Renaissance
La nuit tombe et nous tombons aussi,
désemparés et dépourvus
de tout ce que nous croyons posséder :
un dieu, une vie, de l’amour.
Je passais le rasoir sur ma joue. Elle entra dans la salle de bain et se plaça devant son lavabo. Elle sortit toute sa panoplie de maquillage. C'était son rituel, chaque matin. Elle s’arrangeait, se rendait belle et j’aimais qu’elle le fasse même si elle ne passait pas la journée avec moi.
Au collège où j’enseigne, beaucoup de femmes n’avaient pas ou avaient abandonné ce désir de s’embellir. Elles avaient le visage effacé, les cheveux fatigués et portaient tous les jours un pantalon, des jeans souvent, et des baskets. Les hommes, par contre, faisaient plus attention à leur image. Moi aussi. Je me soignais. Je m’habillais élégamment selon moi. j’avais des crèmes de beauté et même un fond de teint que j’utilisais discrètement.
Chacun de son côté regardait son propre reflet dans le miroir. Nous nous préparions en silence pour une soirée entre amis. Nous aimions ces nuits pour bavarder un peu parce qu’à la maison, à part les sujets de la vie quotidienne, les factures, les courses, notre fille et j’en passe, nous ne disions rien. Rien. Je l’aimais bien quand même, ma femme. Je crois aussi qu’elle tenait encore un peu à moi même si je soupçonnais qu’elle avait un amant.
Nous arrivâmes au restaurant. François nous salua et dit que nous formions un bien joli couple. Nous étions six à table et il y avait sept couverts. Martine me dit qu’ils attendaient Dominique, une nouvelle connaissance de Kader.
Dominique arriva et je fus tout de suite frappé par sa beauté. De son visage plutôt carré et aux traits gracieux, brillaient des yeux bleu clair. Les présentations faites, nous commençâmes à dîner et à discuter.
Je regardais Dominique parler et je n’écoutais rien de ses mots. Je fixais ses lèvres et, brièvement, je regardais le mouvement de ses yeux qui parcouraient tous les invités. Quand son regard se portait sur moi, je détournai le mien vers ma femme. Lorsque Kader commença à parler, je tournai la tête vers Dominique. Cette fois, c’était son regard qui était fixé sur moi.
En me souriant, Dominique se leva et dit :
— Excusez-moi. Je vais aux toilettes.
Après quelques secondes, je me levai aussi pour me rendre aux toilettes . J’hésitais devant la porte. Je n’osais pas la franchir. Ce n’était pas qu’une porte. C’était un passage vers une autre vie que je désirais, mais que je craignais. Je la poussai. Dominique était face au miroir et se lavait les mains.
Sans un mot, je m’approchai et me mis face au même miroir épaule contre épaule. Nous regardions le reflet l’un de l’autre et souriions. Dominique prit ma main et me guida vers une cabine. Je fermai la porte et la verouillai.
Je pense encore à ce baiser. Lorsqu’il est sorti de la cabine et que je me suis retrouvé seul, j’ai su que j’avais enfin franchi le seuil. J’étais enfin sincère avec moi-même, je me respectais pour la première fois depuis très longtemps. Le lendemain, le soleil s’est levé comme tous les jours, le monde ne s’est pas dérobé sous mes pieds et mon cœur a commencé à battre.
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