Petit historique et premiers pas

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Notre-Dame-des-Landes : petit historique

À ce stade, il serait intéressant de présenter une courte histoire du bocage, d'expliquer comment la communauté d’activistes a vu le jour.
L’histoire commence en 1963, les administrations chargées de l’aménagement et du développement du territoire se sont dit que ce serait une bonne idée d’avoir un aéroport international pour toute la région du Grand Ouest. C’est en 1967 que la localité de Notre-Dame-des-Landes est choisie pour le projet.
La machine se met en branle et les choses suivent tranquillement leur chemin jusqu’en 1974, année où les pouvoirs publics décident de créer, par Arrêté préfectoral, une Zone d’Aménagement Différé (Z.A.D.) à vocation aéroportuaire, 1225 hectares pour commencer.
Mais la crise pétrolière ainsi qu’un premier groupement d’opposants (ADECA : Association de Défense des Exploitants Concernés par l’Aéroport), mettent de sacrés bâtons dans les roues du projet, si bien qu’on en entend plus trop parler jusqu’en 2000. Jacques Chirac est alors Président de la république, son premier ministre est Lionel Jospin, une phase d’étude du projet est réouverte.

En réponse, une nouvelle association d’opposants est constituée, Association Citoyenne Intercommunale des Populations Concernées par l’Aéroport (A.C.I.P.A.). En 2006, la Zone d’Aménagement Différée est portée à 1650 hectares.
L’année 2007 est quelque part le point d’aboutissement de ce projet de longue date ; une déclaration reconnaissant l’utilité publique du projet est remise au préfet de Loire Atlantique, elle est publiée le 13 février 2008. En réaction, début mars, des manifestants déambulent dans les rues de Nantes. 2009, le Comité des Élus Doutant de la Pertinence de l’Aéroport (C.E.D.P.A.) voit le jour, les associations organisent conjointement une « Semaine de la résistance » sur la ZAD pendant laquelle, en accord avec ces dernières, un Camp Action Climat est organisé dans un champ proche. Vous suivez ? Et encore, c’est un résumé.
Ce camp se construit en écho à d’autres organisés en diverses places d’Europe, trois ans après que le premier a été organisé en opposition à la centrale électrique à Charbon de Drax en Grande-Bretagne. C’est ici l’occasion de vivre, de s’organiser et de débattre autour de principes écologiques, d’autogestion et de démocratie directe. Près de 600 personnes participent, une centaine d’entre elles s’installent, occupent et cultivent les terres de ce qu’on appelle désormais la Z.A.D pour Zone d’Autonomie Définitive... Et ce n’est là que le début des hostilités. Un décret du conseil d’État publié le 29 décembre 2010 attribue la concession du projet sur une durée de 55 ans à une filiale de Vinci S.A. déjà nommé Aéroports du Grand Ouest, ce même décret confie à l’entreprise la gestion de deux aéroports déjà en fonction, l’aérodrome de Saint-Nazaire et celui de Nantes Atlantique. Le décret rentre en vigueur le premier janvier suivant.


Opération César contre le peuple de boue

Les années 2011-2012 voient de nombreuses manifestations s’organiser, une contestation juridique s’organise, les occupations illégales continuent et une petite communauté se forme sur la concession privée. L’opération « César » est lancée par le gouvernement le 16 Octobre 2012 (http://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/2012/10/17/notre-dame-des-landes-les-operations-continuent-121701.html).
La gendarmerie déclare alors vouloir évacuer vingt-cinq lieux illégalement occupés sur la Zone d’Aménagement Différé, plus de mille hommes sont mobilisés, la préfecture de Loire-Atlantique annonce que l’opération vise à « la sécurisation physique des sites » et à « protéger les entreprises qui vont intervenir ». En vingt-quatre heures , la plupart des sites visés sont évacués, une partie immédiatement détruite, cinq cents C.R.S. et gendarmes sont envoyés en renfort et quadrillent la zone, pour « quelques jours » d’après un certain fonctionnaire, alors préfet de Loire-Atlantique. Mais c’est là sans compter sur la détermination des opposants ; des tranchées sont creusées et des barrages érigés. Les face-à-face violents se succèdent tout l’hiver. Les zadistes occupent bientôt près de deux milles hectares incluant une partie des terres concernées par l’aménagement des infrastructures routières qui desservirait le futur aéroport. L’opération prend réellement fin le 12 avril 2013, les dernières troupes se retirent.

Depuis ce jour, les forces de police n’entrent que très rarement sur les terres occupées, ils se contentent de survoler la ZAD en hélicoptère ou en drone.
De tout cela, je n’avais qu’une vague connaissance avant de rejoindre le bocage nantais, quelques jours sur place et les pauvres images que nous propose l’Internet ne permettent pas d’entendre l’énergie de ce mouvement ; je m’apprête à foutre les pieds dans un bordel dont je n’imagine pas la portée, ni à quel point ce choix va bouleverser ma vie.


Une attaque de diligence

Nous arrivons au cours du mois d’août 2013 en passant le village de La Pacquelais, une petite bourgade frontalière de la Z.A.D., un acronyme qui, à ce jour, peut se dérouler de bien des manières : Zone À Défendre, Zone d’Autonomie Définitive ou d’Anarchistes Déterminée pour les militants, Zone d’Affrontements Directs pour les gendarmes.
Je m’engage sur la route dite des chicanes, Shenzi trotte plusieurs mètres plus loin. Cette voie a été fermée administrativement dès novembre 2012 puis condamnée par des blocs rocheux déposés par des agents municipaux, en travers de la voie. Le Conseiller général de Loire-Atlantique de l’époque, déclarait alors « Il n’est pas acceptable que la sécurité ne soit plus assurée sur cette route. Ma responsabilité en tant que gestionnaire de la voirie est de mettre à l’abri les automobilistes de ces risques… ». Les caillasses ont depuis été poussées sur le bas côté et la route réouverte à la circulation par les zadistes eux-mêmes, bien qu’officiellement elle n’existe plus.
Anecdote amusante, dans la nuit du 8 au 9 octobre 2015, un camion chargé d’alcool et d’huiles d’olive s’engage au milieu des chicanes et finit par se coincer, incapable de continuer sa progression ou de faire demi-tour. Un groupe de zadistes interpellé par la situation vient à la rencontre du chauffeur. Selon leurs déclarations, ils proposent alors leur aide mais le conducteur refuse de sortir de sa cabine. Suspicieux, ils décident de vérifier le chargement du convoi et découvrent selon les médias « des denrées alimentaires et quatre milles litres d’alcool ». Des bouteilles sont rangées dans des caisses marquées « Domaine de Rothschild », une aubaine inespérée pour ce petit groupe qui prend alors seul la décision d’alléger le camion de son chargement et au passage, de son gasoil, et ce, sans que le chauffeur ne soit inquiété ou ne semble s’en inquiéter. Dès le lendemain, l’affaire fait grand bruit dans les journaux et parmi les zadistes, BFM titre ainsi son article « Notre-Dame-des-Landes : Un camion pris en otage dans la nuit ». Les gendarmes mobiles ainsi qu’un hélicoptère sont dépêchés sur la zone et récupèrent le semi-remorque, sans qu’il n’y ait d’heurt. Mais cette incursion n’est pas du goût de tous et nombreux sont les habitants de la ZAD à condamner cette action, y voyant là un piège grossier visant à décrédibiliser le mouvement. Cette action restera longtemps source de conflits entre différents collectifs mais l’histoire ne raconte pas comment ce chauffeur habitué de la région a pu se perdre sur cette route qui n’apparaît plus sur aucune carte routière ou GPS, s’y engager et passer une série de chicanes et de panneaux sans s’apercevoir de son erreur et tenter de rebrousser chemin. Cette route est en effet jonchée de ralentisseurs, faits de pneus, de palettes et de gravas, de vigies et parfois même de carcasses de voitures transformées en pots de fleurs géants, le tout repeint aux couleurs de la ZAD. C’est en tout cas une bien mauvaise publicité qui s’ensuit et sert les arguments de ceux qui voudraient voir la zone nettoyée de ses habitants.

Revenons en 2013

C’est donc par cette route que je pénètre à nouveau sur ces terres devenues fameuses. Maintenant mieux informé, je me dirige naturellement vers la Chat-Teigne (vous vous rappelez, c’est là que j’ai rencontré pour la première fois les ouvriers de la nouvelle infirmerie). J’ai l’intention de prendre le temps d’envisager la suite à donner à mes projets. Ici, la plupart des cabanes ont été construites au cours de la manifestation de réoccupation lancée le 23 novembre 2012 et la semaine qui a suivi. La police venait juste de déserter le bocage, après avoir évacué et rasé plusieurs habitations, allant jusqu’à sécuriser l’évacuation des gravas et des restes de mobilier des maisons détruites. Pourtant cette semaine-là, c’est un nouveau hameau qui sort de terre : une salle de réunion, des dortoirs, une cuisine, une infirmerie mais aussi une manufacture (on y trouve toutes sortes d’outillage et de matériaux à disposition), un free shop et une taverne. Le lieu-dit est baptisé la Chat-Teigne en référence aux châtaigniers qui l’entoure. La taverne devient la NoTAVerne en soutien au mouvement de lutte dans le val de Suze. Un combat avec lequel la ZAD a tissé de nombreuses affinités étant donné les points communs de ces deux luttes. Là-bas aussi, on s’oppose à l’expulsion de locaux et à la destruction d’un écosystème au profit de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin. Au sein de la zone, chaque lieu et presque chaque cabane porte son propre nom. Ce sont les habitants des différents collectifs qui baptisent leurs lieux de vie ou choisissent de se réapproprier les noms historiques des places occupées ; leurs variétés témoignent d’influences et d’imaginations fertiles : Les 100 noms, les Fausses Noires, Le Sabot, Bellevue, la Wardine, la Datcha-tcha... on dénombre plus d’une soixantaine de lieux de vie.


État des lieux

Dans ce petit village, les intérieurs des dortoirs sont fonctionnels et confortables ; on y trouve des matelas, des couvertures, quelques meubles et parfois un poêle à bois. Plus loin la cuisine collective, un four, une grande table, les casseroles et la vaisselle. La nourriture déposée sur les étagères de la pièce est ici considérée comme collective, chacun peut prendre ce qu’il souhaite, mais rares sont ceux qui ne cuisinent que pour eux-mêmes. À l’extérieur, à l’abri d’une bâche, le coin vaisselle dont les eaux usées s’écoulent vers des bassins de phytoépuration. La phytoépuration est une technique qui consiste à créer une zone humide artificielle qui, par le biais d’un système racinaire de plantes choisies, de substrats et de micro-organismes, va filtrer l’eau et permettre une dégradation rapide des matières organiques préservant ainsi les sols de toute pollution. Il existe quelques installations similaires sur le territoire. Des récupérateurs d’eau fournissent une grande partie de l’eau nécessaire tandis qu’un robinet, à quelques centaines de mètres de là, donne accès à l’eau potable. Les bâtisses sont raccordées illégalement au réseau électrique et personne, du moins sur ce lieu-dit, ne s’acquitte d’une quelconque facture.
C’est normalement un lieu de passage mais parmi le flux de nouveaux arrivants, Camille, son pote et leurs chiens ont fait de l’un des dortoirs leur domicile fixe. Un ordinateur, une radio, une grande table, quelques bancs, un coin cuisine et plusieurs couchages, la pièce n’est pas bien grande mais bien remplie. Pas de réchaud à bois ici ; quand le froid se fait mordant, les compères se chauffent avec un vieux radiateur électrique récupéré on ne sait où.


Camille-cagoulé

Lorsque Camille s’est installé à la Chat-Teigne, j’habitais déjà la ZAD depuis plusieurs mois, mon premier souvenir de lui est celui d’un grand gaillard aux muscles dessinés, deux mètres au garrot à vue de nez, arpentant le bocage affublé d’une cagoule cousue main, une machette sur l’épaule. Les travaux agricoles ont beau être coutumiers dans le secteur, la vision de cet homme tout droit sorti d’un mauvais film d’horreur avait de quoi faire flipper les plus téméraires d’entre nous. Camille est belge et protège deux chiens sous son aile. Il est arrivé ici un peu par hasard, après une belle odyssée et de nombreux obstacles. Boulanger pâtissier de formation, ses démons ont fini par l’empêcher d’exercer sa profession. Je me suis d’abord méfié de l’individu, avec un peu de hauteur comme peuvent en prendre ceux qui se croient meilleurs. Un mec que j’aurai eu peur de croiser dans d’autres circonstances, ailleurs qu’ici.
Derrière son flegme apparent, Camille a l’esprit vif et l’humour piquant. Ce n’est malheureusement pas du goût de tous ; conduit dans les geôles d’un commissariat, il en a déjà fait les frais. Un évènement qu’il raconte encore avec douceur. Cela fait longtemps qu’il vit dans cette cabane normalement réservée aux nouveaux arrivants, mais personne ici ne semble s’en inquiéter ; il tire ses revenus d’une quelconque allocation venue de Belgique, qu’il partage avec ses parents, ses compagnons et les âmes perdues qui atterrissent chez lui. L’argent couvre leurs besoins les premiers jours du mois, puis c’est au détour de partages qu’ils pallient les nécessités, se contentent de peu. Ici les deux zadistes n’ont pas de loyer à payer, l’électricité est réquisitionnée et l’eau potable n’est pas bien loin. Comme d’autres, Camille-cagoulé s’est construit un foyer sur la ZAD, et bien qu’on le croise parfois encore au détour d’un chemin, sa cagoule ne sert plus aujourd’hui qu’à effrayer les crédules.
Mais le jour de mon arrivée, Camille n’habite pas encore ici et en cette saison il y a du monde parmi les nouveaux arrivants ; des curieux de passage mais aussi des gens qui envisagent de s’installer, car ici, chacun est invité à trouver sa place et peut élire domicile. Les joints et les bières tournent tout comme les chiens, nombreux. L’ambiance est bon enfant, rythmée par les guitares et les humeurs de quelques grandes gueules.


Je tente ma chance

Ici on parle parfois fort et on s’agite, il s’agit dès lors de ne pas s’offusquer pour des choses qui n’ont pas vraiment d’importance en ces lieux. Je retrouve là un type que j’avais croisé lors de mon premier séjour. Après quelques salutations d’usage, je tente une requête. C’est que je voudrais éviter la joyeuse bande de néo-zadistes aux alentours, histoire de planter ma tente au calme. Je sais que Camille vit au sein d’un collectif en bordure de champ, pas trop loin de là. Je tente le plus innocemment possible :
— Y’a moyen que je pose ma tente à côté de votre cabane ?
— Je sais pas trop, faudrait voir avec les autres.

C’est qu’on se méfie des petits nouveaux, on craint l’infiltration du mouvement par la police ou les journalistes, et certains papiers parus n’ont fait que renforcer ce sentiment ; d’ailleurs la plupart des individus que je rencontre utilisent un surnom pour se présenter et, souvent, ne sont connus par la communauté qu’au travers de leurs pseudonymes.


Les zadistes

Les zadistes occupent donc près de deux milles hectares, répartis dans différents collectifs qui peuvent se composer d’un nombre d’individus variable ; les gens vivent au sein de leurs groupes, formés par affinités d’organisation, politique, ou pour se rassembler autour de projets communs. Les migrations intra-zad ou inter-zad restent nombreuses et régulières. De nombreux collectifs possèdent leurs propres sleepings, une sorte de chambre d’amis qui peut se décliner sous différentes formes : dortoirs, chambres, cabanes, caravanes… mais ces sleepings sont le plus souvent réservés aux invités. Lorsqu’on arrive sans prévenir et qu’on ne connaît personne sur place, le lieu commun est l’endroit où chacun peut trouver sa place.
Personnellement, je prends mes quartiers au sein d’un collectif quelque peu surpeuplé, une bande de tritons marbrés ou triturus marmoratus, espèce rare, protégée, recensée et érigée en symbole par les Naturalistes en Lutte. C'est une association de professionnels et de groupes citoyens qui se réunissent notamment chaque mois pour relever différentes informations concernant la faune et la flore de la zone humide. Mais nous ne parlons pas ici de n’importe quels tritons ; ici, ceux qui nous intéressent sont caractéristiques, crêtés et survoltés, ils occupent deux petites cabanes. L’une perchée dans un arbre et à laquelle on n’accède qu’au moyen d’une échelle de cordes dont l’escalade s’avère parfois difficile, pour le commun des mortels du moins ; Camille dort là-haut tous les soirs, même les plus festifs. Au pied de l’arbre, le second abri est construit sur pilotis où chiens et bipèdes sont les bienvenus, à condition d’enlever leurs chaussures...
Une structure de bois, de terre et de paille, une grande porte vitrée et plusieurs ouvertures fournissent la lumière et permettent de surveiller la route qui passe juste derrière. Pas d’électricité ni d’eau courante, nous profitons ici du même robinet que les habitants de la Chat-Teigne. À l’intérieur, une étagère et huit couchages, répartis sur deux niveaux grâce à une mezzanine dans un espace qui n’atteint pas les douze mètres carrés.


Camille-bâtisseur

C’est Camille, ancien démolisseur, qui nous a bricolé la structure pour les couchages, aidé de quelques autres. Camille est toujours prêt à rendre service, à la fois maladroit et génial. Cet homme a réalisé un véritable chalet pour ce qui ne devait être qu’une avancée de caravane ; caravane depuis longtemps partie abriter quelqu’un d’autre. Le chalet, lui, est toujours là, avec son traditionnel poêle à bois et son salon confortable, sans véritable coin cuisine vu qu’un collectif proche en a monté un grand à proximité, mis à disposition de tous les habitants des alentours. Camille a réalisé cette prouesse de lui-même, passant la plupart de son temps à travailler seul, sans argent et donc, à mesure qu’il trouvait de nouveaux matériaux. Douce France ne donne rien à ses enfants de la rue tant qu’ils n’ont pas atteint l’âge de 25 ans, du moins pas le R.S.A. ; enfin si, mais pas vraiment, il faut avoir suffisamment travaillé, un peu comme pour le chômage. Lui n’avait pas dû travailler de manière suffisante puisque aucune aide ne lui était versée.
Avant son arrivée sur la ZAD, Camille vivait de petits larcins et de contrats dégottés sur différents chantiers de construction. Un équilibre précaire qu’il a rompu en emménageant dans le bocage. Son habitation à peine terminée, voici que le plan d’une chambre d’amis se dessine, on dresse sa structure... mais Camille se lasse et déménage au sein d’un autre collectif, laissant à disposition son œuvre pour qui veut en profiter.

Chez les tritons, il y a une grande terrasse devant leur cabane sur pilotis. Plusieurs meubles et étagères occupent l’espace, dessus des livres, des journaux, une cartouche vide de grenade lacrymogène au milieu d’autres bibelots, des affiches, une large trousse de secours… Plus loin une grande table de bois entourée de bancs que Camille nous a remis en état. Les jours se succèdent comme l’aménagement de nos structures ; de nouveaux murs sont dressés, un toit, un bar, une cuisine, un abri pour chèvre, une nouvelle terrasse.


La compagnie de Shenzi

Shenzi se fait vite à son nouvel environnement et part régulièrement chasser dans les champs ou la forêt ; friande de mulots, ragondins et autre petit gibier. Elle partage son territoire avec un magnifique molosse au pelage noir nommé Zadig et une biquette de combat, chargeuse de clébards et de gens distraits, dévoreuse de cannabis et de fond de cendriers. Camille-woofer travaillait dans un petit élevage lorsqu’il a pris la décision d’adopter la demoiselle. Elle présentait un retard de croissance ainsi que d’autres « défaillances » qui ne lui promettaient qu’un avenir au fil du couteau. Ne pouvant supporter ce sort, Camille en a pris la charge, et l’a ramenée ici.
Nous vivions donc avec deux chiens et une chèvre, le nom de bataille de cette dernière : « Inutile ». Ce n’est d’ailleurs pas la meilleure pote de Shenzi, qui, après s’être fait tamponner une ou deux fois, prend soin de garder ses distances avec cet étrange chien corné. Car de chien, Inutile en a parfois le comportement ; elle nous accompagne lors de nos balades dans les bois ou sur les sentiers du bocage, elle monte la garde et s’est fait connaître de toute la zone. C’est elle qui nous force à renforcer la première terrasse, inquiets que nous étions de la trouver chaque matin, les quatre sabots sur la table, occupée à brouter les cendres et les mégots de la veille, n’omettant que rarement de déféquer copieusement sur nos assises. Confiante, cette peste charge la plupart des chiens qui passent à sa portée. Elle le payera par une fois, de plusieurs coups de crocs qui auraient été fatals si nous n’avions pas vite réagi et si le vétérinaire n’avait pas été si prompt à la sauver.
C’est un peu notre mascotte, Camille-woofer a pas mal voyagé avec elle, sur les chemins de Saint-Jacques, en auto-stop, en covoiturage...
Nous avons vite profité de leurs voyages pour transformer la bergerie en cabane à outils. Les différents collectifs construisent et remodèlent en permanence l’espace occupé ; tout semble expérimental dans les architectures incongrues qu’on peut croiser sur cette zone à défendre, ses barricades colorées, ses banderoles, ses graffitis qui s’intègrent dans ce paysage de potagers, de jachères et de forêts.
Il est parfois difficile de trouver un consensus avec la nature mais ces tentatives attestent d’une volonté de repenser les façons d’habiter, d’évoluer dans des rapports harmonieux avec l’environnement.


Parole de clébard 4.0

« C’est le délire total ; ici pas de cage, on me donne régulièrement de la viande, gâtée que je suis ; je passe mon temps dehors, à me balader avec lui, d’autres ou toute seule… Partout il y a de grands tas de compostes, tas de de légumes et de fruits en décomposition ; avec les copains quand on veut se prendre une cuite, on cherche les meilleurs comptoirs. On chasse aussi, il y a du mulot à foison, bien plus croustillant que les croquettes et bien moins sec. Du coup, je fais des trous, partout, dès que je flaire une odeur. En revanche j’évite de déconner avec les animaux dont les bipèdes s’occupent, ils ont tendance à être tatillon lorsqu’on leur soustrait une bête à plume. Je leur laisse leurs poules, leurs canards et leurs moutons, je m’occupe des rongeurs.
Des rencontres charmantes depuis que nous sommes arrivés, notamment un beau black qui me tourne autour. Rien ne presse mais je pourrais me laisser tenter.
Mon bipède à moi va bien, il mène sa petite vie avec ses semblables, m’emmène de temps en temps en balade, dans la forêt, les champs ou la ville, on s’éclate. La seule ombre au tableau, c’est cette drôle de bête qui partage notre territoire ; elle a le regard fou et le front large. J’ai tenté la discrétion mais la garce ne manque pas une occasion pour me charger. L’impact est parfois douloureux, sa tête est dure comme la pierre. Mes canines ne l’impressionnent plus tandis qu’elle se rit de moi et gratte le sol. Une peste sans savoir-vivre.
Cette vie n’a plus rien à voir avec tout ce que j’ai pu connaître avant et je ne m’en plains pas. »

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