Rubrum

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Bataille sanglante où je suis éternellement la seule victime.

Damnée par la vie tel Atlas forcé de porter la voûte céleste, mon châtiment est une lutte acharnée contre une souffrance jugée nécessaire à tel point que ma résilience a prit le dessus depuis longtemps pour me faire accepter cette atroce condition mêlée à un horrible privilège.

Allongée la main sur le ventre, épuisée, je me tourne de côté dans un soupire douloureux. Un officier entre dans ma tente en poussant un rabat de tissu et se met au garde à vous.

- Repos... Capitaine, lui dis-je dans un souffle.
- Madame, le conflit fait rage. L'ennemi se rendra compte qu'on ne lâchera jamais, soyez confiante.

Mes yeux vitreux ne se lèvent même pas pour le regarder alors que je parle à voix semi-basse.

- Pourquoi, Capitaine... rappelez moi... pourquoi nous nous battons ?
- Pour la survie et la pérennité du genre humain, Générale.
- Oui... la pérennité. Dites à nos hommes que je vais revenir. Cette bataille... ne se passera pas sans moi. Comme toujours.
- A vos ordres madame.
- Rompez, Capitaine.

Il me salut de nouveau et se retire. Le médecin de terrain m'apporte un verre d'eau et deux comprimés roses. Je me redresse dans un soupire pénible et les prends dans une longue gorgée.

- Malheureusement, c'est tout ce qu'on a. J'espère que ça va aller, me dit-il avec compassion en posant une main bienveillante sur mon front.

Je lui souris avec difficulté, harassée par la douleur lancinante.

- Merci, Caporal. Je n'ai pas le choix. Ça doit aller.
- Je vais vous préparer une tisane à base de camomille sucrée au miel pour ce soir. Ça devrait vous aider à passer une nuit moins rude.

Je souffle un léger rire du nez empreint d'ironie.

- Rien ne peut apaiser le feu d'une telle guerre. J'aimerai juste que chaque bataille ne débouche pas uniquement sur un cessez le feu d'à peine un mois.
- Moi de même, Générale. Mais on ne peut rien y faire, hélas. Ceci dit... je trouve injuste que vous soyez systématiquement la cible. Quelqu'un d'autre ne peut il pas endosser notre étendard ?

- Non, répondis-je d'un ton sec. C'est mon devoir. Je suis blessée et meurtrie. Ma souffrance est un cycle dont la fin n'arrivera peut être que dans plusieurs dizaines d'années, nul ne peut savoir. Et encore, cette guerre finie, une autre m'incombera. Mais c'est mon rôle. Sur ce champ de bataille, je suis la seule immortelle.

Dans un spasme douloureux, je gémis encore et me tourne à nouveau sur le dos. Une main sur le front, l'autre sur le ventre, les yeux d'abord fermés pour refréner mes larmes avant de les ouvrir pour fixer la toile bleue du plafond s'élevant vers le sommet du pique central.

- Qu'importe le sang versé. Qu'importe l'agonie de ce ventre perforé de deux estocs se heurtant à l'os de mon bassin et alourdissant mes jambes de courbatures. Qu'importe les nausées et la fatigue. Mon envie de massacre n'en est que plus grande... je refuse de flancher. repris-je d'une voix las.

Je me redresse alors lentement et pousse un large soupire. Le caporal fait un pas vers moi avec l'idée de me soutenir tandis que je me lève mais l'arrête d'un geste de la main. La douleur déjà s'estompe quelque peu, je marche lentement vers mes armes et observe un instant ma lame d'acier ornée d'un fil d'or à la garde majestueuse.

- Je me dois d'être à la hauteur chaque jour... pour mon peuple.

Je la passe à ma ceinture et me drape de l'étendard écarlate de notre nation. Puis, n'attendant pas de réponse, j'enfile mon casque ailé, saisis mon bouclier frappé de nos armoiries et quitte ma tente.

Dehors, les cris de guerre font rage. Faisant fit de la douleur, je me hisse sur ma monture, un étalon blanc de puissante stature et empoigne les rênes pour l'orienter vers la bataille. Brandissant mon épée, hommes et femmes à cheval se jettent après moi à travers les lignes ennemies, le courage des premiers remonté dans les tours tandis que la vue de l'étendard rouge affecte celui des seconds.

Ce n'est que le premier jour de ce que l'on a finit par nommer « la période rouge ». Plus que quatre avant la prochaine trêve mensuelle. Le Capitaine a pleinement raison : nous ne lâcherons jamais car si sur ce front je suis la seule, je sais qu'ailleurs dans le monde d'autres femmes sont bénies d'immortalité et luttent elles aussi contre cette ennemie infinie qu'est la Vie, entité créatrice et destructrice qu'on adore et déteste à la fois.

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