Chapitre 11
"Quand l'oiseau bleu sera prêt, les chants de la nature se réuniront en lui et danseront sur la cacophonie de l'obscurité afin que renaisse l'harmonie dans une arabesque de symphonies."
Les arbres défilaient rapidement autour d'elle. Pas assez espacés pour lui permettre une envolée, trop lisses pour les escalader, et les feuillages, trop épais pour connaître l'heure de la journée. Les épaisses broussailles et la pénombre environnante l'importunaient dans sa course.
Son instinct de survie était mis à rude épreuve, tout comme ses sens. L'adrénaline commandait chacune des cellules de son être, mais la menace qu'elle tentait de fuir semblait parvenir à la suivre qu'importe la direction qu'elle prenait.
"Quand l'oiseau bleu sera prêt, les chants de la nature se réuniront en lui et danseront sur la cacophonie de l'obscurité afin que renaisse l'harmonie dans une arabesque de symphonies."
Les grognements se rapprochaient dangereusement dans son dos.
Dans sa fuite, elle trébucha, tombant dans un trou qui se révéla être un tunnel lisse jusqu'à atterrir sans la moindre élégance dans une salle blanche beaucoup trop éclairée.
Chandra apparue près d'elle dans une arabesque d'éclats argentés.
- Bonjour, Hayjie.
La jeune fille eut un mouvement de recul face à cette présence scintillante inattendue.
- N'ait crainte, tu es en sécurité ici, il ne pourra pas t'atteindre.
- Qu'est-ce que c'est ?
Chandra poussa un triste soupir en levant les yeux vers la créature avant de lui répondre.
- Un futur qui nous menace davantage chaque jour...
- Je vois... Et toi, qui es-tu ?
- Je suis Chandra, Esprit de l'Astre Opalin. Je veille sur les nuits de chaque créature peuplant ce monde.
L'Astre s'agenouilla auprès d'elle en voyant qu'elle ne semblait pas intéressée à se relever. Un grognement menaçant fit sursauter la jeune fille même s'il était certain que la chose qui se trouvait à la surface n'était pas en capacité physique de descendre les rejoindre. Puis ce fut la main de l'entité liliale se posant sur son bras qui la mit en alerte, mais la douceur de son regard argenté et la bienveillance de son sourire l'apaisèrent rapidement.
- Tout va bien, tu ne risques rien. Reste ici aussi longtemps que tu en auras besoin, rien ne pourra venir percer les murs qui t'entourent. Je vais devoir m'en aller, d'autres nécessitent mon intervention. J'espère que nos chemins se recroiseront dans de meilleures circonstances.
Et elle disparu dans une nébulosité argentée, laissant l'adolescente dans le silence du refuge.
Une vive lumière lui fit ouvrir les yeux. L'astalie semblait s'être levé depuis plusieurs heures déjà. Hayjie mit plusieurs minutes avant de réaliser où elle se trouvait réellement, tentant fastidieusement de retrouver un rythme cardiaque stable, encore perturbée par sa nuit agitée.
Ce n'était qu'un rêve. Ou un cauchemar. Ou quelque chose entre les deux, elle ne savait trop quoi penser de ces étranges visions. Le résultat était que ses plumes la menaçaient d'une transformation sauvage dans une chambre beaucoup trop petite pour accueillir l'envergure de ses ailes. Il fallait qu'elle se calme. Rapidement.
Elle ferma les yeux, inspirant et expirant profondément, avec lenteur, tandis qu'elle sentait l'aigle rebrousser chemin au fond de sa poitrine pour s'y cacher le temps qu'elle jugerait nécessaire. Hayjie soupira de soulagement et entreprit de se lever : la patience de Circa avait ses limites en ce qui concernait les innombrables retards qu'elle se permettait ces derniers jours.
L'esprit l'attendait près du vieil arbre habituel. Sa posture et ses yeux clos auraient pu faire penser qu'il s'était endormi si son aura ne trahissait pas la réalité.
- Tu es en retard. Encore.
- Je sais, je...
- As-tu des ennuies ? Je peux tenter de t'aider si cela entre dans mon champ de compétences.
La sincérité de sa proposition la prit au dépourvu. À part Sian et sa mère, peu de gens s'inquiétaient de ce qu'elle pouvait vivre ou ressentir, si ce n'est personne. À l’absence de réponse, Circa ouvrit le yeux avant de reprendre :
- Ton esprit a l'air perturbé, cela m'inquiète pour la suite.
- Seulement des cauchemars.
- Pourtant, tu ne sembles pas parvenir à les gérer ces derniers temps.
- C'est toujours le même, mais cette nuit, c'était un peu différent. Quelque chose est venu m'aider. Les esprits des morts peuvent-ils apparaître dans les rêves ?
- Seulement sous certaines conditions mais les probabilités sont faibles. Ton imagination a certainement créé cette figure protectrice, ce qui n'est pas négatif. Souhaites-tu parler d'autre chose ?
- Non. Merci de m'avoir écoutée.
- Si nous allions voler un peu ?
- Et le cours ?
- Nous verrons ça plus tard dans la journée.
Elle se contenta d'acquiescer et de le suivre dans l'immensité azurée du ciel. Cet instant de liberté lui parut tel un souffle qui lui manquait quand elle se trouvait sur l'île.
Hayjie monta aussi haut que ses ailes voulaient bien la porter avant de se laisser tomber vers l'océan en ayant repris sa forme originelle. Le vent sur son visage. La sensation de chute. Son instinct de survie en alerte. L'adrénaline s'insinua dans chacune de ses cellules pour se transformer en un sentiment de liberté grisant mais beaucoup trop court avant de devoir retrouver ses ailes. L'océan était devenu un poison duquel il valait mieux ne pas s'approcher de trop près.
Son exploit terminé, elle revint aux côtés de Circa qui s'était contenté de planer en attendant qu'elle termine ses acrobaties Il initia une perte d'altitude significative pour rejoindre un îlot à la gemme qu'on devinait rosée sous les nombreuses racines qui la recouvraient.
Hayjie le suivit et se posa du mieux qu'elle put avant de reprendre sa forme d'origine. Aucune autre parcelle de terre n'était visible à l'horizon. Seulement l'étendue vaseuse qui remplaçait l’œuvre d'Odona.
- Pourquoi ici ?
- Pour ne pas détruire des îles hébergeant potentiellement de la vie.
- Comment peux-tu savoir qu'il n'y en a pas sur celle-ci ?
- Quelques siècles à voyager et à observer.
- Combien ?
- Tu es beaucoup trop curieuse. Installe-toi en face de moi, s'il te plaît.
Circa s'était agenouillé dans l'herbe rosée qui recouvrait ce bout de terre lévitant. Son élève l'imita à sa demande et attendit qu'il veuille enfin annoncer le sujet de la leçon du jour.
- Pourquoi as-tu arrêté la magie ?
- Là, c'est toi qui est trop curieux.
- Ce n'était pas le but. Peux-tu me donner tes mains ?
Malgré ses mains tendu dans sa direction, Hayjie garda les siennes sur ses genoux.
- Je vais m'abstenir cette fois...
- J'essaie seulement de t'aider.
- Tu ne sais pas...
- Alors explique-moi ?
- Ce n'est pas agréable à raconter...
- Veux-tu me montrer ? Je verrai seulement ce que tu souhaites.
Circa insista par le geste pour qu'elle mette ses mains dans les siennes.
- Ce sera plus simple de cette façon. Seulement ce que tu souhaites.
Hayjie posa l'extrémité de ses doigts sur celles de son professeur. Un lien fut rapidement créé entre leurs esprits
Seulement ce que je veux...
Une scène vaporeuse prit place autour d'eux. L'herbe rosée fut remplacée par la flore bleutée de son île. D'immenses arbres apparurent où le vide aurait dû se trouver et deux fillettes entrèrent bientôt dans la scène pour s'y installer. Étonnement, elles semblaient faire attention à ce qu'il se passait autour d'elles.
* * *
- Attends, j'ai l'impression qu'on nous suis...
Une fillette aux boucles lilas observait autour d'elle après un craquement de feuilles douteux. La seconde fit un instant de même avant de se détourner de cette inquiétude. Elles ne devaient pas avoir plus de huit ans.
- Peut-être un petit animal ?
- Peut-être.
Hayjie prit Sian par le poignet afin de la sortir de ses craintes. Cette dernière finit par la suivre en silence dans l'hypothèse qu'un nouveau bruit puisse apparaître.
Elle arrivèrent dans une petite clairière fleurie éclairée par des gemmes bleutées qui sortaient ci et là du sol. Les enfants s'installèrent sous un arbre. La fillette aux cheveux argentés ramassa une fleur de laquelle elle laissa uniquement le cœur et quatre pétales pour l'animer comme aurait pu l'être un papillon. Siannlie la regarda faire avec admiration. Hayjie en fabriqua plusieurs et les fit s'envoler pour en faire une nuée violette qui monta pour atteindre les plus hautes branches avant de retomber sur elles en pluie florale.
Elles ne se savaient pas observées.
Faust repartit au village en courant, dévoilant sa présence dans la foulée.
La scène se brouilla un instant pour laisser place à celle du village. Une jeune femme et son compagnon défendaient l'enfant magique durant une assemblée du village organisée afin de décider de l'avenir de la fillette au sein du celui-ci sur les seules accusations de Faust qui semblait dépassé par les événements.
Nous l'aurions su si elle était
sujette à cette pratique.
Nous devons protéger les autres
On ne peut pas accepter ce genre de mais peut-on croire Faust ? comportement.
Ce n'est qu'une enfant. Peut-on la mettre en quarantaine sur un simple témoignage ? Et Siannlie ? Elle était avec elle.
Elle pourrait éclaircir cette histoire.
Hayjie se cachait derrière ses parents, essayant de se soustraire à la scène qui se déroulait autour d'elle. Circa ressentit chaque seconde d'incompréhension, chaque seconde d'angoisse et bien plus important, il sentit se briser chaque parcelle de confiance qu'elle possédait envers ces personnes qu'elle côtoyait quotidiennement et qui pourtant, aujourd'hui, souhaitaient la mettre en quarantaine pour quelque chose dont ils ne connaissaient rien. Heureusement, rien de cela n'eut lieu, fautes d'autres témoignages, mais le mal était déjà fait.
* * *
Quand la scène disparu enfin autour d'eux, l'Esprit put remarquer les larmes silencieuses qui coulaient sur les joues de son élève suite à ces souvenirs. Il resserra son étreinte autour de ses doigts
Tu n'es pas responsable de leur ignorance.
La jeune fille haussa légèrement les épaules, le regard perdu dans les mouvements de l'herbe rosée.
- Peut-être, mais ça ne change rien à la situation...
- Tu as raison, la situation ne change pas, c'est la responsabilité de celle-ci qui change et c'est ce point qui est important.
L'Aigle lâcha une des mains de Hayjie pour ramasser une fleur et la lui tendre en souriant, sans prendre en considération son regard étonné.
Tu veux bien me faire ce tour que tu montrais à Siannlie ?
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