AMNESIA
Elle se réveille dans la ruelle, totalement amnésique... Ouvrant les yeux sur un monde nouveau avec ce corps ayant déjà vécu.
Où aller dormir ? Comment trouver à manger ?
Glasgow est une ville qui ne manque pas de squats, mais elle ne peut pas le savoir. Quelle sensation étrange, ce vide dans la tête, pas une bribe d'image qui pourrait évoquer un début de piste vers son identité. Déambulant dans les rues, cherchant un endroit où se réfugier, elle regarde autour d'elle et cherche un moyen de déclencher un souvenir. Rien. Elle s'arrête soudain : une petite maison à la vitre brisée à l'étage, se dessine devant elle. La glycine et le lierre se bataillent pour la conquête de la façade, quelques fissures marquent les murs, mais la toiture semble en bon état. Elle escalade la clôture envahie de plantes grimpantes de toutes sortes, de fougères et d'herbes folles. Le jardin ressemble à une jungle miniature. Elle pousse la porte d'entrée qui s'ouvre sans résister, puis se retrouve nez à nez avec un escalier l'invitant à monter à l'étage. Curieuse, elle visite d'abord le rez-de-chaussée. Sur la gauche un gros meuble avec un miroir fendu se dresse contre le mur. En face de cette armoire s'ouvre une petit arche vers un salon très lumineux. En plein milieu, gît un vieux Chesterfield. Elle aime ce Chesterfield. Elle fait le tour de la pièce. Une vieille cheminée qui ne fonctionne plus, un bar avec une petite cuisine derrière, sculptent discrètement cet environnement insolite. En face, deux grandes fenêtres s’ouvrant sur une petite terrasse, puis rien. Rien d'autre que ce vieux Chesterfield. Elle avait déjà l'impression d'être à la maison, elle se rue à l'étage pour découvrir le potentiel du bâtiment en s’imaginant déjà ce qu'elle en ferait.
En haut, deux chambres contiguës longeant l’escalier, avec une grande fenêtre dans chacune d'elle. Toutes deux vides. À coté, face aux marches, une belle salle de bain avec baignoire et toilettes, inutilisables. Mais elle a déjà sa petite idée. Qui est-elle ? Architecte, designer ? Les idées foisonnent dans son cerveau, elle se sent comme une centrale nucléaire en pleine activité. Une folle envie de refaire le monde. Son monde. Elle sort.
Elle sort chiner du matériel pour sa nouvelle vie. Il lui faut des outils, ainsi que le minimum pour dormir et se réchauffer. Elle trouvera le moyen de se nourrir plus tard. Ces réflexes sont les siens. Avant, elle était quelqu'un. Aujourd'hui elle n'est personne. Aujourd'hui seuls ses réflexes la définissent. C'est intéressant. Qui elle était, n'est plus la question. Qui pouvait-elle devenir en partant de rien ? Lui semblait être une aventure plus palpitante.
Une semaine s'est écoulée. Elle s'est doucement adaptée à sa survie en chapardant dans les supermarchés ou pratiquant la cueillette sauvage dans les jardins des quartiers relativement aisés. Son squat commence à ressembler à un foyer. Elle a trouvé dans les encombrants un matelas quasi neuf avec une couette encore dans son emballage. Une petite table basse. Deux oreillers près d'une poubelle... Il lui faut de l'eau, maintenant.
Il lui faut des vêtements et une identité. Elle ne pense pas passer sa vie à voler. Avec ses capacités elle pourrait trouver de petits jobs, s'acheter du matériel, rebâtir ce petit monde qu'elle s'est façonné. Puis pourquoi pas redonner vie à cette petite terrasse en y aménageant un jardin. De l'eau, il lui faut de l'eau. Il pleut souvent dans cette ville. Elle devrait pouvoir construise un système pour la récupérer et l'assainir. Armée de patience, plus tard, elle a su le fabriquer afin de la stocker et s'en servir avec une relative facilité. Ayant appris qu'elle était douée pour réparer les choses et en créer, aussi, elle se sent, aujourd’hui, prête à conquérir le monde.
Les idées s’enchevêtre dans sa tête. Elle pense à tous ces détails. À l'étage, dans son lit, sous sa couette, un paquet de chips à la main. Son carnet et son stylo sur les genoux. Entourée de quelques bougies, placées sur la table basse, en guise d'éclairage improvisé. Mais il est temps de dormir. Ses yeux s'alourdissent. Elle souffle sur ses petites lampes de feu en pensant qu'il faudrait qu'elle se trouve une lampe de poche ou une DEL pour éviter un incendie. Elle glisse sa tête sur l'oreiller, puis ferme les yeux. Elle s'endort sourire aux lèvres, écoutant la pluie jouer son rythme désordonné contre la fenêtre de son petit univers.
Six mois passent.
Elle rêve. Elle rêve, mais pas d'une autre vie. Elle rêve une autre vie, une vie dans laquelle il la connaît. Mais il ne la connaît pas. Ils viennent de se rencontrer. Il n'est pas amnésique, cependant, il ne la connaît pas. Elle l'a rencontré dans ses rêves, il ne l'a pas encore rencontrée dans la vie. Souvenirs d'un rêve, amnésie d'une vie. Il ne la connaît pas et pourtant... Chaque nuit, depuis qu'elle s'est installée dans sa petite maison apprivoisée, elle rêve de cet homme : Alex. Commencerait-elle à se souvenir de son passé ? Pourtant, la mémoire ne revient pas. Chaque nuit, c'est comme si elle vivait dans la peau d’une autre. Une existence parallèle.
Un jour se promenant dans le parc, elle le voit, assis contre un arbre, jouant sa musique. Elle s'approche de lui, confiante :
— Alex ?
Il lève la tête et la dévisage, étonné :
— Oui. On se connaît ?
— Je crois. Vous m'avez appris à jouer de la guitare.
— Je n'en ai pas le souvenir. Quand ça ? Ça doit dater du lycée, je suppose.
— Je ne pense pas, je devais encore être en primaire.
Elle s'agenouille devant lui, puis tend son bras pour qu'il lui prête son instrument. Le jeune homme le lui confie spontanément, sans comprendre pourquoi. Elle joue un morceau qu'il reconnaît aussitôt : c'est une de ses compositions.
— Oswin !
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