PERSPECTIVE
C'est l'angoisse. Je dois faire un reportage sur la D.I. Lawrina Mortensen. Découvrir ce que c'est que d'être flic. Retracer son parcours professionnel, ce qui l'a amenée à changer de vie. Un virage à trois-cent-soixante degrés. D'inspecteur à romancier. Des bas fond à une vie de rêve...
« Pour voir le monde tel qu'il est, tu dois avoir les idées claires, mon enfant... La rose ou la jaune ? Ovale, carrée, ou ronde... Pour voir le monde tel qu'il est, tu dois endormir ton cerveau... »
— STOP !!!
La schizophrénie n'est pas une maladie. C'est un état du cerveau que l'on ne connaît pas encore. Les antipsychotiques m'empêchent d'être moi-même. Si je ne suis pas moi-même, qui suis-je alors ? J'ai l'impression d'avoir un super pouvoir que je ne maîtrise pas. Je brûle tout au lieu de tenir chaud à ceux qui ont froid ! Ma grand-mère voyait une corde qui descendait du lustre de sa chambre, sortant d'une profondeur invisible, elle entendait des voix, chuchotant des mots inintelligibles... Moi, je suis dans le noir absolu, je vois un poteau d'une longueur infinie, s'enfonçant dans un puits sans fond. À la place des voix, des fantômes, tels des fumerolles de lumières, tournoyant autour de moi, flottant au dessus du vide abyssal, près de cette barre de métal sans début, ni fin... Ma grand-mère avait le son, je n'ai que l'image... Et qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Elle craignait pour sa réputation. Elle craignait la souillure de l’infamie. Elle craignait le qu'en-dira-t-on.C’est la guerre qui la rendue comme ça. Je crains les gens. Ils sont mauvais. Ils ne s'intéressent aux autres que pour leur nuire. Nos hallucinations se ressemblent. Nos peurs sont similaires. Il y a peut-être un côté héréditaire pour ce qui est de la manière de percevoir les choses qui nous entourent ? Je ne sais pas. Ma grand-mère n'était pas schizophrène. Dans son cas, c'était la fatigue et les médicaments. Elle était insomniaque. Elle faisait des cauchemars, le peu qu'elle dormait. C'était terrifiant d'entendre son râle. Un cri sortant d'outre tombe.
Le cerveau a une mécanique simpliste. Il est impressionnable, fonctionnant comme du papier argentique. Nos hallucinations sont forcément induites par ce qui nous marque l'esprit dans notre existence. Nos peurs. Nos attentes. Nos aspirations...
Pour voir le monde tel qu'il est, tu dois avoir les idées claires, mon enfant... La rose ou la jaune ? Ovale, carrée, ou ronde... Pour voir le monde tel qu'il est tu dois endormir ton cerveau... tourne, tourne en rond petite pensée obsessionnelle...
Ma mère publie sous le nom de Delila Thorn, Gilmore étant un peu sulfureux, vu l'histoire de mon oncle. C'est Ayden Forbes, mon patron et beau-père, aujourd'hui, qui la publie. Il tenait un magazine avant de passer la direction à sa fille, Tamsin, pour monter sa maison d'édition. Après mes études en photographie, Ayden m'a engagée comme stagiaire. J’étais pigiste chez Weird Life. Aujourd'hui, je m'occupe des interviews et reportages. Je monte progressivement ma carrière. C’est une chance. Surtout dans mon état. Et comme Lawrina Mortensen fait partie des romanciers de la boîte de mon beau-père, l'honneur me revient d'écrire un article à son sujet.
Je n'ai jamais connu mon père. Il est parti avant ma naissance. Ma mère est une battante, mais jusqu'à présent, elle n'avait jamais réussi à trouver sa place dans ce monde de fous. C'est moi qui dis ça... Elle a enchaîné les jobs de merde en vivant chez grand-mère. Son dernier boulot, elle travaillait avec les enfants. Elle était douée pour raconter des histoires. L'idée lui est venue de les écrire…
Lorsque l'on associe son intelligence aux choses, on entre en harmonie avec la vie. Les livres, c'est pour apprendre à apprendre. De la vie, on apprend par soi-même. Personne ne peut nous aider à comprendre le sens d'une existence, seulement la vivre le permet. D'où l'intérêt de vivre pour soi. C'est pour ça que je range, j'organise, j'archive... je vis l'instant présent, à ces moment là. Mon cerveau me laisse tranquille. La ritualisation crée des modèles de connexions neuronaux différents et nouveaux, à chaque fois. C'est mon Tai Chi. Pour ne pas être forcée de me gaver d'antipsychotiques, j'ordonne mon quotidien en rassurant mon esprit sur ce qu'il connaît. Vivre l'instant présent m’aide à créer un lien avec la matière. Ce qui nous donne le pouvoir de créer des mondes. Avec elle et non, contre elle. Je ne détruis pas pour construire. J'écoute la matière et la modèle selon mes besoins, selon sa nature. En considérant sa nature. J'entre en résonance. Mes crises s'estompent. Parfois me servent. C'est comme pour la douleur au dos, on cherche l'origine du mal. Je cherche l'origine de mes hallucinations.
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