de l’Arduinna que de l’Estotiland, à y envoyer leurs héritiers. Nombreux étaient ceux qui prétendaient que l’Université d’Antillia possédait les archives les plus précieuses et les plus rares du monde même si d’autres à l’inverse affirmaient que les grimoires et artefacts les plus anciens se trouvaient en réalité au Phare d’Obéron, le siège spirituel du Nouveau Culte.
Le jeune homme se caressait maintenant le menton en réfléchissant aux milles motifs qui pourraient conduire un homme à vouloir s’en prendre à la princesse Clarence, par l’intermédiaire d’un dragon de surcroît ! Et surtout, comment se faisait-il que ce Momo était au courant de sa « malédiction » ? Le jeune homme en était bien troublé, d’autant plus qu’il avait souvent été attentif à ne pas ébruiter sa condition.
Il ne maîtrisait que très mal ses pouvoirs et vomissait l’idée de devenir le « dragon sur commande » de quelques maudits nobliaux qui s’entretuaient entre-eux. Il se mit alors à repenser à cet être mi-homme mi-fée qu’il avait assassiné quelques jours plus tôt. L’avait-il fait parce que cette créature s’adonnait à des pratiques blasphématoires impliquant des sacrifices ? Non, bien sûr que non. S’il l’avait exécuté, c’était uniquement parce qu’un gentilhomme fortuné et craignant pour ses terres avait mis sur sa tête une jolie somme et de belles promesses.
Finalement, Geoffroy se disait qu’il ne valait sans doute pas mieux que ces seigneurs qui avaient décidé d’attaquer la Citadelle Enchantée par le passé. Pis, il était devenu le larbin de ce genre de personne. Cependant, sa situation actuelle lui permettait avant tout de faire fructifier les affaires d’Alexandre. Cela lui procurait ainsi le sentiment d’être utile auprès de ce vieil ami. Et ce sentiment, il en avait bien besoin.
Geoffroy avait été chevalier de la Garde Royale d’Arduinna et il avait échoué à protéger le prince Eric lors d’une expédition en Lémurie. Celui-ci avait été tué par les Nagas. Ensuite, après avoir été jeté de la Garde Royale suite à cet échec, Geoffroy était devenu le bras armé de son amie Naménielle et il avait échoué à la protéger, ne sachant même pas s’il l’avait tué ou non lorsqu’il s’était changé en dragon pour la première fois.
Alexandre était pour lui une sorte de dernière chance, l’ultime opportunité de se prouver à lui-même qu’il était bel et bien en mesure d’être utile à celles et ceux qui lui étaient chers. Jusqu’à présent, il n’avait pas déçu Alexandre et il pouvait s’en féliciter.
Un sourire se dessina sur son visage. L’opéra charnel qui se faisait entendre depuis la pièce d’à côté avait gagné en intensité. Il était visiblement passé de l’acte du prélude à celui du drame et de l’action comme pouvait en témoigner la terrible symphonie de grognements et de râles qui faisait trembler les murs.
Geoffroy avala le reste de sa coupe d’une traite et s’en resservi une nouvelle qu’il bu presqu’aussi vite. La nuit promettait d’être bruyante. Il y aurait sans doute un entracte mais le spectacle allait sans doute encore durer plusieurs heures.
La carafe de vin permit au jeune homme d’assez vite s’assommer, immunisant ses oreilles contre les complaintes grotesques qui animaient le deuxième étage des « Dix Quiches ». Sonné et affalé dans sa couche après quelques coupes supplémentaire, l’aventurier tomba assez rapidement dans un sommeil assez peu réparateur.
Le monde des songes où il s’était échoué l’avait amené dans les ruines de l’antique cité de Mû, en Lémurie, l’un des endroits les plus étranges et les plus malfamé de Titania. Il était à présent replongé dans les tourments de ses souvenirs, en l’an deux milles quatorze après la Chute de l’Atlantide.
Un songe où le prince Eric d’Arduinna se battait courageusement contre les Nagas. L’épée de l’héritier de la couronne dansait dans les airs avec une élégance et une souplesse épatante, creusant des trous dans les corps écailleux des infâmes femmes-serpents. Geoffroy tentait de protéger les arrières d’Eric, luttant avec acharnement contre les nombreux Vetâlas qui les encerclaient, de pitoyables cadavres animés par la nécromancie des Nagas. Les deux hommes étaient seuls contre ces monstres dans les ruines d’un palais infernal, combattant leurs ennemis de plus en plus nombreux.
Geoffroy implorait le prince de battre en retraite mais celui-ci s’entêtait à avancer, se frayant un chemin à coups d’épée dans la masse d’écailles et d’os qui grossissait autour d’eux. Eric était en effet venu dans cette contrée lointaine avec un seul et unique objectif : atteindre la Fontaine de Jouvence, jalousement gardée par les Nagas.
Si Eric parvenait à mettre la main sur l’eau enchantée de cette dernière, cela ferait à nouveau rayonner le Royaume d’Arduinna qui avait été humilié par l’Empire quelques décennies plus tôt. L’héritier à la belle chevelure blonde, aux yeux d’un bleu profond et à l’armure scintillante n’était pas venu jusque dans ces terres maudites pour reculer si près du but, ce qui agaçait Geoffroy au plus haut point.
En effet, l’ombre de la mort se rapprochait. C’était comme imminent. La menace mortelle pesait sur l’instant présent. Hélas, le prince se voyait déjà dans un futur romancé, accueilli en héros dans sa patrie après être parvenu à réaliser l’impossible.
- Les Dieux sont avec nous, tonnait Eric pour encourager Geoffroy. La Fontaine de Jouvence n’est plus très loin.
- Ils sont trop nombreux, grogna le chevalier qui devant la dangerosité de la situation s’était autorisé à contredire le prince.
- C’est là l’ultime épreuve des Dieux, fit Eric sans cesser de combattre. Ils sont avec nous. Ils ne nous laisserons pas…
Mais l’héritier de la couronne fut brusquement interrompu. Un sabre venait de se loger profondément dans sa poitrine. Le brave seigneur resta un instant sans voix, ne réalisant pas ce qui lui arrivait et croisant le regard de celle qui n’était autre que la reine des Nagas : Lamia.
Celle-ci esquissa un sourire mauvais avec de retirer brusquement son arme du corps d’Eric qui s’effondra sur les pavés mousseux de cet endroit maudit, au milieu des corps de toutes les créatures qu’il était parvenu à terrasser.
La suzeraine des femmes-serpents siffla de triomphe et pointa son arme vers Geoffroy avec un rictus provocateur :
- Qu’il aille donc rejoindre les Dieux, cracha-t-elle. Veux-tu l’accompagner, valet ?
Geoffroy était devenu presqu’aussi blanc que sa cape en voyant son ami et unique héritier de la couronne d’Arduinna tomber au sol. Sous le choc, il en lâcha son épée qui tomba avec un fracas métallique sur les vieilles pierres. Tandis qu’il reculait en tremblant nerveusement, Lamia s’avança vers lui en gloussant :
- Tu as peur, valet ?
Le jeune chevalier était incapable de répondre, trop bousculé par ce qui venait de se produire. L’expédition avait échoué. Le prince était mort. Il avait failli à son devoir et allait sans doute mourir à son tour. Un silence pesant s’imposa alors et on n’entendait plus que les sifflements satisfaits de Lamia.
- Tu n’es guère bavard, valet, ajouta la reine des Nagas.
- Eric, murmura faiblement le jeune homme qui était désormais submergé par la confusion la plus totale.
Il n’avait même pas remarqué que la Naga était désormais juste en face de lui, son visage à quelques centimètres du sien. Les autres femmes-serpents se mirent à ricaner à leur tour.
Lamia pointa alors l’extrémité de son sabre sur la poitrine du chevalier.
- Le prince Eric n’est plus, imbécile. Comment votre pays d’arriérés a-t-il pu s’imaginer qu’il parviendrait à réaliser ce que les Atlantes eux-mêmes n’ont pu accomplir des siècles plus tôt ? La Fontaine de Jouvence est à nous et nous ne laisserons jamais de vulgaires Humains fouler nos terres impunément.
- Eric, répéta à nouveau Geoffroy.
Lamia soupira. Elle plongea ses yeux aussi sombres que sa chevelure dans ceux du chevalier qui détourna aussitôt le regard.
- Tu vas regretter d’avoir quitté ton pays de bouseux, Humain, ajouta Lamia en secouant la tête.
La reine des Nagas brandit sa lame dans les airs, prête à frapper ce pleutre de chevalier qui se tenait devant elle. Un éclat de lucidité, animé par l’instinct de survie, poussa alors le jeune brun à se jeter désespérément sur la femme-serpent.
- Arrière ! Monstre ! s’exclama t il en… lui tirant les cheveux.
Lamia éclata de rire et le repoussa en lui balayant les jambes à l’aide de sa puissante queue écailleuse. Le jeune homme tomba lourdement sur les fesses ce qui rendit hilares les autres Nagas présentes autour de lui.
- Ridicule, siffla Lamia. Le prince serait donc venu avec son bouffon dans l’espoir de me voler ? On dirait que j’ai encore beaucoup à apprendre sur l’humour arduinnien.
Elle se pencha sur le jeune homme et jeta son sabre plus loin avec dédain avant d’ajouter sur un ton provocateur :
- Je croise le fer avec les chevaliers mais pas avec les amuseurs de cour.
Le jeune homme tentait de se débattre, frappant la poitrine de cette créature reptilienne de toutes ses forces mais celle-ci n’en était que plus amusée. Elle offrit à son pitoyable adversaire un sourire des plus malsains, révélant au passage de longue dents pointues.
- Cela ira très vite, siffla-t-elle.
Le chevalier hurla de douleur en sentant les crocs de la reine s’enfoncer dans la peau de son épaule. La brûlure du venin ensorcelé de cette créature fit rouler de nombreuses larmes sur ses joues tandis que sa main droite s’agitait nerveusement.
Cependant, dans un ultime effort il repoussa Lamia en écrasant sa botte dans son ventre. Le souffle coupé, la reine se recula, légèrement surprise tandis que le jeune homme usa du peu de forces qui lui restait avant de se relever et de chercher la sortie du regard qu’il tenta de rejoindre en titubant.
Plusieurs Nagas et Vêtalas se dressèrent devant lui pour lui barrer la route mais s’écartèrent aussitôt lorsque Lamia s’exclama :
- Laissez-le. Il est empoisonné. Il n’en a plus pour longtemps.
Geoffroy couru maladroitement à travers le dédale qu’était cet ancien palais tandis qu’il entendait une dernière fois Lamia s’exclamer :
- Au revoir, preux chevalier. Bon séjour dans les Limbes !
Les Limbes, l’infortuné chevalier devenu maintenant un vulgaire déserteur au bord du trépas les sentait se rapprocher. Enjambant les cadavres des quelques Paladins de l’Ordre du Trident et des mercenaires de la Compagnie des Épices qui avaient pris part à cette expédition suicidaire, il parvint à sortir des ruines de ce palais malfamé.
Quelques instants plus tard, il se trouvait enfin hors de l’antique ville de Mû pour s’échouer lamentablement sur la plage déserte. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine. Il était trempé de sueur, fiévreux et agité de terribles tremblements. Tandis que d’épais flots d’une salive épaisse et blanche s’échappait de ses lèvres, la vision du malheureux se faisait de moins en moins claire. Le venin puissant de la reine des Nagas allait le terrasser dans les prochains instants, il en était persuadé. Hors, il ignorait encore que ce serait le poison de la honte et de la désertion qui le tourmenterait pour les années à venir.
Lorsqu’il se réveilla tout transpirant et essoufflé, le jeune homme réalisa qu’il n’était plus sur cette austère plage lémurienne mais bien dans les draps moelleux de sa loge des « Dix Quiches ». Il soupira brièvement, regardant la carafe vide posée à côté de sa couche. Au moins, le contenu de cette dernière lui avait permis de s’endormir malgré le vacarme provoqué par Alexandre la nuit dernière.
Et quelle nuit. Une de plus qui était venue lui rappeler ses échecs passés. Son sommeil était bel et bien empoisonné par tous ces mauvais souvenirs et même le vin ne pouvait l’immuniser contre ces derniers.
Le jeune homme se releva et inspira une grande bouffée d’air. S’étirant, il s’approcha de son balcon et constata qu’il devait être encore assez tôt. Peut-être six heures du matin, à en juger par les couleurs vives que jetait le soleil dans le ciel.
Geoffroy remarqua que la Place des Océans n’était non plus parcourue par les quelques apprentis éméchés de la veille mais bien par plusieurs vaillants fidèles venus se rendre au temple d’Hydrion pour lui adresser quelques prières. Ce fut alors qu’il réalisa qu’il n’avait pas prié la déesse Dendria avant de s’endormir, chose qu’il rectifia aussitôt en fermant les yeux solennellement.
Quelques souhaits et litanies plus tard, il s’aventura dans les rues de la ville à la recherche des quelques courageux marchands déjà présents derrière leurs étalages. À sa ceinture était accrochée une bourse pleine d’or, la généreuse récompense qu’il avait gagné pour avoir éliminé Horrible.
Dépensier comme à son habitude, il s’acheta de nombreux sachets d’herbes de mandragore, une nouvelle épée, quelques fioles de lait de licorne et des dattes, fruits dont il était friand. Il se mit par la suite à errer sans réel but dans les quelques marchés de la ville, regardant avec curiosité les nombreux produits venus des quatre coins du monde.
Les navires marchands de la Compagnie des Épices avaient encore amené de multiples étrangetés. Parmi elles, des moustaches de Matagots. Les vibrisses de ces félins étaient supposées porter bonheur. Superstitieux, le jeune homme en acheta plusieurs petits bouquets qu’il rangea dans sa sacoche.
Il espérait que ces derniers allaient lui apporter la chance nécessaire pour accomplir la prochaine mission qui l’attendait. D’ailleurs, il n’avait cessé d’y penser en errant parmi les marchandises exposées des camelots. Ce « Momo » et les informations qu’il prétendait détenir sur Naménielle ne cessaient d’occuper son esprit. Il fut cependant ramené à la réalité lorsqu’un sifflement reptilien se fit entendre dans son oreille.
Le jeune homme sursauta, prit de panique, et se retourna en dégainant sa nouvelle épée dans le même mouvement. Il se retrouva alors face à un marchand grassouillet portant un gros serpent de couleurs vives dans les bras.
- Oh, messire, pardon… je ne voulais point vous effrayer, fit le camelot consterné.
Geoffroy ne répondit rien, reculant avec prudence et tremblant comme une feuille.
- Éloigne cette chose de moi, grogna-t-il en continuant de reculer doucement sans baisser son épée.
Interpellés, plusieurs hallebardiers d’Antillia se rapprochèrent.
- Messire, j’avais pensé que cette espèce rare de l’El Dorado pourrait vous intér…
- Il suffit, fit une voix familière.
Alexandre venait d’arriver derrière Geoffroy et s’adressa à lui :
- Si tu commences à menacer les commerçants de cette ville, cela risque d’être fâcheux pour les affaires.
- Je déteste ces choses, fit Geoffroy sans quitter le serpent des yeux.
Alexandre, d’un geste mondain de la main, invita le marchand à quitter les lieux. Celui-ci secoua la tête, déçu et s’éloigna. Geoffroy attendit qu’il soit parti assez loin pour ranger son épée. Il se tourna vers Alexandre qui était coiffé d’un magnifique chapeau sombre orné de belles plumes de phénix. Il remarqua alors que son ami avait d’épaisses poches bleutées sous les yeux. Rien d’étonnant…
- Sacrée nuit, fit Geoffroy en tentant de masquer son angoisse.
- Oui, confirma Alexandre. Et une sacrée journée nous attend. Suis-moi, notre « client » nous attend.
Geoffroy emboîta le pas à Alexandre et tous deux arrivèrent quelques instants plus tard devant le siège de la Compagnie des Épices, situé à quelques rues de la taverne des « Dix Quiches ». Il s’agissait d’un imposant bâtiment en marbre, dont le portique aux nombreuses et grandes colonnes inspirait le respect à qui les contemplait.
Après avoir gravi les larges escaliers menant à l’entrée du bâtiment, deux valets de la Compagnie s’empressèrent d’ouvrir les grandes et lourdes portes pour laisser entrer Alexandre et Geoffroy dans une véritable fourmilière administrative.
Le hall grouillait de comptables et autres bureaucrates qui allaient et venaient dans tous les sens. Même si cet endroit s’avérait fort peuplé également, Geoffroy devait reconnaître que l’ambiance des lieux était tout de même plus studieuse que celle de la taverne des « Dix Quiches ». Il aperçu alors Calvin avancer vers eux.
- Le client est là, annonça la montagne de muscles.
Un peu plus loin, adossé contre un pilier, un homme encapuchonné semblait attendre patiemment. Geoffroy arqua un sourcil et se pencha à l’oreille d’Alexandre.
- Heu… j’ai tendance à me méfier des gars en capuche.
- On lui dit qu’il ne pleut pas ? ajouta naïvement Calvin.
Alexandre soupira et invita ses deux amis à le suivre. Tous les trois se dirigèrent ainsi vers le mystérieux commanditaire qui, tout vêtu de noir et bien qu’ayant le visage dissimulé par sa large capuche, paraissait plutôt fortuné. Il était très propre sur lui. Ses bottes sombres scintillaient de propreté et les vêtements amples qu’il portait n’avaient pas été achetés dans un souk de pirates.
- Salut à vous, messire Momo, fit poliment Alexandre.
L’intéressé se tourna vers eux et considéra tour à tour Calvin, Alexandre puis Geoffroy.
- Messires, fit Momo en s’inclinant respectueusement, c’est un plaisir de vous rencontrer…
Il avait parlé avec une voix étrangement froide et traînante. D’autant plus que Geoffroy n’arrivait pas à identifier l’origine de son accent.
Momo se caressa le menton et s’exclama :
- Je devine que messire de la Roseray a accepté mon offre ?
- Il faut qu’on en parle, rectifia Geoffroy qui tentait tant bien que mal de ne pas trahir le fait qu’il était perturbé par la voix glaciale de cet individu.
- Parler de ça ? fit Momo en tendant devant Geoffroy un pendentif représentant une dent de sanglier qui n’était autre que celui de Naménielle. Avec plaisir. Je suis là pour ça.
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