DELL BYRONN
W. Agency. Victoria.
L'adolescent se tenait sur le pas de la porte de chez lui, tétanisé. J'avais sonné, puis suis partie sans attendre qu'on ouvre...
Rentrée à l'agence, elle se souvient. Une sombre affaire. Assise par terre, elle fume sa cigarette dans le noir. Le silence est lourd. La clope crépite à chaque fois qu’elle tire une bouffée.
*
9 Mayfield Road. Edinburgh.
Le lendemain, la détective Mortensen lisait en gros titres :
« Edimbourg, l'affaire du meurtre des trois policiers. »
L’inspectrice préparait son café, puis eut soudain une violente envie de vomir. Elle resta un moment au dessus de la cuvette des toilettes au cas où la nausée reviendrait.
Quelle merde ! Dire que ces ordures vont s'en tirer avec les honneurs !
Law s'en retourna à la cuisine pour allumer la télévision. Toutes les chaînes relataient le même événement.
Bordel, je me suis fourrée dans un beau traquenard !
Elle s'habilla en vitesse, sortit en claquant la porte. En rejoignant sa voiture, elle ouvrit la portière, s'assit au volant, puis tira son portable de la poche de sa veste, composa un numéro :
— Mac. J'ai besoin de vous.
Mortensen démarra la Subaru et prit la route à une allure démesurée.
*
Deux années s'étaient écoulées depuis cette sombre affaire. Après un procès retentissant, Dell et sa famille étaient soumis au programme de protection des témoins : nouvelle ville, nouvelle identité, nouvelle vie. Avant sa mutation à Londres, Law avait mis le feu aux poudres en déclenchant une guerrilla entre gangs pour s'assurer que Le Bourreau ne s'en sorte pas. Une ancienne connaissance lui devait ce service. L’inspectrice s’arrêta devant une école, sortit de son véhicule, puis entra dans l’établissement. Elle frappa à une porte, la poussant aussitôt :
— Bonjour, detective Mortensen, prenez place, je vous prie, lui dit la directrice, une dame d'un certain âge, les cheveux noir corbeau, élégante, mais sobre.
— Je vous remercie, lança Law en s'asseyant.
La femme sortit un dossier d'un meuble derrière elle et le posa sur sa table :
— Votre requête est quelque peu curieuse...
— Je sais. Mais je ne suis jamais venue ici.
Elles se regardèrent, la directrice acquiesça. La flic consulta le dossier, puis quitta le bureau, après une poignée de main silencieuse. Elle traversa la cour, vit des enfants charrier l'un de leurs camarades et sortit de l'école, impassible. Law ouvrit la portière de sa voiture, puis la referma, pensive. Elle resta quelques instants adossée à son véhicule, le regard rivé au sol. Soudain un parfum la ramena à la réalité. Un adolescent marchait en direction de l'école. Elle releva la tête :
— Dell ? murmura la jeune femme.
Le garçon se retourna, puis la dévisagea, intrigué. L’inspectrice s'avança vers lui, hésitante. Le gamin eut soudain un mouvement de recul : il la reconnut. Tous deux se figèrent ainsi un moment ne sachant comment réagir. La flic lui tendit sa carte.
— Si tu as besoin de parler, appelle-moi.
Elle s'enfuit dans sa Subaru, sans demander son reste. Sur la route, Law se demanda pourquoi elle l’avait interpelé. Elle aurait pu laisser les choses en rester là. Elle ne réalisait pas encore qu'elle avait déclenché une bombe à retardement. Dell avait quinze ans, il n'avait pas oublié. Il faisait encore d'horribles cauchemars. Il cachait de beaux cernes noirs derrière ses lunettes. C'était impossible de s'imaginer ce qu'il pouvait se passer dans la tête d'une jeune victime de viol. L'enfance est à jamais détruite. L'idée de se reconstruire semble strictement impensable et pourtant la vie continue. C'est ce qui était le plus difficile : continuer de vivre avec cette horreur en soi et cette perpétuelle nausée qui vous tenaille. La jeune femme ne l'avait pas vécu personnellement, elle en avait seulement été le témoin. Pourtant depuis, cet écœurement ne la quittais plus. Dell voulait connaître celle qui lui avait sauvé la vie. Mais aussi, celle par qui cet enfer continuait de le hanter. Il ne l'appela pas. Il se rendit chez elle. L’inspectrice lui ouvrit.
— Entre.
Elle fit du thé. Le silence était lourd et intenable, mais que dire dans pareil cas ? Rien. Mortensen ne savait que faire. En regardant ce gamin, elle ne regrettait pas d'avoir tué ces flics pourris, mais elle était devenue un ripou, comme eux. Elle dut trafiquer des rapports de police, aussi impliquer Mac dans cette merde. L'enfant était vivant. C'était tout ce qui comptait. Peu importait ce qu'elle était devenue, Law assumait.
Il vit.
Ils ne réussirent pas à se parler. Avant que l’adolescent ne reparte, elle le prit dans ses bras sachant, malgré tout, que ce geste ne changerait rien à ce qu'il éprouvait. Dans un élan de désespoir, il tenta de l'embrasser.
— Tu fais quoi garçon ?! Vas voir un psy, je ne peux rien pour toi ! Pas comme ça !
— T'es dégueulasse ! Me remettre mon passer dans la gueule !
— Avoir pitié de toi ça ne t'avancera à rien, ça fait mal, mais ça t'es arrivé c'est tout !... Tu ne peux rien y changer alors avance, et bloque pas sur des complexes de merde qui te servent d'excuse à rien foutre d'autre de ta vie que de te lamenter sur ton sort ! T'es pas le seul, alors apprends à faire avec ! D'autres n'ont personne pour les soutenir !
— Pour ce que tu me sers... !
— Tes parents sont la pour toi, morveux ! Laisse-les te venir en aide ! Moi, je… j’ai juste… commis l’irréparable… ajouta la flic, reprenant soudainement son calme.
— T'aurais dû me tuer merde ! T’aurais du me tuer plutôt que de me laisser vivre avec ça !!!
Il se jeta sur elle, lui serra la gorge comme si la tuer allait supprimer ce qui le rongeait. Elle se défendit. Lui retint les mains, le retourna et le bloqua contre le mur. Law le maîtrisa le temps qu'il s’apaise, puis l'enveloppa de ses bras. Le gamin fondit en larmes.
— Tu es doué. Intelligent. Tu as réussi à trouver où j'habite. Tu n’as que quinze ans et un avenir. Ne garde pas cette merde. C'est inutile, ça te rongera jusqu'aux os, puis après ? Tu as toute la vie devant toi, ça passera. Je te jure que ça passera, lui chuchota la jeune femme à l'oreille, telle une confidence : laisse le temps au temps. Tout finira par aller mieux.
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