Les fantômes ne sont pas les seuls à errer dans les cimetières...

Le Vieux Père, comme on l'appelle. Il ne semble plus vraiment père, ni même vieux. Plus humain. Sur sa tête, des touffes de cheveux clairsemées lui donnent l'air d'un épouvantail ; ses yeux jadis d'un bleu limpide se sont éteints pour ne devenir que billes sans expression ; sa peau cireuse, pâle et tirée sur ses os, semble trop grande pour lui ; il marche voûté, d'un pas traînant, sans aucun son. Oh non, il n'a plus rien d'un humain. Il ressemble à un cadavre, plutôt, une carcasse à moitié dévorée par les charognards ; lui est bouffé par la douleur. Il y a quelque chose dans son regard amorphe, son dos rond, ses bras ballants, qui fait peur, pas peur comme un zombie de film d'horreur, son regard fait peur car il est réel. En voyant les morts-vivants dévorer le héros, on peut toujours se dire que ce n'est pas vrai, c'est juste pour se faire peur. Les zombies, ça n'existe pas. Mais celui-ci existe bel et bien.

On l'entend, parfois, hurler à la mort tel un loup. Comme s'il s'abstenait du moindre bruit la journée, pour, le soir, pleurer sa fille.

Ça fait longtemps qu'il a été relâché. Dix ans, vingt ? quelle importance ? Parce que le remords, lui, ne l'a jamais lâché. Il est toujours là, tiraillant sa manche mitée pour lui rappeler qu'il est là, toujours là. Et qu'il ne fera jamais ses valises.

Alors ce père endeuillé se traîne dans le cimetière. Il y dort, sur la tombe de sa fille. Il y mange, les victuailles que laissent parfois les villageois, pour avoir bonne conscience.

Il est devenu une menace, ce père. À vrai dire, ce village a les gamins les plus sages. Parce que la chose qui hante le cimetière va venir les manger...

Les parents, ceux qui savent tout ce qui s'est passé, ceux qui ont vu le sang gicler et la police arriver, talonnée par les pompiers, à grand renfort de sirènes, ceux qui ont tout vu, en font la meilleure histoire d'horreur qu'on puisse trouver.

Parce que c'est une histoire vraie.