Chapitre unique : Une légère Ophiophobie
C'est un après midi très chaud comme il y en a beaucoup en été sur le Causse du Quercy. Mes journées de grandes vacances, je les passe à l'ombre, confortablement installée dans ma chambre, un livre entre les mains. Les volets fermés maintiennent une relative fraicheur mais le moindre effort physique nous fait transpirer. La nature est souvent généreuse au printemps, mais la roche calcaire affleurante du Causse transforme cette région en petit désert pendant l'été. Le soleil tape fort dans la journée et la pierre nous restitue la chaleur durant la nuit. Alors les maisons restent fermées, laissant croire aux passants que nous sommes tous partis.
Nous habitons en bordure du village, là où commence la campagne. Autour, il y a des champs bordés de murs en pierres grises, longés par des chemins de randonnée qui s'enfoncent plus loin dans les bois. Le jardin est assez grand avec beaucoup d'arbre. Au printemps, il fourmille d'animaux : des oiseaux, écureuils, hérissons, lapins, souris... et même des serpents. Cette vie riche s'engourdit avec la chaleur étouffante de la saison estivale. Je pense que beaucoup d'animaux trouvent refuge dans la grande haie de cyprès qui fait le tour de la propriété.
Il fait trop chaud pour aller dehors, il n'y a de toute façon rien à observer. La sécheresse se fait sentir depuis trop longtemps maintenant. Les feuilles des arbres commencent à jaunir, et les animaux ont soif. La semaine dernière, un oiseau est entré dans la véranda. Ma mère y entretient des plantes à fleurs. Elle les arrose tous les jours. Le malheureux animal était rentré pour boire dans la coupelle d'un pot de fleur. Trop épuisé, il ne trouvait plus la sortie. Sa chance fut que j'avais soif moi aussi. En effet, il y a dans cette véranda un frigidaire pour les boissons fraîches, en plus des fleurs. Entre mes mains, le merle était terrifié mais une fois dehors, son instinct reprit les commandes de ses ailes, pour le porter à l'ombre inquiétante de la haie.
Aujourd'hui je poursuis ma lecture du tome 3 d'Harry Potter. Les élèves sont en cours de défense contre les forces du mal, et je découvre avec eux l'Epouvantard. Cette créature magique qui se nourrit de la peur pourrait bien se transformer en serpent pour moi ! Mais pourrais-je seulement réussir un "riddikulus" ? Je ne sais pas vraiment d'où me vient cette peur. L'ennui c'est que par ici, avec toutes les pierres, beaucoup de serpents s'y cachent, et pas seulement des couleuvres inoffensives. Les vipères venimeuses sont bien présentes elles aussi. Et comble de l'ironie, j'ai toujours la chance, ou la malchance, de les apercevoir lorsque je pars en randonnée. Ce qui crée immanquablement un hurlement strident et une course effrénée pour fuir le plus loin possible. Cet animal me met vraiment mal à l'aise. Voici un autre bon exemple. Dans notre village, il y a un parc animalier consacré exclusivement aux reptiles. J'y suis bien sûr allée avec l'école, avec ma famille, mais à chaque fois j'ai eu les mêmes sensations : sueurs froides, maux de têtes et même quelques tremblements. Bref, il vaut mieux que je poursuive ma lecture pour ne plus y penser.
Cet après-midi, il fait encore plus chaud que les autres jours. Je suis léthargique, allongée sur mon lit, le livre posé sur l'oreiller. J'ai l'impression d'être au ralentit et je n'ai pas envie de bouger. Pourtant j'ai très soif, alors lentement je me lève pour aller chercher un thé glacé dans la véranda. Lorsque j'entre, la chaleur est étouffante malgré ou à cause de la porte ouverte sur l'extérieur. Je vais vers le frigo au milieu de la pièce, pose la main sur la poignée lorsque j'entend un sifflement inquiétant à côté de moi ! Je tourne à peine le regard pour découvrir dressé devant moi, à un mètre du sol, un serpent gueule grande ouverte, sifflant et crachant à pleins poumons !
Ni une ni deux, je tourne les talons le plus vite que je peux, filant à travers la porte ouverte, criant à m'en déchirer la gorge ! Le peu de raison qui filtre à travers ma panique m'arrête au bord de la route, m'empêchant de la traverser. Mon père, avertit par mon hurlement, ouvre la baie vitrée du salon :
" Qu'est-ce qu'il y a ? demande t'il d'un air un peu exaspéré. "
Je n'arrive pas à lui répondre je suis tétanisée, je tremble, je pleure... Mon dieu ! Il n'était qu'à quelques centimètres de moi ! La gueule ouverte, me menaçant de ses crocs ! Oh non, est-ce qu'il m'a mordu ? Je ne sais pas !
Je n'arrive pas à me calmer, mon visage est inondé de larmes de terreur et je continue à trembler ! Mon père insiste, il a fait quelques pas à l'extérieur de la maison :
" Mais qu'est-ce qu'il y a à la fin ! Mais dis-moi ? "
Ma mâchoire ne veut pas coopérer, elle tremble, et ne sort de ma bouche qu'un bredouillement noyé. Puis les mots jaillissent comme un boulet de canon en un hurlement désespéré :
" Ya un serpent ! ! !
- Mais où ? Me demande mon père
- D.. da.. dans la véranda ! ! !
- C'est tout ? C'est que ça ? Mais calme-toi bon sang ! Rentre dans la maison.
- Nnnon...
- Vas dans le salon ! Et calme-toi, mais ça va plus la tête... "
Les jambes flageolantes, je vais vers la maison en jetant des regards terrifiés vers la véranda, là où se trouve le monstre reptilien. Mon frère m'a rejoint au salon et me force à m'asseoir pour me calmer, mais en vain. Je n'ai que l'image du serpent devant moi ! Je respire péniblement entre mes sanglots. Mon père a pris un balai pour faire peur au serpent à travers les vitres. J'entend les coups qui résonnent ce qui ne m'aide pas vraiment à me calmer. Papa revient avec le balai en mains :
" Il est con ce truc ! Il se jette contre les carreaux pour attaquer le balai !
- Comment on va faire ? lui demandai-je entre deux sanglots, sa présence me rassure un peu.
- Je sais pas trop, c'est une couleuvre alors il est pas dangereux. On va attendre qu'il se calme, peut être qu'il sortira tout seul ! Un sourire en coin il ajoute, Je crois que vous vous êtes fait aussi peur, à l'un qu'à l'autre ! "
Une demi heure après, mon père retourne voir la véranda, le serpent n'y est plus. La tension dans mes muscles se relâche un peu. Un verre d'eau et une bonne portion de chocolat m'aident à retrouver petit à petit mon calme. Autant vous dire qu'à présent, je vérifierai deux, voire trois fois avant d'entrer dans cette véranda !
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