MORIARTY vs MORTENSEN
— Je suis désolé pour ce que mon oncle vous a fait subir.
— Vous êtes la nièce de Deyn ?
— Oui.
— C'est vous qui avez tué ces filles ?
— Non.
— C'est vous qui avez incendié cet entrepôt, provoquant la mort de l'inspecteur McKenzie ?
— Non.
— Alors on parle de quoi, là ?
— Il...
— Vous n'êtes pas responsable des saloperies des autres, quand bien même ils font partie de votre famille. Vous êtes seulement responsable de vos propres actes. Et si un jour quelqu'un vous dit le contraire, crachez-lui à la gueule, parce que c'est tout ce que cette personne méritera comme réponse de votre part.
— Hm. Merci... Bon, euh, commençons...
— Je vous en prie, c'est vous le reporter.
— Comment percevez vous le XXI° siècle avec tous ces problèmes géopolitiques, le réchauffement climatique etc... ?
— Pour ce que ça m'intéresse... la politique je la laisse volontiers aux connards narcissiques... J'ai eu un mal fou à coller les criminels en taule, alors les restes du monde, trop peu pour moi. L'écologie c'est un sérieux bordel, mais l'humain est trop con pour se remettre en question, alors quand il aura tout cramé, il crèvera dans sa merde et franchement c'est pas moi qui vais pleurer la disparition de cette espèce de parasites.
— La rencontre. Pour vous qu'est-ce que c'est ?
— Ouh ! De la philo ! Hum, aller vers l'autre, mais c'est pas trop mon truc... ou alors, ce moment surprenant qu'on ne s'imagine pas, même dans ses fantasmes les plus fous.
— Avez-vous essayé de vous mettre à la place d'un dirigeant, que ressentiriez-vous si l'on vous donnait les rênes d'un pays ?
— Je serais dictateur. Faut pas venir m'emmerder, j'ai fait l'armée. Alors à la dure, ça me va. Donc ce sera marche droit ou crève. Mais évitez de me filer ce genre de responsabilités, j'ai déjà assez à faire dans ma vie.
— Faut-il s'intéresser à la politique, avoir une instruction politique ?
— Pour éviter de se faire baiser la gueule... mais pour ce que ça sert, on se fait quand même baiser la gueule. Après, si tu veux comprendre une structure, le droit, la sociologie, l'anthropologie, si t'as que ça à faire...
— La technologie, qu'en pensez-vous ?
— Tant qu'on ne me colle pas un mouchard au cul, ça me va. C'est pratique. Faut apprendre à s'en servir par contre et éviter de bosser avec des collègues qui n'y comprenant rien, alors que c'est pas la lune. D'ailleurs, il attendent quoi à la NASA pour nous faire un remake de Star Trek ? Parce que là on file plutôt droit dans Un meilleur des monde à la sauce 1984 !
— Que pensez-vous de la place de la culture dans le monde ?
— Je suis obligée de répondre ?... L'école c'est pour conditionner. Le reste de la culture c'est trop cher pour les pauvres, parce que les bourgeois et les arrivistes veulent garder leurs foutus privilèges. Ce monde a subit un lavage de cerveau. Il faut aimer Citizen Kane et autres conneries du genre, parce qu'un bobo a décidé que ce sont des œuvres d'arts ! La Dolce Vita c'est bien plus parlant. Vous saviez que Van Gogh est mort dans la pire misère ? La culture... heureusement que mon éditeur ne me demande pas du Shakespeare !
— Avez-vous fait des recherches spécifiques pour les aspects techniques de votre roman ? Sciences, géographies... ?
— Oui. La trame et le personnage sont inspirés de mon vécu mais, comme j'ai transposé les récits dans l'univers SF, il a fallu que je fasse des recherches poussées pour élaborer une nomenclature à peu près potable. La géographie... des galaxies… Théorie des cordes, théorie du chaos, les mathématiques avec les nombre magiques, pour encoder certains de mes textes, quand un personnage cherche à percer un secret... Oui, je fais pas mal de recherche, j'ai l'encyclopédie comme livre de chevet, puis internet pour les détails à la con. Wikipédia est très bon. L’information est juste. Il doit y avoir une boulette sur dix mille. Je lis des livres, des magazines sur la physique quantique, puis je regarde des émissions scientifiques, parce que Doctor Who, faudrait pas pousser !
— Quelle est la part de virtuel dans votre vie ? Réseaux sociaux, games, lecture de romans...
— J'ai lu le dernier Griffiths. Behaviors, un policier plus axé sur la vie des perso que sur les enquêtes, j’aime bien le côté psycho. Et j'ai commencé Elements d'Archer, franchement c’est sympa, un roman sur des gens avec des super-pouvoirs, ça change des comics. Sinon rien. Les réseaux sociaux c'est antisocial, que des egos dégénérés qui cherchent à devenir le centre du monde, ces trous d'cul ! Ma part de virtuel, c'est mon nouveau métier.
— Comment percevez-vous le journalisme ? La parole médiatique, aujourd'hui ?
— Le masse-média c’est de la merde sans vouloir vous offenser, mais votre job c'est pas du JT pour les bœufs ou la gazette des bofs avec les info sur le pire du pire et les dernières perles enfilées par la ménagère du coin, donc...
— En effet, nous publions plutôt des reportages photo, des biographies et des carnets de voyages. Un journal culturel, en somme.
— Ouais, ça me plaît, j'aurais pas dit « OK » à ce rendez-vous, sinon. Donc, revenons à nos roastbeef... les médias... de la merde pour voyeuristes et autres pétasses en manque de sensations fortes. Du gros myto pour décérébrés.
— Comment jugez-vous le bizness du cinéma Hollywoodien, la suprématie de l'économie sur la culture ?
— Les bons films résistent. Les British, on n'arrêtera jamais d'être cyniques. Chez les ricains certaines grosses productions sont pas mal. Le film d'action à la Bruckheimer me manque un peu, mais il suffit d'acheter les DVD, un bon projecteur et John McLane peut venir défoncer votre salon ! Sinon, restent les séries, qui ont pris du galon dans le monde de l'image en mouvement.
— Le manichéisme, oui, non, pourquoi ?
— Non. On ne vit pas en noir et blanc. Trop simpliste. Même l'électricité a compris le truc : plus, moins et masse. Trinité. Le père, le fils, le saint esprit. Mais que les gens ne comprennent toujours pas, ça me dépasse ! C'est écrit clairement dans leur foutu bouquin ! Ils continuent de croire à l'éternel combat entre le bien et le mal. C'est la vie. Une expérience. La mort aussi est une expérience. Croire qu'il y a quelque chose après, j'en sais rien. J'ai sans doute halluciné pendant mon coma. Mais l'enfer n'existe pas. C'est nous l'enfer. Tout ce que t'as dans les tripes et que tu ne digères pas. Bien ou mal, ça instruit, c'est tout. On en découvre toujours un peu plus sur soi, sur les autres, chaque jour. Tu te prends une baffe dans la gueule, tu sais que celui là c'est un connard. Rien de mal. Que de la connaissance pour avancer.
— Votre livre parle de ça ?
— Si on veut, oui. La vie. L'absurdité de l'existence, si on ne lui en trouve pas un. Pour soi, à partir de soi. Je vis pour moi, pas pour les autres. C'est moi qui ressens ce que j'ai dans mon esprit, pas les autres.
— Peut-on tout dire et comment ?
— Moi je dis tout sans détour. Que ça plaise ou non, je m'en bats… Après, il faut savoir faire la différence entre la vérité et les pensées. Ce qu’on pense n’est pas forcément vrai, alors parfois il faut savoir fermer sa gueule. Blesser les gens pour se défouler, c’est idiot.
— Quelle est la place de l'artiste, par rapport à la voix citoyenne ?
— On a eu Huxley, Orwell et beaucoup d'autres... ça change quoi ? Rien. Les gens sont cons. Ils continuent de croire que voter les rend libres. La liberté est un concept. C'est dans votre tête. Tu peux vivre en taule et être libre. Certains ont tout, mais crèvent quand même de maladies de merde, enfermés dans un corps à l’agonie. Et ne me dites pas qu'ils ont la conscience tranquille, que c'est exclusivement la faute de la génétique. Un peu facile de tout coller sur le génome pourri des parents. L'humain n'est pas qu'un sac de chair.
— Si vous deviez réaliser un film, quel genre, quelle inspiration ?
— Le genre Blade Runner à la David Lynch, pour la blague. Mais plutôt en série, façon Au delà du réel. Le Twin Peaks de la science fiction. J'imagine bien une inspectrice galactique, amie avec une hors-la-loi et... spoilers !
— Songez-vous à votre prochain roman ?
— Déjà en cours.
— Un indice ?
— C’est toujours sur l’inspecteur de Brixton, qui enquête sur des phénomènes étranges… Il va rencontrer une équipe d’étudiants qui font la même chose que lui. Ils squattent une friche, dans laquelle ils se réunissent toutes les semaines pour se répartir les missions. J’en dis pas plus, sinon je risque de vendre la mèche sur l’intrigue.
— L’inspecteur Valentine. Inspiré par votre collègue.
— Oui, totalement.
— Bien. Merci beaucoup de m'avoir accordé un peu de votre temps si précieux.
— Suis en vacances. Je chine pour le prochain bouquin, ça va, c'était plutôt agréable. Je sors par là ?
— Oui, je vous en prie. Merci encore.
— Oh, si vous pouviez m'envoyer la marque de votre thé. C'était paradisiaque, j'ai jamais bu meilleur !
— La prochaine fois que j'irai en Suisse, je vous en ramènerai. C'est du thé noir, iranien.
— Une merveille ! Au revoir, Alisson.
— Au revoir, miss Mortensen.
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