Chapitre 4
- Ce fut un désastre !
Astalie posa son travail en voyant la furie argentée débouler dans son bureau.
Elle était un synonyme de Chandra, mais dans des tons plus chauds, et aux cheveux bouclés et dorés.
- Bonjour Chandra, c'est un plaisir de te revoir.
- Comment peut-on être aussi dédaigneux et méprisable ?!
- Parce que tu t'attendais à autre chose ?
- Non mais pas à un niveau aussi élevé avec cet individu.
- Et qui était-ce ?
- Faust, de l'île d'Eysul.
- Et tu pensais vraiment que ça aller donner quelque chose de concluant ?
- Non mais pas ça.
- Comment ça s'est passé avec les deux autres ?
- Fennelie et Cannil ont eu plus de chance.
- Dans ce cas, passe à autre chose. Es-tu parvenue à contacter les Gardiens ?
- Non, ils restent dans le silence.
- Crois-tu que ça a commencé ?
- J'en ai peur...
* * *
Le voyage se passa difficilement et ce n'était nullement la faute d'une quelconque perturbation naturelle, mais plutôt d'une autre d'origine féminine.
Une fois le navire posé et amarré, Faust aida Sian à descendre, celle-ci se montrant moins irascible que la seconde fille qui persistait à vouloir se débrouiller seule malgré son état de fatigue avancée.
Leurs familles et l'unique clerc présent dans le village les attendaient près des pontons.
Hayjie les rejoignit avec joie, ne souhaitant plus rester dans cet enfer volant qui n'avait fait qu'aggraver ses symptômes déjà trop encombrant à son goût. Son père la réceptionna dans ses bras en remarquant sa stabilité douteuse. Sa mère s'en inquiéta bien davantage, hâtant sa famille en direction du village pour rentrer plus rapidement.
- Est-ce que tu as mangé au moins ?
- Un peu, mais ce n'est pas resté longtemps.
- Va te coucher, on va te préparer quelque chose qui ne devrait pas poser de problèmes.
La jeune femme se contenta d'acquiescer et se dirigea dans le fond de la maison sous l’œil attentif de son père, qui rejoignit sa mère une fois qu'il fut sûr qu'elle soit en bonne posture.
- Qu'as-tu en tête pour elle ?
- Pour nous trois, plutôt. Du riz accompagné de légumes et d'un peu de sauce.
Manakel s'occupa donc de préparer les ingrédients pour la sauce pendant que sa femme s'occupait de mettre le riz à cuire et de préparer les légumes qui allaient l'accompagner.
* * *
Sa nuit fut mouvementée, mais suffisante pour ne plus souffrir des évènements de la veille. L'Astalie était à peine perceptible à l'horizon quand elle ouvrit les yeux.
Elle se leva rapidement, échangea sa chemise de nuit pour sa tunique quotidienne, enfila ses sandales et partit à la hâte en direction du lac après avoir embrassé ses parents à peine levés.
- Ne tarde pas trop, nous devons aller aux champs après.
- Promis !
Le lac n'était qu'à dix minutes de chez elle. Un peu moins si on marchait vite. À son grand plaisir, personne n'était encore présent et aucun son ne laissait penser le contraire. Elle plia ses vêtements sous un arbre proche, se glissa dans l'eau jusqu'à s'immerger totalement, écoutant le silence particulier que produisait la vie sous-marine et ne remonta seulement lorsqu'elle commença à manquer d'air. Les yeux clos, elle écoutait le chant des oiseaux qui avait repris, comme celui du bruissement des feuillages agités par un léger vent, les clapotis du ruisseau qui alimentait le lac à quelques mètres au-dessus d'elle, les remous de la cascade, l'écureuil qui sautait de branche en branche, la grenouille qui partait se cacher à travers les roseaux, le cri lointain du faucon, comme le proche mulot qui creusait la terre.
Une multitude de bruits qu'elle n'entendait habituellement pas et qui venaient parasiter ses pensées en accaparant toute son attention.
Pour s'y soustraire, elle retourna sous l'eau, sans comprendre ce qui lui arrivait.
« N'aie crainte, je vais t'aider. »
La même voix que la veille venait de résonner dans son esprit, la faisant paniquer et remonter à la surface dans la précipitation. La cacophonie reprit de plus belle, augmentant le stress dans lequel elle était déjà.
- Concentre-toi sur ma voix et oublies les sons extérieurs.
- Je ne sais même pas qui vous êtes.
- Cela n'a aucune importance, écoutes simplement ce que je te dis, je ne pourrais pas rester longtemps.
- Et si je n'en avais pas envie ?
- Je ne peux t'y obliger.
- Je peux au moins savoir à qui je m'adresse ?
- Puisque tu insistes... Je me nomme Odona.
- Je crois avoir déjà entendu ce nom quelque part...
- Sûrement. Comment vas-tu ?
- Mieux. Merci.
- C'était un plaisir. Prends garde à ne pas arriver en retard.
Hayjie sortit de l'eau et essora avec négligence ses longs cheveux qu'elle attacha avec un lacet avant de se rhabiller.
Elle ne mit pas longtemps à rejoindre ses parents et le reste du village aux champs. Ils se situaient sur la partie ouest de l'île, le petit hameau se trouvant sur celle du sud.
Elle arriva à l'heure, comme promis. Siannlie avait l'air d'aller mieux que la veille et Faust était égal à lui-même. Son amie la rejoignit en la voyant apparaître à l'orée du bois, profitant d'être à l'écart des autres pour lui parler en privé.
- Je pourrais te parler après ? Il m'est arrivé des choses... Bizarres. Et vu que tu en as l'habitude...
- Je ne sais pas comment le prendre... Je t'apprécie beaucoup Sian, mais c'était un peu maladroit.
- Ce n'était pas le but, je suis désolée !
- Je sais. Et bien sûr qu'on pourra en parler, j'en ai l'habitude.
Ce n'était sûrement rien pour qui ne savait pas, mais cette simple phrase accompagnée d'un sourire suffit à rassurer la jeune fille.
- Merci !
- On devrait aller retrouver les autres maintenant.
Quand tout le monde fut arrivé, le travail put commencer. Les plus jeunes enfants étaient mis sous la surveillance des anciens, des parents s'occupants de nourrissons et des femmes qui étaient à un stade avancé de leur grossesse, si elles le désiraient. Sinon, toutes les personnes qui en avaient la possibilité participaient aux récoltes et à l'entretien des plantations.
Les jeunes enfants, pour mêler l'agréable à l'utile, ramassaient les baies sur les buissons fruitiers, situés au milieu des champs gérés par les adultes.
L'ambiance était aux chants, ceux qui se transmettaient depuis des temps ancestraux en contant les périples et les exploits des héros d'antan, ce qui arrangeait grandement Hayjie qui pouvait de ce fait se concentrer sur autre chose que tous les bruits qui l'entouraient.
Seulement s'il n'y avait que ce détail qui devenait gênant. Sa vue se mettant de temps en temps à défaillir, certaines couleurs devenant plus ternes pour en faire apparaître d'autres plus vives, notamment les couleurs chaudes, ce qui était assez perturbant et flagrant pendant sa récolte des tomates.
La matinée dans cette atmosphère passa rapidement, à son plus grand soulagement. Elle acheva de charger son dernier panier dans la charrette installée derrière les barrières construites tout autour des plantations afin de leur apporter un semblant de protection même si ça ne les sauvait pas totalement des campagnols, insectes et oiseaux qui en profitaient également.
Sian la kidnappa rapidement pour la conduire à l'abri des regards dans les bois.
- C'est si pressant que ça ?
- OUI !!! J'ai vraiment un gros, énorme et encombrant problème...
- C'est-à-dire ?
- Un... Une... Un petit détail de... Quelques centimètres ? Et quelques poils ? Et je ne sais pas comment y faire disparaître !
- Alors expliques-moi ou montres-moi et on verra ce qu'on peut faire.
Une queue de félin violette était apparue dans son dos, sortant de sous sa tunique.
- Je vois mieux ton problème.
- Comment je fais ?!
- J'en sais rien mais je t'en prie arrête de crier, depuis ce matin j'ai l'impression qu'un amplificateur de son a élu domicile dans mon crâne.
- Désolée... Mais ça me panique et je pensais que tu pourrais m'aider et je ne sais pas quoi faire.
- Range-la, on va déjà commencer par aller manger, et après, on verra ce qu'on peut faire pour ce... Détail encombrant.
- D'accord... C'est normal que tes pupilles soient verticales ?
- Pas vraiment, mais ça expliquerait certaines choses et je ne suis pas à une étrangeté près, ces derniers temps... On y va ?
- Oui mais restes avec moi s'il te plaît.
- Je n'ai pas de raison de m'éloigner.
Suite à cette affirmation, Siannlie n'hésita pas plus longtemps et se greffa au bras d'Hayjie pour le trajet du retour.
- Tu as prévu quoi cet après-midi ?
- Certainement un peu d'escalade, quelques écorchures, quelques tâches et quelques protestations venant de ma mère.
- Je pourrais t'accompagner ?
- Tes parents ne vont pas s'inquiéter de te savoir avec moi ?
- Ils s'inquiètent toujours quand tu es dans les parages.
- Je suis sûre que ce n'est pas justifié.
- Sûre ?
- À... Vingt pourcents, en étant large ?
- Même en prenant en compte la toiture et le mur endommagés par la chute d'un rocher que tu as provoqué en fragilisant la falaise dans tes lubies d'escalade ?
- Peut-être cinq petits pourcents, finalement.
Un accident dans lequel elle avait également failli rejoindre le Royaume des Morts plus tôt que ce n'était prévu. Ou alors, de ce fait, c'était la Mort qui l'avait épargnée, au choix.
* * *
- Vous n'aurez jamais Madarance.
- Tu devrais pourtant te faire à cette idée, ce sera bientôt le cas. Mes créatures seront bientôt prêtes à envahir la surface.
- L’Élue grandit et sa force avec elle.
- Et la tienne commence à décliner. Tu ferais mieux de la préserver si tu veux continuer à m'en fournir.
L'entité abandonna la Gardienne dans sa cellule coupée du reste de l'univers. Malgré sa triste condition et son énergie qui la quittait progressivement, elle restait distinguée et digne de son rang.
Cette prison était une simple bulle mauve opaque et hermétique à une quelconque utilisation magique, et privé du moindre mobilier.
Une incarcération que l'incarnation de l'océan vivait difficilement, elle qui avait l'habitude de constamment se déplacer dans ce vaste royaume qu'elle était censée protéger et qui se retrouvait maintenant sous le seul rempart qu'offraient les Esprits beaucoup trop individualistes pour être d'une quelconque efficacité. Elle espérait simplement que ses protégés résisteraient assez longtemps pour permettre à l’Élue d'accomplir la prophétie.
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